Après la parution en octobre 2018 d’une Tribune dans le journal Le Monde présen
Après la parution en octobre 2018 d’une Tribune dans le journal Le Monde présentant l’utilisation de la technolo- gie blockchain pour le cadastre foncier rural comme la « future révolution verte » de l’Afrique, le Comité technique « Foncier & développement » de la Coopération française (CTFD) a souhaité organiser le 10 juillet 2019 une journée de réflexion pour discuter des opportunités comme des risques liés à l’utilisation de cette technologie dans son application au foncier. Cette journée s’est structurée autour de trois contributions : une première contribution d’Étienne Le Roy proposant une analyse de la complexité des besoins de la sécurisation foncière en Afrique et du rôle que les outils sont appelés à jouer dans ce cadre, s’appuyant sur les travaux de la communauté épistémique incarnée par le Comité. Une deuxième contribution de Stéphane Palicot (spécialiste des nouvelles technologies à GEOFIT/IGNFI) qui a présenté ce qu’est l’outil blockchain et ses applications sur le foncier, ainsi que ses spécificités par rapport à d’autres outils de gestion foncière existants, et a proposé une première ana- lyse des risques, opportunités et conditions pour faire de cet outil un réel levier de la sécurisation foncière en Afrique. Une troisième et dernière contribution de Jean-Michel Boisset (ambassadeur du numérique à l’international pour CSN) et François-Xavier Bary (directeur général adjoint de l’ADSN et directeur de l’ARERT) dédiée à l’utilisation de la technologie blockchain faite par le notariat français pour gérer les transactions et mutations foncières. Cette note de synthèse restitue les points saillants de ces trois contributions et des débats qu’elles ont suscité en salle avec les participants. Elle montre en particulier que, si la technologie blockchain appliquée au foncier est répu- tée sécurisée, immutable et infalsifiable, d’une part les conditions de son déploiement en Afrique ne sont pas réunies et d’autre part, elle ne répond que très partielle- ment aux contraintes actuelles de la sécurisation foncière en Afrique, en particulier pour les agricultures familiales. > CE QUE NOUS AVONS APPRIS COLLECTIVEMENT DEPUIS PLUS DE 40 ANS SUR LES DÉTERMINANTS DE LA SÉCURISATION FONCIÈRE1 Genèse de la révélation du paradigme du référent pré-colonial Durant la période coloniale, une doctrine de la supériorité naturelle et de la pertinence indiscu- table de la conception « propriétariste » du foncier se développe. La propriété est associée au progrès et à la civilisation. Elle « s’impose » aux sociétés africaines sous sa forme la plus absolue, telle que définie dans l’article 544 du code civil (alors que la Common law est plus proche des réalités africaines). La double stratégie du colonisateur se précise au tournant du XXe siècle : à la fois asseoir son autorité et contrôler les territoires, mais aussi favoriser la diffusion du capitalisme comme mode de produc- tion. L’équilibre entre ces deux enjeux se négocie les NOTES de SYNTHÈSE Ces notes valorisent les présentations et débats des journées de réflexion organisées par le Comité technique « Foncier & développement » de la Coopération française. Numéro 31 ● Juin 2020 Comité technique >>> Réunissant experts, chercheurs et responsables de la Coopération française, le Comité technique « Foncier et développement » est un groupe de réflexion informel qui apporte depuis 1996, un appui à la Coopération française en termes de stratégie et de supervision d’actions. La technologie blockchain et ses applications sur le foncier Réflexions exploratoires à partir des enjeux propres à la sécurisation foncière des agricultures familiales en Afrique 1. Cette première partie a été rédigée à partir de l’article pro- duit expressément par Étienne Le Roy pour cette journée de réflexion, et intitulé « Pour répondre, en Afrique Noire, à la complexité des besoins de sécurisation foncière, réhabiliter la juridicité endogène et les Communs ». les NOTES de SYNTHÈSE 2 >> La technologie blockchain et ses applications sur le foncier << Numéro 31 ● Juin 2020 et hiérarchiques de l’entreprise coloniale, et de sa politique de soumission des Africains à ses intérêts et attentes, par la mise à disposition de ressources foncières à sa clientèle, tout en respectant les appa- rences d’un État de droit et sous couvert d’huma- nisme et de modernisme. Ce nouveau paradigme qu’est le référent précolonial, dont la fécondité reste intacte 40 ans après sa construction, est le résultat d’une double lecture politique du foncier : l’une historique développée par Jean-Pierre Chau- veau et Jean-Pierre Dozon à partir de leurs travaux sur les économies de plantation en Côte d’Ivoire et au Ghana ; l’autre juridique, se référant à des travaux de terrain menés essentiellement au Séné- gal, influencée par le chercheur américain Francis Snyder et systématisée à l’époque par Étienne Le Roy et Mamadou Wane, Émile Le Bris y apportant une lecture critique à travers son Atlas des terroirs africains. Tous pointent en même temps qu’ils dénoncent, l’image caricaturale, ethnocentrique voire raciste, du foncier colonial africain, et parti- cipent à l’émergence d’une approche pragmatique du foncier qui réhabilite les expériences africaines, leur caractère systémique et communautaire autour du concept de partage. Il se joue ici une rupture conceptuelle et méthodologique dont la justifica- tion reste toujours d’actualité et qui a été réaffir- mée par le CTFD dans le cadre du chantier sur les communs entrepris en 2016. Renouer avec l’esprit et la juridicité des communs Étienne Le Roy distingue trois régimes fonciers qu’il caractérise comme hétéronomes, c’est-à-dire com- plémentaires dans des différences appréciées non pas comme des contraires du référent précolonial, mais comme des conditions d’une approche axio- logique et processuelle. ➤ Le premier ensemble, celui des communs, est le régime foncier inaugural de l’humanité, toujours d’actualité et souvent associé à l’exercice du pouvoir de chefferies fondé sur des actes posés qui peuvent être identifiés par des gestes ou par des situations, telles qu’elles sont interprétées dans ce groupe-là, à ce moment-là. L’innovation scientifique tient à la mobilisation de la notion d’habitus, ces systèmes de dispositions durables (SDD) que Pierre Bourdieu avait analysés sur ses terrains de Kabylie au début des années 1950. Il s’agit de pratiques habituelles que chacun tient pour obligatoires, mais une obligation appréciée dans l’intimité du collectif. C’est là où la sécuri- sation foncière est la mieux assurée. ➤ Le deuxième ensemble intermédiaire est dit coutumier, une coutume qui n’est plus le fourre-tout du référent pré-colonial, mais repose sur les dires et les discours des Hommes et des dans de nombreux pays autour de l’élaboration de politiques basées sur deux types de domaines spécifiques : un domaine privé de l’État obéissant à une réglementation quasi-métropolitaine ; et un domaine privé non affecté (DPNA) recouvrant les terres dites vacantes et sans maître ne faisant pas encore l’objet d’un droit de propriété établi selon les normes de l’immatriculation foncière mises en place par la puissance coloniale. L’État n’est pas le propriétaire du DPNA, mais le gestionnaire et le gardien, charge à lui tant de protéger les intérêts légitimes des autochtones, que de satisfaire aux besoins de terres nouvelles au profit d’investisseurs coloniaux. Mais pour asseoir sa politique de mise en valeur, le colon finit par délégitimer des pratiques et logiques africaines considérées comme archaïques. Le colloque de Lama Kara au Togo et ses suites (mise en place d’un groupe de travail au niveau du ministère de la Coopération française, organisation de journées d’études, parution de Enjeux fonciers en Afrique Noire en 1982, et naissance du Comité technique « Foncier & développement » en 1996) ont permis de révéler les présupposés inégalitaires L’expérience des Communs au cœur des enjeux contemporains « Depuis Grégoire Madjaran et son Invention de la propriété (1991), on sait en effet que la propriété foncière est associée à celle du capi- talisme et qu’ainsi, même compte tenu des pré- cédents du droit romain, il faut attendre le XVIIIe siècle européen pour qu’on puisse effectivement qualifier les rapports fonciers de propriétaristes, parce qu’exclusifs et absolus au profit de la seule personne juridique, d’abord physique (le parti- culier) avant d’être moral (la société). Ce que nous avons eu (et avons toujours) la plus grande difficulté à imaginer puis à accepter, c’est que les Africains, comme le soulignait P. Dareste ci-des- sus, non seulement ignoraient la propriété, mais se refusaient à adopter l’institution proposée. On les supposait privés de toute protection et sécurité, alors qu’ils l’étaient par le régime des Communs. Du fait que la législation française avait, dès 1793, détourné nos pratiques ances- trales médiévales pour en faire des communaux, fraction du territoire communal faisant l’objet d’une gestion partagée mais régie par le droit de propriété, la notion de “commun” était sortie du vocabulaire juridique et institutionnel. Et ce n’est qu’en entrant dans le XXe siècle que l’expé- rience des Communs va reprendre une nouvelle actualité et acuité. » Étienne Le Roy, Pour répondre, en Afrique Noire, à la complexité des besoins de sécurisation foncière, réhabiliter la juridicité endogène et les Communs, 2019. les NOTES de SYNTHÈSE 3 >> La technologie blockchain et ses applications sur le foncier << les NOTES de SYNTHÈSE 3 Numéro 31 ● Juin 2020 coutumes mobilisés dans les enceintes de juri- dictions de droit local. Son support fondamen- tal est constitué des modèles de uploads/Science et Technologie/ fr-note-de-synthese-31-vf.pdf
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- Publié le Jan 10, 2022
- Catégorie Science & technolo...
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