1 La découverte de la radioactivité artificielle par Pierre Radvanyi Directeur
1 La découverte de la radioactivité artificielle par Pierre Radvanyi Directeur de recherche honoraire au CNRS Frédéric Joliot naît à Paris le 19 mars 1900. Son frère aîné est tué dès les premiers jours de la guerre de 1914-1918. Frédéric entre à l'École de physique et chimie industrielles de la ville de Paris et en sort major en physique. En décembre 1924, le directeur des études, Paul Langevin, le présente à Marie Curie qui en fait son préparateur particulier à l'Institut du Radium, créé pour elle en 1909 par l'Université de Paris et l'Institut Pasteur. Marie Curie charge sa fille, Irène, alors son assistante, de piloter le jeune homme. Frédéric et Irène se marient en 1926. Quelque temps après, ils décident d'entreprendre des expériences en commun ; Irène continuera à signer leurs publications de son nom de jeune fille. Ils préparent des sources très intenses de polonium sur de très petites surfaces, grâce aux stocks de Radium D1 accumulés par Marie Curie : les particules alpha 2 émises par le polonium radioactif leur servent de projectiles pour explorer les noyaux. L’héritage de Marie et Pierre Curie Bien naturellement Irène et Frédéric, dans leurs discours Nobel respectifs, rendront hommage à Pierre et Marie Curie, les parents d’Irène. C’est notamment grâce à Marie Curie qu’ils disposaient de sources importantes de corps radioactifs comme le polonium, issu du radium D, provenant d'ampoules ayant contenu du radon à usage médical, que Marie Curie avait soigneusement conservées à l’Institut du Radium. Frédéric Joliot en particulier rendra un hommage émouvant à Marie Curie (elle était disparue en juillet 1934, mais avait eu le temps encore d'assister, en janvier de cette année, à la découverte de la radioactivité artificielle par sa fille et son gendre) : Ce fut certainement une grande satisfaction pour notre regrettée Maître Marie Curie d’avoir vu ainsi se prolonger cette liste des 1 Les éléments de la famille radioactive du radium n’étaient encore pas tous identifiés, aussi portaient-ils ce type de noms (le Radium D est un isotope du plomb). 2 Les particules alpha 4 2He sont des noyaux d’hélium (sans électrons), composés de deux protons et de deux neutrons. Frédéric Joliot les appelle « hélions » dans son texte. 2 radioéléments qu’elle avait eu, en compagnie de Pierre Curie, la gloire d’inaugurer. En 1930, avait été observé à Berlin un rayonnement très pénétrant lors du bombardement de noyaux légers par des particules alpha 3. En janvier 1932, Frédéric et Irène mettent en évidence le fait que ce même rayonnement – qu’ils pensent constitué de rayons gamma – a la capacité d’éjecter des protons de substances hydrogénées (comme la paraffine ou la cellophane). Partant de leurs résultats, un mois plus tard, le Britannique James Chadwick montre qu'il s'agit en fait de "neutrons". En 1934, le jeune couple découvre la radioactivité artificielle – évoquée un peu plus loin –, qui leur vaudra le prix Nobel de chimie. Figure 1 : Frédéric et Irène Joliot-Curie dans leur laboratoire de l'Institut du Radium en 1934 (photographie droits réservés Association Curie-Joliot Curie ACJC) Frédéric est nommé en 1937 professeur au Collège de France et devient directeur du laboratoire de chimie nucléaire de cet établissement, ainsi que du laboratoire de synthèse atomique d'Ivry de la Caisse nationale de la Recherche scientifique, ancêtre du CNRS. Irène, nommée en 1936 professeur à la Faculté des sciences de l'Université de Paris, devient pour quelques mois le premier 3 Cette expérience avait été faite à Berlin-Charlottenburg par Walter Bothe et Herbert Beker, par bombardement de béryllium ou de bore par des particules α issues d’une source de polonium. À l’époque (de 1920 à 1932, avant la découverte du neutron), on pensait que les noyaux étaient constitués de protons, de particules α et d’électrons. Heisenberg rapportait au congrès Solvay de 1933 que « la découverte du neutron par Curie et Joliot et par Chadwick (…) montre de manière certaine que ces neutrons peuvent figurer comme constituants indépendants du noyau à côté des protons et des particules α ». 3 Sous-secrétaire d'État à la recherche scientifique dans le gouvernement de Léon Blum. En décembre 1938, Otto Hahn et Fritz Strassmann découvrent la fission de l'uranium sous l'action des neutrons, dont Lise Meitner et Otto Frisch donneront l'explication physique. Frédéric Joliot se lance aussitôt dans l'étude de ce nouveau phénomène : il confirme sa réalité grâce à l'énergie énorme libérée, puis avec ses collaborateurs, Hans Halban et Lew Kowarski, étudie la possibilité d'une réaction en chaîne. Une remarquable série d'expériences est menée à bien et des calculs d'un "dispositif producteur d'énergie" sont faits avec l'aide de Francis Perrin. Des demandes de brevets sont déposées au début de mai 1939 ; Frédéric prend contact avec l'Union minière du Haut-Katanga – qui mettra 8 tonnes d'oxyde d'uranium à sa disposition –, afin de réaliser une première pile atomique et obtenir de l'énergie pour une utilisation industrielle. En septembre 1939, la guerre vient perturber ce programme, mais les travaux se poursuivent. L'équipe montre que le dispositif doit être hétérogène, l'uranium baignant dans un modérateur qui devrait être de l'eau lourde, et qu'un enrichissement en uranium 235 serait favorable ; le savant danois Niels Bohr avait montré au début de 1939 que c'est l'isotope rare de l'uranium, l'uranium 235, qui subit la fission par neutrons lents. Un commando spécial français réussit à amener l'eau lourde de la Norvège occupée par les Allemands. Cependant, en mai-juin 1940, l'invasion allemande de la France oblige au repli sur Clermont-Ferrand, puis sur Bordeaux : Halban et Kowarski sont envoyés avec l'eau lourde en Angleterre, l'uranium sera caché au Maroc. Joliot décide de rester en France. Il trouve son laboratoire occupé par les Allemands, mais placé sous l'autorité d'un physicien ami, Wolfgang Gentner, qui avait travaillé deux ans à l'Institut du Radium du vivant encore de Marie Curie, et avait assisté directement à la découverte de la radioactivité artificielle ; antinazi, Gentner protègera efficacement Frédéric. Celui-ci s'engage activement dans la Résistance et adhèrera au parti communiste. A la Libération, Joliot est nommé directeur général du CNRS. Le général de Gaulle crée le Commissariat à l'énergie atomique, dont Frédéric Joliot devient le premier Haut Commissaire en 1945. La première pile atomique (réacteur nucléaire) française, Zoé, entre en fonctionnement en décembre 1948. Cependant le savant milite activement dans le Mouvement international de la paix et lance en mars 1950, le fameux "appel de Stockholm" pour l'interdiction 4 de l'arme atomique. Un mois plus tard, en pleine "guerre froide", ses prises de position politiques lui vaudront d'être révoqué de ses fonctions de Haut Commissaire. En 1956, Irène Joliot-Curie meurt soudainement, après avoir établi les plans d'un nouveau laboratoire à Orsay. Frédéric prend sa suite; il organise le nouvel institut, doté d'un synchrocyclotron. Mais il meurt prématurément à son tour en août 1958. Le général de Gaulle décrète des obsèques nationales. Figure 2 : Frédéric Joliot en 1947 dans son bureau du CEA (photographie droits réservés Association Curie-Joliot Curie ACJC). @@@@@@@ Revenons en 1934. En janvier de cette année, Frédéric et Irène Joliot-Curie découvrent que l'émission de positons (on appela ainsi les électrons positifs, par analogie avec "électrons") qu'ils observent lors du bombardement d'une feuille d'aluminium par les particules alpha du polonium est non pas instantanée, mais décroît exponentiellement en quelques minutes. Ils viennent de découvrir la "radioactivité artificielle" : ils ont formé dans l'aluminium un phosphore radioactif, inconnu jusqu'alors, isotope du phosphore stable 4. Ils mettent ensuite en évidence deux autres radioéléments artificiels. Quinze jours plus tard, des séparations chimiques, menées dans des temps très brefs, leur permettent de confirmer cette interprétation. C'est là une généralisation remarquable du 4 La réaction est donnée par F. Joliot dans son texte 27 4 30 1 13 2 15 0 Al He P n + → + ; à partir de l’aluminium, on obtient un isotope inconnu du phosphore 31 15P (l’isotope a 15 neutrons et non 16). Cet isotope étant radioactif, il n’en existe pas dans la nature car ayant disparu depuis longtemps. 5 phénomène de radioactivité qui aura rapidement des suites importantes. La découverte vaudra au couple de jeunes savants le prix Nobel de chimie de 1935. L'électron positif ou "positon" L'électron positif, appelé aussi positon, fut découvert en 1932 dans le rayonnement cosmique par le physicien américain Carl D. Anderson (1905-1991, prix Nobel de physique 1936). Il fut immédiatement considéré comme "l'antiparticule" de l'électron, prédite par le physicien théoricien anglais P.A.M. Dirac. L'absorption dans la matière d'un rayonnement gamma de plus de 1,02 MeV peut donner naissance, par "matérialisation", à une paire électron-positon. Inversement un positon, en fin de parcours, et un électron, en se rencontrant, "s'annihilent", l'énergie correspondant à leurs masses apparaissant sous forme de deux photons, de 0,51 MeV chacun, émis dos-à-dos, ce qui fut vérifié expérimentalement par F. Joliot en 1933. Deux des nouveaux radioéléments découverts par F. et I. Joliot-Curie en 1934 décroissent par émission de positons (première observation de la radioactivité β+) 5. Des confirmations arrivent rapidement des laboratoires étrangers qui emploient des deutons ou des protons comme projectiles : de Berkeley, uploads/Science et Technologie/ decouv-de-la-radioactivite-artificielle.pdf
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- Publié le Apv 30, 2021
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