Communication et organisation 10 | 1996 La recherche en communication Paradigme

Communication et organisation 10 | 1996 La recherche en communication Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu’est-ce donc ? Gilles Willett Édition électronique URL : http:// communicationorganisation.revues.org/1873 DOI : 10.4000/ communicationorganisation.1873 ISSN : 1775-3546 Éditeur Presses universitaires de Bordeaux Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 1996 ISSN : 1168-5549 Référence électronique Gilles Willett, « Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu’est-ce donc ? », Communication et organisation [En ligne], 10 | 1996, mis en ligne le 26 mars 2012, consulté le 30 septembre 2016. URL : http:// communicationorganisation.revues.org/1873 ; DOI : 10.4000/communicationorganisation.1873 Ce document a été généré automatiquement le 30 septembre 2016. © Presses universitaires de Bordeaux Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu’est-ce donc ? Gilles Willett 1 Les termes paradigme, théorie, modèle et schéma sont utilisés couramment en science. Ils soulèvent des questions philosophiques, ontologiques, épistémologiques et historiques très importantes. Ils sont souvent une source de confusion alors même qu’ils devraient être un point d’ancrage et un guide pour les praticiens de la recherche scientifique. 2 Il serait difficile d’exposer adéquatement en peu de pages toutes les questions liées à la signification et à l’utilisation des termes paradigme, théorie, modèle et schéma. Le but de ce texte est donc modeste. Il consiste à clarifier le plus possible ces termes en traitant de l’essentiel et en mettant l’accent sur ce qui permet de les différencier. Toutes les ambiguïtés ne seront pas levées. Ces ambiguïtés sont d’ailleurs le signe que l’évolution des connaissances est un processus perfectible, et que la science et les pratiques scientifiques ne sont pas un système monolithique. Ce texte se veut aussi un outil de compréhension et de réflexion sans pourtant refuser la polémique. Paradigme 3 Le mot paradigme est devenu un terme important en science depuis la publication, en 1962, de l’ouvrage de Thomas Samuel Kuhn intitulé The structure of Scientific Révolution. Kuhn est un physicien qui, au cours de sa carrière, s’est consacré à c Hoyningen-Huene (Hoyningen-Huene, 1993), l’ouvrage de Kuhn a été traduit en 19 langues et plus de 740000 exemplaires de l’édition anglaise ont été vendus entre 1962 et 1990. 4 Dans son ouvrage intitulé Reconstructing Scientific Révolutions : Thomas S. Kuhn’s Philosophy of Science, Paul Hoyningen-Huene fait l’analyse et l’exégèse des publications de Kuhn depuis 1959. Physicien et professeur de philosophie à l’université de Constance, Hoyningen-Huene a passé un an auprès de Kuhn au Massachusetts Institute of Technology avant de publier son ouvrage. Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu’est-ce donc ? Communication et organisation, 10 | 2012 1 5 Kuhn a énoncé une théorie du paradigme dans laquelle il tente de distinguer entre deux acceptions de ce concept. « Le terme paradigme est utilisé dans deux sens différents. D’une part, il représente tout l’ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d’un groupe donné. D’autre part, il dénote un élément isolé de cet ensemble : les solutions d’énigmes concrètes qui, employées comme modèles ou exemples, peuvent remplacer les règles explicites en tant que bases de solutions pour les énigmes qui subsistent dans la science normale. » (Kuhn, 1972, p. 207.) 6 Pour Kuhn, le fonctionnement de la science moderne s’appuie sur des traditions de recherche fondées sur un consensus relativement ferme entre les praticiens de la recherche. Ce consensus sur les solutions d’un problème particulier s’établit de deux manières. D’une part, ils sont d’accord sur le fait qu’une situation spécifique articulée d’une manière particulière constitue un problème scientifique. D’autre part, ils sont aussi d’accord sur le fait que la méthode précise utilisée pour traiter du problème constitue une solution scientifiquement acceptable. Les solutions concrètes à des problèmes concrets sont donc acceptées non seulement pour ce qu’elles sont mais aussi parce qu’elles constituent des guides pour la recherche et la pratique scientifiques. 7 Dans la synthèse de son analyse des propos de Kuhn sur la notion de paradigme, Hoyningen-Huene considère que « le rôle central du paradigme dans la théorie de Kuhn est de fixer le réseau des relations de similitudes et de différences. Les solutions à un problème paradigmatique servent aussi de modèle pour les traditions de recherche construites sur la base de paradigmes » (Hoyningen-Huene, 1993, p. 162.) 8 Margaret Masterman, chercheuse en informatique, a fait une analyse critique de l’édition de 1962 de l’ouvrage de Kuhn. Elle considère qu’il a une vision sociologique et non pas philosophique du paradigme. De plus, elle estime que l’étude de Kuhn porte d’abord et avant tout sur le processus global qui conduit à la construction d’une explication scientifique, sans rien présupposer. Dans cette perspective, le « paradigme, c’est ce qui fonctionne même lorsqu’il n’y a pas de théorie » (Masterman, 1970, p. 66) 9 Selon Masterman, Kuhn utilise le mot paradigme de 21 manières différentes. Elle regroupe ces divers sens sous trois catégories de paradigmes. Lorsque Kuhn fait une analogie ou une équivalence entre le mot paradigme et un ensemble de croyances, un mythe, une spéculation métaphysique réussie, un standard, une nouvelle manière de voir, un Principe organisateur qui détermine la perception, une carte routière ou ce qui définit une grande partie de la réalité, Masterman considère qu’il s’agit d’un « paradigme métaphysique ou d’un métaparadigme ». Lorsqu’une analogie ou une équivalence est établie entre le mot paradigme et une découverte scientifique concrète, un ensemble d’institutions politiques, un concept destiné à être structuré et précisé dans des conditions nouvelles ou plus strictes, il s’agit d’un « paradigme sociologique ». Kuhn utilise aussi le mot paradigme dans un sens plus concret en faisant référence à un manuel scientifique ou un texte scientifique classique, une source d’instruments de recherche, une technique ou un système d’appareils, une analogie ou un ensemble de cartes à jouer normales et anormales présentées à des sujets, etc. Pour Masterman, ce sens concret du terme constitue un « paradigme artefactuel » (Masterman, 1970, p. 66.) 10 Les travaux de Kuhn sur les pratiques scientifiques et l’épistémologie ont contribué à transformer la manière dont sont perçus la science, ses méthodes et ses praticiens. Dès le début de son ouvrage, Kuhn indique qu’en essayant de découvrir les différences quant à la nature des méthodes et des problèmes scientifiques entre les sciences de la nature et les Paradigme, théorie, modèle, schéma : qu’est-ce donc ? Communication et organisation, 10 | 2012 2 sciences sociales, il a compris le rôle joué par les paradigmes, « c’est-à-dire, les découvertes scientifiques universellement reconnues qui, pour un temps, fournissent à un groupe de chercheurs des problèmes types et des solutions » (p. 10)1. Son objectif fut alors « de plaider pour un changement dans la perception et l’évaluation des faits essentiels » (p. 11) relatifs aux pratiques scientifiques. Il chercha donc à comprendre et à expliquer les pratiques scientifiques en s’interrogeant sur la science normale et en la définissant. « La science normale, activité au sein de laquelle les scientifiques passent inévitablement presque tout leur temps, est fondée sur la présomption que le groupe scientifique sait comment est constitué le monde. Une grande partie de l’entreprise dépend de la volonté qu’a le groupe de défendre cette supposition, au prix de grands efforts s’il le faut. » (p. 20.) « C’est l’étude des paradigmes [...] qui prépare principalement le chercheur à devenir membre d’un groupe scientifique particulier avec lequel il travaillera plus tard. Comme il se joint ici à des hommes qui ont puisé les bases de leurs connaissances dans les mêmes modèles concrets, son travail l’amènera rarement à s’opposer à eux sur des points fondamentaux. » (p. 25-26.) 11 Lorsqu’un groupe de spécialistes développe un domaine de recherche et trouve un paradigme, ce domaine de recherche devient une science et une discipline. L’existence d’un paradigme est, selon Kuhn, une source de certitude quant à la standardisation des pratiques scientifiques. C’est le seul critère valable pour décider qu’un ensemble de recherches constitue une discipline scientifique. Toutefois, les paradigmes peuvent guider la recherche même en l’absence d’un ensemble complet de règles communes. 12 Les scientifiques n’apprennent jamais des concepts, des lois et des théories dans l’abstrait mais toujours par rapport au paradigme qui les met en évidence. Lors d’une crise scientifique, le paradigme sur lequel s’appuie la pratique scientifique est mis en cause par la formulation de nombreuses théories spéculatives et imprécises qui peuvent mener à des découvertes. 13 Lorsqu’une nouvelle tradition scientifique apparaît, elle est incompatible avec l’ancienne et incommensurable. L’incommensurabilité s’explique par le fait qu’il y a désaccord entre les chercheurs sur les problèmes à examiner, les solutions possibles et les définitions de la science. Il y a certes des emprunts tant conceptuels que pratiques à l’ancienne tradition, mais les usages sont différents. Travaillant dans des mondes différents, les chercheurs de l’ancienne tradition et ceux de la nouvelle tradition voient des choses différentes quand ils regardent dans la même direction à partir du même point. En fait, il faut comprendre qu’un paradigme régit un groupe de savants et non pas un domaine scientifique. 14 Les perspectives de Kuhn peuvent être résumées de la manière suivante. 15 1) La science est fondée sur un uploads/Science et Technologie/ paradigme-theorie-modele-schema.pdf

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