PROBLÈMES DE THÉORIE DES SCIENCES Ludwik Fleck Centre Sèvres | « Archives de Ph
PROBLÈMES DE THÉORIE DES SCIENCES Ludwik Fleck Centre Sèvres | « Archives de Philosophie » 2010/4 Tome 73 | pages 585 à 600 ISSN 0003-9632 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2010-4-page-585.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre Sèvres. © Centre Sèvres. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Tout d’abord il n’existe pas, sauf en rêve, un seul type de science; aujourd’hui il n’existe que des sciences particulières qui, dans beaucoup de cas, n’ont aucun lien entre elles, et dont les caractères fondamentaux diver- gent parfois. On ne peut parler de la science qu’à la manière dont nous employons le mot « art » pour documenter ce qui est commun aux aspira- tions de la musique, de la peinture, de la poésie etc. De même, les différen- tes sciences tendent toutes vers un stade final idéal qu’on pourrait qualifier de connaissance vraie. Mais tout comme l’art n’est pas la somme de la musi- que, de la peinture, de la poésie etc., les sciences non plus ne constituent pas ensemble une totalité cohérente et homogène. Par exemple, le lien entre la linguistique et la chimie est tout à fait insi- gnifiant. Admettons qu’il devrait en être autrement, admettons même qu’un jour il en sera autrement, mais avant que cela n’arrive, la chimie ainsi que la linguistique devront se transformer. La chimie d’aujourd’hui reste en effet très éloignée de la linguistique actuelle. En outre, aucune science ne comporte une image objective du monde, même au sens d’une reproduction sémantique biunivoque. Aucune science ne comporte même une partie d’une telle image. S’il en était ainsi, il y aurait dans la science une partie stable et invariable, de telle sorte que le savoir scientifique s’accroîtrait par le simple accroissement des connaissances. Or, l’expérience nous enseigne que le savoir change sans cesse dans sa totalité. Les éléments fondamentaux les plus sûrs changent. Tout spécialiste sait dis- cerner un vieux manuel de sa science d’un nouveau, car le premier est tota- lement anachronique. Qu’il s’agisse, par exemple, d’un manuel de physique, Archives de Philosophie 73, 2010, 585-600 1. « Problemy naukoznawstwa », Zycie Nauki, vol. 1, 1946, p. 322-336. Nous remercions les éditions UMCS à Lublin de nous avoir permis de présenter ce texte. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:33 - © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:33 - © Centre Sèvres de chimie ou de bactériologie des années 1910 ou 1920, nous nous apercevons qu’il est obsolète non seulement par l’absence des découvertes postérieures, mais par l’entier déroulement de ses argumentations fondamentales. Les sciences ne s’accroissent pas – contrairement aux cristaux – par appo- sition, mais grandissent comme les organismes vivants, en développant cha- que détail, ou presque, en harmonie avec la totalité. Je ne connais aucun résultat constant et définitif dans mon domaine, je sais par contre que tout résultat deviendra tôt ou tard la source de nouvel- les interrogations et, une fois celles-ci résolues, les anciens résultats auront déjà un sens différent de celui que l’auteur lui-même avait admis auparavant. Je sais que les scientifiques s’efforcent souvent de se persuader eux-mêmes et de persuader les autres que ce sont eux-mêmes qui auraient anticipé le nouveau sens par quelque intuition miraculeuse, et pourtant les documents montrent que ce n’est pas le cas. On voit les pierres de construction de son propre travail incorporées dans un édifice assemblé par d’autres scientifi- ques. Et l’auteur est surpris au fond du fait que l’on emploie plutôt cette sur- face comme façade, après l’avoir polie, et que l’on en cache d’autres. Parfois un biseau de cette pierre, mis en relief par la taille, devient la par- tie d’un ornement que l’on n’avait pas du tout prévu. Parfois, au bout d’un certain temps, on voudrait rétracter comme fausse et non viable une idée que l’on avait divulguée auparavant – et on constate avec étonnement que c’est exactement cette idée qui s’est développée et enrichie dans la commu- nauté scientifique. Les résultats scientifiques ont une vie à eux, ils parcou- rent leurs propres voies – ils se transforment aussi rapidement que l’évolu- tion de la science. Il n’y a que les préjugés et les superstitions qui perdurent sans changements à travers les siècles et à cet égard ils se comportent comme les propositions tautologiques des mathématiques et de la logique. On pourrait croire que la transformation constante n’est qu’un stade transitoire qui prouverait l’imperfection de la science actuelle et sa tendance à se perfectionner; qu’un stade final est possible qui ne serait soumis à aucune transformation et que nous sommes en train de nous en rapprocher. Il est vrai qu’aucune science ne comporte encore une partie de l’image objec- tive du monde, mais toutes s’en rapprochent de plus en plus. Puisque toute découverte majeure se répercute sur la totalité de la science, un tel état définitif – ne serait-ce que concernant un seul des grands problèmes – ne pourrait être atteint qu’après la solution de tous les problè- mes. Mais que signifie « tous les problèmes », s’il est vrai que de nouveaux problèmes peuvent surgir sans cesse? On devrait arrêter le mouvement des planètes, le papillonnage de la poussière dans l’air, l’évolution de la nature vivante et – ce qui compte le plus – le mouvement de la pensée humaine, 586 Ludwik Fleck Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:33 - © Centre Sèvres Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 90.66.174.4 - 14/04/2020 06:33 - © Centre Sèvres sans quoi surgiraient des problèmes nouveaux et imprévisibles dont la solu- tion nous forcerait à revoir le système dans son ensemble. Simplicius: Tu te trompes, le nombre des problèmes véritablement dis- tincts est limité. Au fur et à mesure que les sciences progressent, des grou- pes entiers de problèmes se réduisent à un seul problème fondamental et sur- tout les problèmes apparents sont sujets à élimination. Sympathius: Le stade final apparaît donc de la manière suivante: un Codex Pansophiae conclu et, comme adjonction indispensable, un commen- taire de ce code comprenant avant tout les principes de transformation, de réduction et d’élimination des problèmes. De sorte que, par exemple, dans le code il n’y aurait bien évidemment aucune mention de la pierre philoso- phale en tant que telle, mais le commentaire comprendrait un vaste article sur l’évolution de la chimie à partir de l’alchimie ainsi que des renvois au code, au chapitre de physique concernant la transformation des éléments, au chapitre de biologie concernant les hormones, la vieillesse et la mort (l’élixir de longue vie), ainsi qu’au chapitre des pathologies concernant les maladies que cette pierre serait censée guérir. En revanche, en ce qui concerne par exemple la totalité des questions pratiques provenant de la chi- mie, comme la solubilité d’une substance donnée, son point de fusion, ses propriétés optiques etc., le commentaire renverrait à une seule formule du code à partir de laquelle tout cela pourrait être déduit. Dans le commentaire il y aurait aussi une directive concernant la manière dont cette formule est employée à des fins pratiques. Tout spécialiste qui cherche une réponse à un problème relevant d’un domaine différent, devrait d’abord le justifier et le transformer d’après le commentaire. Un philosophe obstiné ne trouverait dans le code aucune réponse aux questions de l’absolu, de la cause première, de l’idée du Bien, de l’essence de toute chose etc. Tout cela, il le trouverait bien plutôt dans le commentaire accompagné par l’explication du pourquoi il faut éliminer toutes ces questions. Un élève qui demanderait à savoir ce que fait le vent quand il ne souffle pas, ou pourquoi il paraissait aux sophis- tes qu’Achille n’arrive pas à rattraper la tortue, ainsi que beaucoup d’autres interrogations comme celles-ci, trouverait ces questions non pas dans le code, mais dans le commentaire, où il lui serait expliqué exactement pourquoi elles ne peuvent pas être posées. Simplicius: C’est tout à fait cela! Sympathius: Je me demande si uploads/Science et Technologie/ fleck-the-orie-de-la-science.pdf
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- Publié le Sep 12, 2021
- Catégorie Science & technolo...
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