Grande Bibliotheque Payot Ferdinand de Saussure Cours de linguistique generate
Grande Bibliotheque Payot Ferdinand de Saussure Cours de linguistique generate Publie par Charles Bailly et Albert Sechehaye avec la collaboration de Albert Riedlinger Edition critique preparee par Tullio de Mauro Postface de Louis-Jean Calvet Les notes et commentaires de Tullio de Muro (pages i a xviii et 319 a 495) ont ete traduits de l'italien par Louis-Jean Calvet. INTRODUCTION © 1967, pour les notes et commentaires de Tullio de Mauro, Laterza. © 1916, 1972, 1985, 1995, Editions Payot & Rivages, 106 bd Saint-Germain, Paris VT Depuis les premieres amines du xviii 6 siecle, de generation en gene- ration, se succedent dans la vieille famille genevoise des Saussure det naturalistes, des physiciens, des geographes. Mener plus loin les connaissances dans le domaine des sciences naturelles et des sciences exactes est une heredite familiale, accepts avec un orgueil conscient. Seule Albertine-Adrienne de Saussure, aux debuts du xix* siecle, s'eioigne de cette habitude pour se tourner vers l'esthetique des lettres romantiques et des philosophes idealistes allemands, ainsi que vers la pedagogic Deux generations plus tard Ferdinand de Saussure fait un choix tout aussi inhabituel dans la famille (et un ami de 1'aleule paternelle, Adolphe Pictet, initiateur des etudes de paleontologie lin- guistiques et patriarche de la culture genevoise au milieu du xixe y a certainement une part notable). A dix-neuf ans, aprfes avoir etudie durant deux semestres la chimie, la physique et les sciences naturelles k l'universite de Geneve, le jeune Saussure reprend decid6- ment les etudes litteraires et en particulier les etudes linguistiques, &€}k amorcees dans son adolescence, et il se rend pour ce faire en Alle- magne, k Leipzig et k Berlin, capitales mondiales des etudes philo- logiques k cette epoque. Le refus de la tradition familiale concerne cependant le contenu des recherches. La forma mentis scientifique, heritee du pass6 familial k travers l'enseignement direct du p£re, fournit les traits les plus typir ques de sa personnalite intellectuelle et de son oeuvre : le refus de toute mystification, de toute fausse clarte ; la parcimonie galiieenne dans 1'introduction de neologismes techniques (il leur preffcre la voie de la definition stipulative qui redetermine et discipline techniquement l'usage des mots courants) ; la disposition k remettre en jeu les theses et les demonstrations les plus cheres sous l'impulsion de nouvellet considerations ; Inattention accordee aussi bien aux faits particulier* qu'fr leur concatenation systematlque. A la fin de son Autobiographic, II INTRODUCTION Darwin depeint le comportement scientifique comme une combinaison bien dosle de scepticisme et d'imagination confiante : chaque these, meme la plus admise, est consider comme hypothese, et chaque hypothese, meme la plus strange, est considerte comme une these possible, susceptible d'etre verifiee et developpee. Ferdinand de Saussure a incarne ce comportement en linguistique. C'est peut-Stre justement la tendance innee a la recherche poussee aux limites du connu qui le m&ne hors des domaines dans lesquels avaient evolue ses aleux, vers une discipline encore in fieri, ce qu'etait encore a cette epoque la linguistique. Dans la sphere de ces etudes, ramrmation du jeune homme est prodigieusement rapide. U a vingt ans lorsqu'il con$oit, vingt et un lorsqu'il redige ce qu'on a consider comme « le plus beau livre de linguistique historique qui ait jamais ete ecrit », le Me'moire sur les voyelles ; il a vingt-deux ans lorsque, juste avant d'obtenir son dipldme, il s'entend demander avec bien- veillance par un docte professeur de l'universite de Leipzig s'il est par hasard parent du grand linguiste Suisse Ferdinand de Saussure ; il n'a pas encore vingt-quatre ans lorsque, aprfcs un semestre d'etudes a la Sorbonne oil il etait alie perfectionner sa formation, se voit confier l'enseignement de la grammaire compare dans la meme faculty et, par la, se charge d'inaugurer la nouvelle discipline dans les univer- sites fran^aises. II est comprehensible que succede aux debuts pr&oces et internes une longue pause de recueillement. Mais la pause se prolonge avec les ann£es : les travaux de Saussure sont toujours des < pieces de musee » <comme le dira plus tard Jakob Wackernagel), mais sont toujours plus reduits et plus rares. En 1894, trois ans apr&s son retour a Geneve, l'organisation du congr&s des orientalistes et la participation a cette manifestation par un m&noire de grande importance dans 1'histoire des etudes baltes sont les dernieres manifestations publiques impor- tantes de son talent. II s'enferme ensuite dans des recherches dont livre parfois quelques mots a ses amis ; mais il observe un silence presque complet devant le public scientifique international. En 1913, juste aprfes sa mort, un eteve et ami genevois ecrit de lui qu'il avait « v6cu en solitaire ». L'image du solitaire se justifie certai- nement par son isolement croissant, par son silence scientifique prolong^, par certains traits de sa vie privee, par la tristesse qui voile les dernieres rencontres avec ses eieves et les lettres. Et pourtant, m£me en termes strictement biographiques, ce serait une erreur que de n'accorder d'importance qu'a la constatation de sa solitude. II eut effectivement peu d'amis : mais c'etaient Michel Breal, Gaston Paris et Wilhem Streitberg, grands noms des etudes Imguistiques et philologiques des deux pays alors k 1'avant-garde en ces domaines, l'Allemagne et la France. Et si ses salles de cours, a Paris et a Geneve, pouvaient paraltre et etaient h moitie vides, la INTRODUCTION III liste de ses ei&ves, recemment reconstituee avec une patience meri- toire, montre que beaucoup d'entre eux ont ete ceux qui vers la fin du xixe sifccle et au debut du stecle suivant ont constitue les cadres moyens, le chatnon vital de l'universite fran^aise et Suisse romande. Plus encore : ceux qui ont guide la linguistique moderne se sont formes a l'enseignement de Saussure : Paul Passy qui, parmi les premiers, eiabora une vision fonctionnelle des phenomenes phonetiques ; Mau- rice Grammont, un maltre de la phonetique du xxe siecle, parmi les premiers a proposer une interpretation systematique des changements diachroniques ; Antoine Meillet, qu'uiv grand philologue comme Giorgio Pasquali considerait comme « le linguiste le plus genial du xx« Steele », chef inconteste de l'ecole fran$aise de linguistique histo- rique, se distinguant par 1'eiaboration et la verification d'une interpre- tation sociologique de 1'histoire linguistique ; Charles Bally, qui a amene a un niveau scientifique les recherches de stylistique des langues ; Albert Sechehaye, qui entrouvrit le fertile champ de recherche a Intersection de la psychologie et de la linguistique ; Serge Karcevskij, qui appliqua au domaine slave la vision dynamique du mecanisme linguistique eiaboree par Saussure, et qui, a Moscou en 1915, a Prague dans les annees vingt, co-auteur des Theses redigees par les linguistes moscovites fondateurs de recole de Prague, a transmis les idees du maltre genevois a Trubeckoj, a Jakobson, et meme a plusieurs des linguistes suisses plus jeunes. II y a la trop de personnalites exceptionnelles pour penser a un pur hasard, pour ne pas y voir le resultat d'une profonde vocation pour reducation a la recherche, le signe d'une voionte de se perpetuer dans les eifeves et de vaincre, par ce moyen, le sens de l'isolement. Le contraste entre isolement et participation ne domine pas seuJe- ment la vie privee, le destin humain de Saussure. Nous le retrouvons a un niveau plus profond dans ses rapports avec la linguistique et la pensee de son temps et du ndtre. Les themes et instances de recherches que nous considerons aujour- d'hui comme typiquement saussuriens circulent dans toute la culture de la deuxifeme moitie du xix« siecle. L'instance d'une grammaire descriptive, statique, est ressentie par Spitzer, accentuee par Whit- ney, Brugmann et Osthoff, Ettmayer, Gabelentz, Marty ; la necessite d'etudier les phenomenes phoniques eii rapport avec leur fonction significative est soutenue par une vaste troupe de savants, Dufriche, Winteler, Passy, Sweet, Baudouin, Kruszewski, Noreen ; Frege dis- tingue entre sens (Bedeutung) et signifle (Sinn) ; Svedelius preconise une « algfebre de la langue » ; Noreen distingue entre etude substan- tielle et etude formelle des contenus semantiques et des aspects phoniques ; Whitney, Steinthal, Paul, Finck insistent sur l'aspect social des faits linguistiques et, avec beaucoup de neogrammairiens, IV INTRODUCTION sur la necessite de considerer la langue dans son contexte social ; Steinthal, sur les traces de Humboldt, propose a nouveau la vision globale des faits linguistiques. On pourrait continuer, en evoquant les reflexions de Schuchardt, qui afflnaient la sensibility a 1'aspect concret individuel de rexpression, les neogrammairiens et la ggolin- guistique, qui soulignaient difieremment 1'aspect accidentel des changements linguistiques, Peirce et Marty qui sentaient l'urgence d'une science generale des signes, et encore Peirce, Marty, Mach et Dewey qui commenc&rent la revaluation des moments abstraits de l'experience humaine. II n'est pas toujours possible de dire si ces savants connaissaient les id£es de Saussure et si Saussure connais- sait les leurs. Mais meme si Ton devait toujours repondre negati- vement, il resterait cependant vrai que, dans l'ensemble, Saussure a v6cu dans un rapport de profonde barmonie, d'echange mutuel avec son temps. On sait d'autre part combien la linguistique, la semiologie, l'anthro- pologie de notre temps doivent a Saussure. Des concepts et des uploads/Science et Technologie/ cours-de-linguistique-generale-saussure-text.pdf
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- Publié le Sep 15, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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