L'Homme et la société Linguistique et sciences sociales : après le structuralis
L'Homme et la société Linguistique et sciences sociales : après le structuralisme Pierre Achard Abstract Pierre Achard, Linguistics and the Social Sciences : Post-structuralism What role does linguistics have in the social and human sciences ? An initial response to this question was proposed around I960 by the structuralist movement, inspired by Claude Lévi-Strauss. Linguistics was considered a model, and the method of phonology was transposed to different fields. However, the lack of specificity proper to this method made it difficult to determine what was proper to language. Since that time, developments in linguistics have simultaneously worked to limit the application of methodologies borrowed from other fields and to stimulate the study of language as a part of social processes. Today, the social sciences are less interested in how the object of research functions as language, and more interested in how it functions with languages. Citer ce document / Cite this document : Achard Pierre. Linguistique et sciences sociales : après le structuralisme. In: L'Homme et la société, N. 97, 1990. Est- Ouest : Vieux voyants, nouveaux aveugles. pp. 67-81. doi : 10.3406/homso.1990.2489 http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1990_num_97_3_2489 Document généré le 16/10/2015 Linguistique et sciences sociales : après le structuralisme Pierre Achakd Le terme de sciences sociales sera pris ici avec son extension maximale. Je ne distinguerai pas a priori entre sciences sociales et humaines. On sait qu'au sein de cet ensemble complexe de disciplines qui se situent entre la biologie et la philosophie et concernent l'Homme, en tant qu'espèce naturelle mais aussi en tant qu'être rationnel, la linguistique a joué un rôle tout à fait spécifique depuis le milieu des années 50. Mais, par contre, on mesure plus mal en quoi la linguistique a profondément changé depuis cette époque, et comment, parallèle ment, la place que les autres disciplines lui attribuent a été elle aussi profondément modifiée. Ce que je présenterai dans cette contribution est un essai de clarification des enjeux actuels liés à ce problème et de prospective des programmes de recherche que ce diagnostic permet d'envisager. Les hypothèses du structuralisme Il a lieu de distinguer dans le mouvement structuraliste, deux points assez différents : les hypothèses du structuralisme en tant qu'école linguistique, et la façon dont ces hypothèses ont été étendues à d'autres domaines de recherche. Pour ce qui est du structuralisme en linguistique, je m'appuierai largement sur ce qu'en dit Jean-Claude Milner. Ce programme de recherche se caractérise par l'application systématique aux données de langue, d'une épistémologie du minimum. Cette épistémologie se caractérise par une méthode qui est celle de la commutation et la notion de pertinence. La notion de pertinence repose sur l'idée que la linguistique ne vise pas à décrire, par exemple, la phonétique des langues naturelles, mais seulement le système des oppositions auquel on peut réduire cette phonétique pour rendre compte de l'existence d'effets de sens. Il s'agit donc d'abstraire, à partir des données concrètes, ce qui a valeur signifiante, sous forme d'oppositions. Ces oppositions peuvent être mises en évidence par l'épreuve de la commutation : on localise dans la chaîne parlée un site d'extension 67 donnée (phonème, place syntaxique, place sémantique) et on constitue la liste des objets de même niveau susceptibles de venir à cette place. Une description est alors assimilable à une typologie des places et à une typologie des objets susceptibles d'occuper ces places. Deux objets sont distincts s'ils peuvent se trouver soit en opposition (s'ils sont susceptibles d'occuper 4 la même place, mais en entraînant des différences de sens), soit en contraste (occupant des places successives dans une même production). Deux unités qui ne sont pas distinctes de ce point de vue strictement formel pourront être identifiées sans inconvénient (notion de variante combinatoire) même si elles n'ont rien en commun du point de vue physique. Ainsi deux sons n'ayant aucune parenté phonétique pourront être considérés comme des réalisations d'un même phonème, non seulement s'ils ne s'opposent pas (si leur commutation sur un même site ne provoque pas d'effet distinctif), mais aussi s'ils sont en distribution complémentaire. Un exemple du premier cas est la double réalisation en français du phonème r (qui, du point de vue phonétique sera uvulaire ou vélaire). Un exemple du second cas (distribution complémentaire) est la réalisation du verbe aller tantôt par le radical ail- (il allait) tantôt par le radical v- (il va) dans la conjugaison. La linguistique structurale a eu d'incontestables succès dans le domaine de la phonologie, et a pu éclairer de façon intéressante certains problèmes de morphosyntaxe et de sémantique. Elle pouvait en outre se prévaloir d'une révolution scientifique, puisqu'elle était en rupture avec la grammaire comparée qui, de son côté, avait constitué un apport scientifique reconnu. Mais cette situation ne suffit pas à expliquer que le modèle structural ait joué un rôle de modèle pour les sciences sociales en général. Pour le comprendre, il me semble qu'il faut tenir compte de trois faits, deux d'entre eux étant de principe, et le troisième étant « accidentel » : la recherche de modèles de scientificité qui caractérise les sciences sociales l'absence de spécificité du modèle structuraliste la personnalité de Claude Lévi-Strauss. La recherche de modèles de scientificité dans les sciences sociales. Il était courant, à la fin des années 50 et au début des années 60, de parler de la situation des sciences sociales en termes de retard {par rapport aux sciences exactes). Alors que l'épistémologie des sciences de la nature est un discours qui s'est développé postérieurement ou simultanément à leur élaboration, c'est un volontarisme épistémologi que qui est à l'origine des sciences sociales. La sociologie en particulier est d'abord issue de considérations théoriques d'Auguste Comte, avant de se réaliser comme discipline. En histoire ou en grammaire, la référence à la science est tardive. L'application aux domaines humains des méthodes des sciences naturelles apparaît comme un impératif et 68 non comme le développement spontané d'une nécessité interne. Ceci signifie que la démarche des sciences sociales repose sur l'application de modèles dans des domaines où ils ne sont pas apparus spontanément. * Ceci n'est pas sans conséquences. Les diverses sciences exactes (physique, chimie, biologie) fournissent leur contingent de modèles adaptés à travers des analogies. De plus, l'unité postulée de la science conduit à chercher une continuité entre le naturel et l'humain. Deux disciplines sont le plus souvent invitées à jouer un rôle de charnière pour assurer cette continuité: la psychologie d'une part {dans une séquence supposée continue physique-chimie-biologie-psychologie- sociologie) et l'économie de l'autre (mobilisant une médiation possible entre ks sciences fondamentales, les techniques et' l'organisation sociale)» En accédant la première à un statut scientifique sans s'être soumise à cette double épistémologie du modèle et de la continuité, la linguistique ouvre donc virtuellement une troisième voie, un modèle alternatif possible pour les autres sciences sociales. Ce modèle présente l'intérêt de ne pas être une transposition des démarches en vigueur dans les sciences de la nature. Au contraire, la découverte du code génétique peut donner l'impression que la biologie elle-même emprunte ses méthodes à la linguistique, tandis que les développements de l'informatique peuvent laisser croire que les technologies elles aussi peuvent utiliser les principes linguistiques. On comprend alors en quoi la linguistique offrait une image tentante pour se débarrasser du retard accumulé et ne plus dépendre d'un modèle de scientificité qu'on ne parvenait pas à rejoindre. L'absence de spécificité du modèle structuraliste. Ce point, souligné par Milner, est effectivement très éclairant. En effetr les principes de recherche de la linguistique structurale, (pertinence, segmentation, commutation, oppositions) sont suffisamment généraux pour pouvoir s'appliquer à toute une série de données qui n'ont rien de langagières. Pour des sciences à la recherche de modèles, le fait que les principes de la linguistique structurale puissent être aussi aisément transposables tombait bien. < . On peut donc sans trop de difficultés traiter la parenté comme si les femmes étaient des messages* les classes sociales comme des places dans les rapports de classe, analyser les mythes comme combinatoire d'éléments symboliques, dire que l'inconscient est structuré comme un langage, etc Mais ces recherches dont il ne faut pas minimiser ce qu'elles ont de productif * il faut le souligner, ne trouvent pas leur origine dans une réflexion sur le rôle du langage dans les processus sociaux. Elles reposent sur le fait que les principes descriptifs qui se sont montrés féconds en phonologie sont transposables dans d'autres domaines. Tout au plus est-on amené à se passer de la contrainte de linéarité. Les 69 différents objets que l'on analyse ainsi deviennent traitables comme des langages parce qu'ils sont segmentables* donc analysables à l'aide de la commutation et de l'oppositon. La théorie linguistique elle-même postulait l'absence de spécificité de son objet, lorsqu'elle soutenait que les langues peuvent différer entre elles autant qu'on veut 4 s'il n'y a pas de limite à ce qui peut séparer deux langues, on ne s'étonnera pas de trouver, dans le champ des objets descriptibles par les méthodes de la linguistique, d'autres choses que les langues. , Le structuralisme linguistique offre donc tout à la fois un modèle de scientificité venu de l'intérieur, même des uploads/Science et Technologie/ achard-pierre-linguistique-et-sciences-sociales-apres-le-structuralisme.pdf
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- Publié le Mar 09, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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