L'INVENTION DE L'EUROPE Du même auteur AUX ÉDITIONS DU SEUIL La Troisième planè
L'INVENTION DE L'EUROPE Du même auteur AUX ÉDITIONS DU SEUIL La Troisième planète collection « Empreintes », 1983 L'Enfance du monde collection « Empreintes », 1984 La Nouvelle France collection « L'Histoire immédiate », 1988 coll. « Points Politique », 1990 CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS La Chute finale Robert Laffont, 1976 Le Fou et le prolétaire Robert Laffont, 1979 L'Invention de la France en collaboration avec Hervé Le Bras Hachette, coll. « Pluriel », 1981 EMMANUEL TODD L'INVENTION DE L'EUROPE ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris vr COLLECfION «L'HISTOIRE IMMÉDIATE» DIRIGÉE PAR JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD ISBN 2-02-012415-7 (ISBN 2-02-011572-7, éd. reliée) © ÉDITIONS DU SEUIL, MAI 1990. La loi du Il mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. à Christine Avant-propos L'Europe dont il est ici question n'est pas le continent propre, apaisé, rationnel, des économistes ou des technocrates, monde prospère et amné- sique dont l'histoire s'inscrit tout entière entre les traités de Rome de 1957 et le grand marché de 1993. Trente-cinq ans de recul, c'est un peu court pour comprendre une civilisation née de la conquête romaine, des inva- sions germaniques et de la christianisation des peuples. L'histoire de l'Europe est longue, brillante et sanglante, accoucheuse simultanément de modernité et de mort. Ses cinq cents dernières années comprennent la réforme protestante au XVIe siècle, la Révolution française au XVIIIe, la montée des socialismes et des nationalismes au xxe, trois épi- sodes décisifs de l'histoire du progrès humain, dont le coût se chiffre pour- tant en millions de morts. L'Europe des années 1517-1945 pourrait être décrite, indifféremment, comme le continent savant ou comme le con- tinent fou, chacune des étapes de sa modernisation mêlant création et des- truction. Les passions européennes, religieuses ou idéologiques, sont inscrites dans l'espace. Telle nation, telle région adhère à la Réforme ou à la Révolution, à la social-démocratie ou à l'anarchisme, au libéralisme, au communisme, au fascisme, au nazisme, et se révèle prête à affronter ses voisines au nom de valeurs aussi absolues qu'indémontrables. La France croit majoritairement en la liberté et l'égalité, l'Allemagne lui oppose des rêves d'autorité et d'inégalité, l'Angleterre ne s'intéresse qu'à la liberté. Quelques régions comme l'Italie centrale combinent amour de l'égalité et goût de l'autorité. La diversité des valeurs européennes explique assez largement le prodigieux dynamisme d'un continent qui ne peut, à aucune étape de son histoire, s'enfermer dans un système mental unique et défi- nitif. Lorsque l'histoire s'arrête en Italie, elle reprend en Allemagne; lors- qu'elle s'épuise en Allemagne, elle renaît en Angleterre ou en France ... Les conflits de valeurs entre zones géographiques expliquent cependant aussi l'extraordinaire brutalité des affrontements des cinq derniers siècles. La civilisation européenne actuelle est le produit d'une synthèse, lente et pénible. Aucune des nations européennes, grande ou petite, ne peut être considérée comme l'inspiratrice de toute la modernité. Considérons par 9 AVANT-PROPOS exemple les trois éléments essentiels du progrès que sont l'alphabétisation, l'industrialisation et la contraception. C'est en Allemagne que l'on peut trouver, dès la fin du XVIIe siècle, des populations globalement alphabéti- sées. Mais c'est en Angleterre que démarre, vers le milieu du XVIIIe, la révo- lution industrielle. Et c'est en France que commence, entre 1750 et 1800, la diffusion du contrôle des naissances. L'état actuel du continent - cultivé, industriel et contracepteur - est le résultat d'une collaboration entre les peuples. Le modèle démocratique européen qui se généralise après la Deuxième Guerre mondiale et qui triomphe à l'Est en 1989, deux siècles après l'ou- verture de l'âge idéologique moderne par la Révolution française, est, comme la richesse matérielle du continent, un produit de synthèse, mêlant des éléments anglais, français et allemands. Le respect des droits indivi- duels est une invention anglaise, le suffrage universel est une contribution française, la sécurité sociale est nettement d'origine allemande. Aucune des trois nations ne peut donc raisonnablement se prétendre créatrice de l'idéal politique qui semble appelé à dominer l'Europe du troisième millé- naire, système essentiellement composite combinant parlementarisme, souveraineté populaire et intégration bureaucratique. Petites nations, présentes et futures Il serait d'ailleurs injuste et absurde de réduire l'histoire de l'Europe à celle de ses nations les plus peuplées - France, Angleterre, Allemagne, Ita- lie, Espagne. Les développements religieux, économiques et idéologiques scandinaves, néerlandais, belges, helvétiques, autrichiens, irlandais, portu- gais, ont leurs logiques propres, dont l'examen gagne aujourd'hui en inté- rêt. Les grandes nations traditionnelles de l'Europe sont en effet en train de devenir petites, à l'échelle mondiale, et ont désormais beaucoup à apprendre de pays habitués depuis longtemps à une certaine modestie diplomatique et militaire. Dans l'état actuel des équilibres démo- graphiques nationaux et mondiaux, même une Allemagne réunifiée ne serait pas, loin de là, un géant historique. Le nombre annuel des nais- sances dans chaque pays nous donne une image simplifiée des populations futures. Or, à côté des vrais géants, les peuples de l'Europe occidentale font plus que jamais figure de poids plume. En 1987 (dernière année dis- ponible) naissent en France 770000 individus, au Royaume-Uni 775000, en Allemagne, de part et d'autre d'un rideau de fer qui existe encore à cette date, 870000. Aux États-Unis, 3 830000. En Russie - une Russie qui aurait conservé l'Ukraine mais perdu toutes ses colonies baltes, cauca- siennes et musulmanes -, 3 400 000. La disparition de la pression com- muniste laisse la place à une pression spécifiquement russe, qui contraint, aussi sûrement que le stalinisme, l'Europe à l'unité. 10 AVANT-PROPOS Or l'Europe politique ne. pourra être réalisée que si la France, l'Angle- terre et l'Allemagne cessent de se penser comme différentes par nature des Pays-Bas, de la Suède ou de la Suisse. L'espace géographique étudié dans ce livre comprend donc toutes les nations occidentales du continent, de la Finlande au Portugal, que celles-ci soient «grandes» ou petites, qu'elles appartiennent ou non à la CEE. Ma définition implicite de la com- munauté historique européenne n'est pas économique mais religieuse. C'est l'ensemble du monde structuré, dès le XVIe siècle, par la polarité catholicisme/protestantisme qu'il s'agit de comprendre, dans son déve- loppement culturel, industriel et idéologique. La Grèce, dont les traditions religieuses orthodoxes mèneraient hors de la sphère catholique-protes- tante, n'est donc pas incluse, malgré son appartenance à la CEE. La Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et les trois nations baltes n'ont pu être intégrées à cette étude malgré leur appartenance à la sphère religieuse occidentale. L'absence de données électorales solides pour les années 1950-1989 interdit dans leur cas toute analyse comparative. La Pologne (catholique), la Tchécoslovaquie (formellement catholique mais dominée par des traditions hussites proches du protestantisme) et la Hon- grie (catholique mais comprenant de fortes minorités calvinistes) figurent sur mes cartes d'Europe comme des espaces vides que la vie politique libre des années à venir permettra de remplir. Il sera bientôt possible d'évaluer la résistance des traditions religieuses et idéologiques polonaises, tchèques et magyares à la tentative stalinienne de destruction des fonds anthropolo- giques nationaux. Le territoire de la RDA est une quatrième case vide sur ces cartes d'Eu- rope, mais il est en réalité étudié en détail avec le reste du cas allemand; l'abondance des séries électorales correspondant aux années 1871-1933 compense suffisamment l'extinction des années 1933-1989. Les fondements anthropologiques de la diversité L'analyse des structures familiales et de leur distribution dans l'espace permet de saisir, à la source, la diversité européenne. Les mondes paysans qui se stabilisent entre la conquête romaine et la fin des grandes invasions ne définissent pas un type unique. Dans certains dominent des systèmes familiaux nucléaires, accordant une large autonomie à l'individu; dans d'autres, au contraire, des systèmes familiaux complexes, attachant forte- ment l'individu au groupe. Parfois le système anthropologique considère les individus comme équivalents à l'intérieur du groupe, parfois comme différents par nature. Les valeurs fondamentales de liberté ou d'autorité, d'égalité ou d'inéga- lité qui stimulent, organisent, guident le mouvement de la modernité sont enracinées dans ce terrain familial originel, substrat primordial dont on 11 AVANT-PROPOS retrouve la marque à toutes les étapes de l'ascension européenne. La diver- sité des systèmes familiaux permet d'expliquer la pluralité des réactions régionales à la Réforme protestante et à la Révolution française, la multi- plication des types de socialisme et de nationalisme au xxe siècle, les apti- tudes inégales des zones géographiques à l'alphabétisation, à l'industriali- sation, à la déchristianisation, à la contraception. Cette diversité anthropologique a-t-elle, en 1990, complètement dis- paru? C'est peu probable. L'examen des évolutions sociales les plus récentes - démographiques, industrielles, politiques -, qui constitue la dernière partie de ce livre, révèle la permanence de certaines détermina- tions anthropologiques importantes. Le passage à la société post-industrielle se fait à des rythmes différents dans les sociétés à fondement individualiste (famille nucléaire), comme la France ou l'Angleterre, et dans les sociétés à fondement anti-individualiste (famille souche), comme l'Allemagne ou la Suisse. Partout, les idéologies socialistes ou nationalistes qui uploads/Science et Technologie/ l-x27-invention-de-l-x27-europe.pdf
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- Publié le Mar 20, 2021
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