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30/4/2020 Au cœur de la famille https://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=40826 1/5 Mensuel N° 314 - mai 2019 L'attachement, un lien vital Au cœur de la famille Héloïse Junier Père et mère, frères et sœurs, papi et mamie… Les liens d’attachement au sein d’une même famille sont multiples. Qu’est-ce qui les distingue ? Comment se construisent-ils ? Quel est le rôle de l’école ? « Si on demande à un enfant de dessiner les membres qu’il considère comme étant membres de sa famille, nous sommes assez souvent étonnés de voir apparaître des acteurs qui, sans ce dessin, seraient restés invisibles à nos yeux. Ces acteurs sont considérés par l’enfant comme des membres à part entière de sa famille », souligne Mohamed L’Houssni, directeur fondateur de l’association Retis (1). Tout enfant s’attache à plusieurs personnes qui constituent, dans sa tête, sa famille de cœur : sa maman, son papa, ses frères et sœurs, ses papis et ses mamies, certes, mais aussi son chien, son chat, sa maîtresse, son atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) ou encore la nounou qui s’occupe de lui. Les liens d’attachement de la vie d’un enfant sont multiples et complémentaires. Du couple conjugal au couple parental À l’origine d’une famille se trouve le plus souvent un couple, à savoir deux personnes attachées l’une à l’autre qui décident de se lancer dans l’aventure de la parentalité. Comme l’indique Michel Delage, psychiatre et auteur de La Vie des émotions et l’attachement dans la famille (2013), cet attachement si particulier qui se constitue entre les futurs parents n’est pas créé de toutes pièces. Il s’enracine dans l’attachement qu’ils ont eux-mêmes construit pendant leur enfance avec leurs propres parents, mais aussi dans le lien qui s’est progressivement établi entre eux depuis quelques années. « Deux à trois ans semblent nécessaires pour que le conjoint devienne une figure d’attachement principale », souligne M. Delage. Sachant que pour une personne sur quatre, l’attachement dans le couple sera plus sécure que celui construit durant l’enfance avec les figures parentales. C’est alors que ce duo amoureux devient parents. L’arrivée d’un enfant les conduit à réaménager leur lien d’attachement et à ouvrir leur intimité à une tierce personne : un bébé. L’arrivée de cet enfant marque le début d’un nouveau cercle relationnel : la création d’une famille. L’attachement aux parents se construit mois après mois Contrairement à d’autres espèces, le lien d’attachement entre un bébé humain et ses parents est loin d’être instantané. Celui-ci se construit progressivement pendant les neuf premiers mois de vie de l’enfant. Durant les trois premiers mois, le bébé recherche la proximité des adultes qui l’entourent. Il n’oriente pas encore ses signaux d’attachement (pleurs, cris, sourires) vers une personne en particulier. Entre 3 et 6 mois, il se tourne peu à peu vers les personnes qui s’occupent le plus de lui au quotidien, celles qui deviendront probablement ses figures d’attachement. Entre 6 et 9 mois, le lien d’attachement se confirme. « L’enfant commence à discriminer beaucoup plus nettement ce qui est familierde ce qui lui est inconnu », note Oriane Cherrier, psychologue clinicienne, psychothérapeute spécialisée dans les problématiques d’attachement et dans la prise en charge des psychotraumatismes à l’institut Michel-Montaigne. L’enfant 30/4/2020 Au cœur de la famille https://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=40826 2/5 commence désormais à adresser ses signaux plus spécifiquement aux personnes qui lui sont familières. Il sourira par exemple davantage à sa maman qu’à sa mamie, il réclamera plus particulièrement la présence de son papa plutôt que celle du voisin. La maman et le papa, deux figures d’attachement essentielles Si le père et la mère sont deux figures d’attachement fondamentales pour l’enfant, l’une apparaît plus prédominante que l’autre. « C’est dans la répétition des interactions quotidiennes que l’enfant va progressivement reconnaître l’adulte qui a été le plus souvent présent pour lui », souligne O. Cherrier. John Bowlby, psychiatre et psychanalyste britannique, fondateur des travaux sur l’attachement, défend une hiérarchisation des relations d’attachement de l’enfant. Même si plusieurs adultes s’occupent de lui, l’enfant aura tendance à s’attacher plus spécifiquement à l’un d’eux, celui qui deviendra sa figure d’attachement principale. Dans notre culture occidentale, il s’agit la plupart du temps de la mère. Les autres personnes qui entourent l’enfant seront ses figures d’attachement dites subsidiaires. C’est-à-dire que l’enfant se tournera principalement vers la mère en cas de besoin si les deux parents sont présents. À l’inverse, si sa mère est absente, c’est vers son père que l’enfant s’orientera et se ressourcera. Pour autant, la place du père dans les travaux d’attachement est au cœur de débats. Aux yeux de Michael Lamb, directeur de laboratoire à l’Institut national de la santé des États-Unis, le père est, biologiquement, autant disposé que la mère pour réagir et répondre aux besoins du bébé. Il souligne que les comportements d’attachement exprimés par le bébé à 7, 8, 12 et 13 mois n’indiqueraient d’ailleurs aucune préférence pour l’un ou l’autre parent (2). « Rien n’empêche donc – si ce n’est les attentes sociales – qu’un attachement de qualité se forme avec le père (3). » M. Delage souligne que la théorie de l’attachement nous permet ainsi de voir un père « tout autre que celui avec lequel la psychanalyse nous a familiarisés ». Le père « symbolique, castrateur, séparateur et interdicteur » de la psychanalyse devient, dans la théorie de l’attachement, une base de sécurité essentielle pour l’enfant. Si les figures d’attachement investies durant la première année de vie sont qualifiées de primaires, celles qui se construiront par la suite sont dites secondaires. Et justement, quelles sont-elles ? Frères et sœurs, papi, mamie, mon chien et moi Si J. Bowlby a essentiellement focalisé ses travaux sur la figure d’attachement primaire de l’enfant (à savoir la mère), des recherches plus récentes ont élargi le cercle d’attachement aux frères et sœurs (4). Et pour cause, O. Cherrier rappelle que les relations fraternelles « sont souvent les plus longues au cours de la vie d’un individu, les parents disparaissant bien avant et les conjoints arrivant bien après ». Les psychologues Olivia Troupel et Chantal Zaouche-Gaudron (5) défendent l’idée selon laquelle un frère et une sœur peuvent être attachés l’un à l’autre, c’est-à-dire trouver en l’autre la protection nécessaire en cas de besoin. Selon ces auteures, il peut exister une base de sécurité « fraternelle » qui est spécifique et complémentaire de celle élaborée avec les deux parents. M. Delage qualifie ces liens fraternels de complexes, où se mêlent « l’agressivité, la régression, la confrontation, la complicité, les alliances et les rivalités ». O. Cherrier indique d’ailleurs que le modèle de caregiving que l’enfant aîné va exercer sur le plus jeune va être clairement influencé par le modèle du caregiving des parents. De même, le degré d’entente entre les deux parents va directement impacter la relation entre les frères et sœurs. M. Delage rappelle qu’un conflit entre les parents, ou le trouble de l’humeur de l’un d’eux, favorise la maltraitance au sein de la fratrie : « Il arrive par exemple qu’un enfant devienne ainsi la victime de ses aînés mais également, à son tour, maltraitant vis-à-vis de ses cadets. » Les papis, les mamies, les tontons et les tatas, la nounou ou encore la maîtresse d’école peuvent devenir des figures d’attachement secondaires pour l’enfant. Ce dernier peut également créer un lien 30/4/2020 Au cœur de la famille https://www.scienceshumaines.com/articleprint2.php?lg=fr&id_article=40826 3/5 d’attachement avec l’animal qui vit sous son toit, un chien ou un chat par exemple. Cette relation permettrait d’ailleurs de réduire l’insécurité affective des enfants « n’ayant pas noué un attachement “sécure” avec leur mère, leur père ou tout autre partenaire humain », note Hubert Montagner (6). Former les acteurs de l’école à la théorie de l’attachement À l’occasion des Assises de la maternelle qui se sont tenues en mars 2018, Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et directeur d’enseignement à l’université de Toulon, a insisté sur l’importance d’un lien d’attachement de qualité entre l’enfant et les adultes qui s’occupent de lui, enseignants et atsem. Une meilleure diffusion des travaux sur l’attachement, selon lui, s’imposerait. Celui-ci estime que la formation actuelle des enseignants en maternelle et des atsem est insuffisante pour bien sécuriser les enfants et favoriser leurs apprentissages scolaires. « Dans l’immense majorité des situations, la performance intellectuelle dépend des relations avec la famille d’abord, l’école ensuite, et de la qualité de l’attachement acquis par l’enfant », note le neuropsychiatre. Un point de vue que partage Catherine Gueguen, pédiatre formée à la communication non violente et à l’haptonomie, auteure de Heureux d’apprendre à l’école. Comment les neurosciences affectives et sociales peuvent changer l’éducation (2018). La pédiatre rappelle à quel point la vie émotionnelle d’un enfant, et notamment la relation à son enseignant, est étroitement liée à la mobilisation de ses compétences cognitives telles que sa mémoire, sa compréhension, son attention, son raisonnement ou sa créativité. Par ailleurs, une relation empathique entre l’enseignant et ses élèves contribue aussi au bien-être de l’enseignant lui-même, à son sentiment de compétence, et le préserve du burnout. Une bonne relation favorise les apprentissages Le lien entre une relation de qualité avec l’enseignant et de meilleurs apprentissages uploads/Science et Technologie/ au-coeur-de-la-famille.pdf

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