DIFFUSION DE L’INNOVATION ET GRH : POUR UN MODÈLE INTERACTIF D’ACCOMPAGNEMENT D

DIFFUSION DE L’INNOVATION ET GRH : POUR UN MODÈLE INTERACTIF D’ACCOMPAGNEMENT DE L’INNOVATION LEYMARIE STÉPHANE* INTRODUCTION Tout comme pour la valeur (Bayad, Schmitt, Leymarie 2002), parler d’ i n n ova t i o n ( s ) re n voie à la transversalité et à la polysémie de cette notion. Tr a n s versalité d’une part , car les théories de l’ i n n ovation émanent des différentes disciplines des sciences sociales, notamment de la sociologie qui nous offre certainement un des cadres de r é f é rences des plus prolifiques, mais également de l’économie, de l’ h i s t o i re, de la gestion ou encore de l’ a n t h ropologie. Polysémie d’ a u t re part, car l’ i n n ovation, outre le fait qu’elle soit souvent assimilée, vo i re confondue avec d’ a u t res notions, comme Résumé. Cet article porte sur la diffusion de l’innovation technologique, entendue au sens d’innovation du procédé de fabrication et des conditions de son appropriation par les acteurs-utilisateurs. Dans ce cadre, nous nous intéressons particulièrement au passage d’un modèle traditionnel et linéaire à un modèle interactif d’accompagnement de l’innovation. La première partie tend à souligner les limites du modèle linéaire de diffusion de l’innova- tion technologique en opérant, notamment, une recension des principaux dysfonctionne- ments occasionnés par le manque de prise en compte des utilisateurs. Dans une seconde partie, nous proposerons d’ouvrir le modèle interactif de l’innovation, qui se veut être inté- grateur pour aider les acteurs à mieux coopérer et préparer l’assimilation de nouvelles tech- nologies, à la nécessité de mettre en œuvre des investissements immatériels d’accompa- gnement de l’innovation. __________ * Maître de conférences, CEREMO, 3 Place Edouard Branly, 57070 METZ Tél.: 03 87 56 37 86 — e.mail: leymarie@esm.univ-metz.fr celle du changement1 par exemple (Alter, 2000), peut être envisagée sous de multiples aspects et avec une pluralité de regards. Au-delà des différents sens attribués à cette notion d’innovation, il est convenu de retenir la distinction faite traditionnellement par les économistes de l’innovation entre innovation de consommation, qui concerne le produit et agit sur la demande, et innovation de procédé, qui porte sur le procédé de fabrication et agit sur l’offre (Real, 1990). Il apparaît par ailleurs, au regard de la litté- rature, que les différentes disciplines qui se sont intéressées à l’innovation ont long- temps considéré, de manière assez unanime, que la technique se développait indépen- damment de la société. De récents travaux pluridisciplinaires soutiennent, au contrai- re, une nouvelle approche unifiée de l’action socio-technique des différents acteurs de l’innovation, notamment des concepteurs et des usagers (Flichy, 2003). Ce changement d’approche nous permet de reconsidérer la question essentielle de la diffusion de l’in- novation afin de mieux comprendre les mécanismes par lesquels elle s’installe de maniè- re durable et rentable. Parler d’innovation nécessite donc d’expliciter clairement son propos. Ainsi, notre contribution se situe principalement dans le champ des sciences de gestion et se limite volontairement à la diffusion de l’innovation technologique, entendue au sens d’inno- vation du procédé de fabrication et des conditions de son appropriation par les acteurs- utilisateurs. Dans ce cadre, nous nous intéressons particulièrement au passage, au niveau de l’entreprise, d’un modèle traditionnel et linéaire à un modèle interactif de l’in- novation. Le premier suppose qu’il y ait une succession linéaire d’événements sans retour ni rétroaction : avancée scientifique (nouveaux produits) – nouvelles technologies – organisation du travail – faibles qualification requises. Dans cette analyse, renforcer l’in- novation passe ainsi nécessairement par une augmentation de l’effort de recherche et de développement, qui se décline ensuite en cascade sur les services études, méthodes et fabrication avec son lot de dysfonctionnements à chaque étape. Le second mobilise, quant à lui, l’environnement des firmes. Dans le modèle dit interactif, l’innovation n’est pas une succession de phases isolées mais un aller-retour permanent entre des possibi- lités, des moyens et des stratégies. L’innovation est donc conçue comme une interaction entre, d’une part, les possibilités offertes par le marché et, d’autre part, la base des connaissances technologiques et les moyens dont dispose l’entreprise. Ce changement de paradigme de l’innovation a de multiples implications sur l’or- ganisation et la gestion des ressources humaines. Dans l’innovation linéaire, encore la plus courante dans le secteur industriel car propre au modèle taylorien-fordien (Bardelli, 2002), de nombreux dysfonctionnements jalonnent les différentes étapes de l’innovation, en particulier lors de l’implantation d’une nouvelle technologie dans l’en- __________ 1. Alter souligne que l’innovation représente une trajectoire incertaine, dans laquelle cohabi- tent la force des croyances et la recherche de sens, incitant simultanément à la mobilisation et au désengagement. De fait, l’innovation a peu de choses à voir avec la question du chan- gement, qui représente, selon lui, le passage d’un état stable à un autre. 1778 LEYMARIE STÉPHANE treprise. Le plus souvent, ces dysfonctionnements sont liés au manque de coopérations entre les acteurs (Bernoux, 1996) ainsi qu’au manque d’accompagnement de l’investis- sement industriel par des dispositifs immatériels facilitant l’acceptation du nouvel outil par les utilisateurs (Leymarie, 1999). Chaque acteur ou catégorie d’acteurs, chaque ser- vice, porte un regard différent sur un seul et même objet. Chacun d’entre eux possède une grille d’évaluation de l’outil qui diffère selon ses propres représentations. Il convient donc de traduire des enjeux particuliers au travers d’une question commune (Callon et Latour, 1991) et d’accompagner la nouvelle technologie par des investisse- ments de formes. Cet article a donc pour objet de montrer combien il est nécessaire d’accompagner l’innovation technologique par des dispositifs facilitant sa diffusion dans l’entreprise et son appropriation par les acteurs-utilisateurs. Dans cette perspective, nous nous emploierons dans une première partie à souligner les limites du modèle linéaire de dif- fusion de l’innovation technologique en opérant, notamment, une recension des prin- cipaux dysfonctionnements occasionnés par le manque de prise en compte des utilisa- teurs. Dans une seconde partie, nous proposerons d’ouvrir le modèle interactif de l’in- novation, qui se veut être intégrateur pour aider les acteurs à mieux coopérer et prépa- rer l’assimilation de nouvelles technologies, à la nécessité de mettre en œuvre des inves- tissements immatériels d’accompagnement de l’innovation. I. – LA DIFFUSION DE L’INNOVATION TECHNOLOGIQUE De l’invention à l’innovation Comme le souligne Norbert Alter (2000), «le langage courant, mais parfois aussi celui des sciences sociales, utilisent indistinctement le terme d’invention ou celui d’innovation pour se référer à une situation ou un objet nouveau, caractérisés par la rupture qu’ils représentent par rapport à l’état antérieur». Si cette remarque s’applique toujours au langage courant, elle ne concerne qu’assez peu le langage des théoriciens de l’innovation en sciences sociales, dont certains se sont précisément consacrés à distinguer invention et innova- tion. Bon nombre de travaux d’économistes, au premier rang desquels figurent ceux de Joseph Schumpeter, se situent au cœur de cette différenciation entre invention qui relè- verait de la technique, et innovation qui tiendrait davantage du social (Flichy, 2003). Blaug (1963), par exemple, entend s’intéresser à l’innovation en précisant que les inven- tions et la manière dont elles s’exposent au choix de l’entrepreneur représentent autant de questions qui relèvent d’un «traitement séparé». Selon Schumpeter2, l’invention __________ 2. Voir notamment: Schumpeter J.A., Théorie de l’évolution économique, trad. Française, Paris, Dalloz, 1912/1935; Business Cycles, Mac Graw Hill, 1939; Capitalisme, socialisme et démo - cratie, trad. Française, Paris, Payot, 1942/1972. DIFFUSION DE L’INNOVATION ET GRH 1779 représente la conception de nouveautés d’ordre différents: biens, méthodes de produc- tion, débouchés, matières pre m i è res, stru c t u res de la firme ou technologies. L’innovation représente la mise sur le marché et/ou l’intégration dans un milieu social de ces inventions. L’auteur présente l’innovation comme la réalisation de combinaisons nouvelles entre les différentes ressources de l’entreprise qui reposent sur les «entrepre- neurs» (Alter, 1995). L’innovation représente, dans cette perspective, l’articulation entre deux univers. Celui de la découverte, qui se caractérise par une certaine indépen- dance vis-à-vis des contraintes externes, et celui de la logique de marché et/ou d’usage social, qui représente le moyen de tirer profit des inventions. L’invention n’est donc pas assimilable à l’innovation. La première n’est jamais mécaniquement suivie de la secon- de. Les historiens (White, 1962; Bloch, 1935) nous renseignent avec précision sur la difficulté représentée par le passage de l’invention à l’innovation en insistant sur le rap- port étroit qui existe entre les caractéristiques sociologiques du terrain d’accueil d’une découverte et la plus ou moins grande diffusion qui en résulte. Ils insistent sur le fait qu’il n’existe pas de relation déterminée entre une découverte et son usage (Alter, 2002). Les théories économiques de la diffusion La question de la diffusion de l’innovation et du passage de l’invention à l’innovation, n’est donc pas nouvelle dans les sciences sociales, notamment en ce qui concerne l’in- novation de procédé. Les économistes élaborent dans les années 60 (Mansfield, 1961; Griliches, 1957) un modèle de propagation qui part de l’idée d’imitation (Tarde, 1890) et s’inspire du modèle épidémiologique de propagation par le contact. Selon ce modè- le, la progression d’une innovation en fonction du temps se uploads/Science et Technologie/ diffusion-4.pdf

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