37 La formation à la recherche en éducation au Vietnam: Quels déis ? Synergies

37 La formation à la recherche en éducation au Vietnam: Quels déis ? Synergies Pays riverains du Mékong n° 8 - 2016 p. 37-49 TRAN hanh Ai Université de Can ho, Vietnam ttai@ctu.edu.vn GERFLINT ISSN 2107-6758 ISSN en ligne 2261-2777 Résumé La place très modeste des universités du Vietnam dans les classements mondiaux traduit le sous-développement scientiique de ce pays. Particulièrement en sciences de l’éducation, la situation est très décevante: de 1996 à 2010, seulement 39 articles sont publiés dans les revues internationales, mais on a formé des centaines de titulaires de master et de doctorat. Se pose donc la question de la qualité de la formation des jeunes chercheurs. Dans cet article, nous présentons le résultat d’un examen exploratoire mené sur plus de 600 titres des mémoires de master en sciences de l’éducation soutenus dans les universités vietnamiennes, et les premières esquisses sur les causes du sous-développement de la recherche en éducation. Mots-clés: crise éducative, sous-développement scientiique, formation à la recherche, Vietnam Traning for research in Education in Vietnam: What challanges? Abstract The backwardness of scientiic research of Vietnam was expressed through extremely modest position of Vietnamese universities in the World Universities Rankings. Especially in the educational sciences, the situation is even more disappointing: from 1996 until 2010, only 39 papers have been published in international sc฀entiic journals by Vietnamese scientists, but they have trained several hundred master and PhD students. Once again, we have to pay careful attention to the quality of training young researchers. In this paper, the results of a preliminary examination of over 600 titles of master dissertation in educational sciences are reported, to identify causes of the weakness in educational research of Vietnam and to suggest some fundamental solutions. Keywords: education crisis, scientiic backwardness, training for research, Vietnam Après une première publication en anglais1 des résultats de nos recherches et rélexions sur la formation à la recherche en éducation au Vietnam, il nous semble important voire stratégique de les exprimer en français langue internationale et Synergies Pays riverains du Mékong n° 8 - 2016 p. 37-49 d’avoir l’occasion d’approfondir cette problématique. Depuis une dizaine d’années en effet, beaucoup de chercheurs n’ont cessé de parler des faiblesses de l’édu- cation du Vietnam, de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur. Le professeur émérite Nguyen Dang Hung (Université de Liège) lui a consacré ces mots lugubres : « C’est une malade très grave ». En effet, l’éducation vietnamienne fait face à beaucoup de dificultés de différents niveaux, dans plusieurs domaines, dont la recherche scientiique et la formation à la recherche (encadrement des étudiants de master et de doctorat). Tellement que le vice-ministre de l’Education et de la formation, M. Bui Van Ga, s’est exclamé : « La recherche scientiique ne se développera jamais dans les universités si la situation actuelle n’est pas changée ». Pour remédier radicalement à une maladie, le diagnostic doit en dépister exactement l’origine. Pour résoudre les problèmes éducatifs, il faut bien préciser les causes qui les ont provoqués. Dans le cadre de cet article, nous présenterons les efforts que nous avons mis pour identiier les causes qui empêchent l’éducation vietnamienne de se développer. 1.Contexte : bref bilan de la recherche scientifique du Vietnam La recherche scientiique d’un pays est souvent évaluée quantitativement, selon la quantité des articles publiés dans les revues internationales, et qualitativement, selon l’indice de citation de ces articles, entre autres. Dans l’ensemble, ce sont des critères objectifs qui attestent le niveau de développement scientiique d’un pays. 1.1. Quelques données statistiques 1.1.1. De la recherche scientiique en général Selon les données publiées par ISI Web of Science (20 octobre 2012), pendant la période 1970 - 2011, les scientiiques vietnamiens ont produit 10745 articles, soit 22% de la Thailande, 27% de la Malaisie, et 11% de Singapour : Tableau I. Quantité des articles scientiiques publiés dans les revues inter- nationales 1970-2011 Pays 1970-1979 1980-1989 1990-1999 2000-2011 1970-2011 Vietnam 156 448 1702 8425 10745 Indonesia 323 1087 2579 7992 11988 Philippines 830 1984 2799 6849 12503 Malaysia 1288 2426 5243 31353 40349 Thái Lan 1427 3651 6573 37640 49317 Singapore 1080 3877 17272 75641 97931 Source: Nguyen Van Tuan (2013a). Si l’on compare la performance des scientiiques vietnamiens avec quelques grandes universités de la région, elle est même inférieure à celle de l’Uni- versité Chulolongkorn ou Mahidol (Thailande) ou l’Université de Malaya (Malaisie) 38 La formation à la recherche en éducation au Vietnam : Quels déis? (Nguyen Van Tuan, 2013a). L’observation suivante en dit long des universités vietnamiennes : « Depuis longtemps, aucune université vietnamienne n’est classée dans le top 500 des classements internationaux. On ne sait pas exactement comment est évaluée l’éducation vietnamienne, mais il est clair qu’elle est très mauvaise » (Nguyen Dang Hung, 2012a). 1.1.2. De la recherche en sciences de l’éducation De 1996 à 2010, les chercheurs en sciences de l’éducation ont publié 39 articles de recherche dans les revues internationales (Pham Thi Ly & Nguyen Van Tuan, 2012). Si l’on compare cette performance avec celle des pays voisins, la production scientiique des Vietnamiens sont extrêmement minimes: 2,68% de Taiwan, 3,25% de Hong Kong, 5,01% de Singapour… Tableau II. Quelques données statistiques sur la publication en sciences de l’éducation de certains pays d’Asie 1996-2010 Pays Nombre d’article Nombre de citation Indice de citation Indice H 1 Taiwan 1.455 7.672 9,11 34 2 Hong Kong 1.193 6.194 7,34 28 3 Chine 905 2.490 8,18 17 4 Singapour 777 3.037 5,51 23 5 Japon 652 1.826 3,67 17 6 Inde 544 674 2,59 9 7 Korée du Sud 518 1.718 7,05 18 8 Malaisie 399 895 4,93 14 9 Thaïlande 177 310 2,91 8 10 Philippines 111 136 2,75 6 11 Bangladesh 68 87 2,24 5 12 Indonésie 50 93 2,51 5 13 Vietnam 39 62 2,22 4 14 Cambodge 8 6 0,54 2 Source: Pham Thi Ly et Nguyen van Tuan (2012) Quoiqu’il possède une grande quantité de professeurs et professeurs associés (9.000), et de titulaires d’un doctorat (24.000), le Vietnam reste encore un pays scientiiquement sous-développé. Cela est perçu depuis longtemps et n’est justiié que par ces données statistiques. Cette situation nous pousse donc à remettre en question la qualité de ce corps intellectuel. 39 Synergies Pays riverains du Mékong n° 8 - 2016 p. 37-49 1.2. Quelques observations sur la recherche scientiique du Vietnam 1.2.1. De la part des scientiiques travaillant à l’étranger Le professeur Tran Van Tho (Université Waseda, Tokyo, Japon), qui a collaboré pendant plusieurs années avec des universités vietnamiennes dans la formation en sciences économiques, a fait des remarques sur la rédaction des thèses des doctorants vietnamiens : « Le choix des sujets de thèses a fait que les thèses de doctorat n’assurent pas les caractères académiques et la plupart d’entre elles manquent d’origi- nalité. Par conséquent, la qualité de ces thèses sont loin d’atteindre le standard minimal international, et les titulaires de ce diplôme sont incapables d’entrer en discussions scientifiques avec leurs collègues étrangers » (Tran Van Tho, 2003). Dans le domaine des sciences médicales, le professeur Nguyen Van Tuan (Université New South Wales, Australie) a fait des remarques analogues : « J’ai lu des thèses de médecine soutenues dans les universités du Sud et du Nord du Vietnam, et la plupart d’entre elle ne sont que des combinaisons de deux ou trois rapports d’une seule recherche. Leur contenu est très simple, et ressemble à des états de lieu cliniques, une sorte d’exercice de statistique des cas de malade. Il n’est pas exagéré de dire que la grande majorité des thèses que j’ai lues équivalent à un mémoire de licence d’honneur ou de master [soutenus en Australie] » (Nguyen Van Tuan, 2013c). Le professeur P. Darriulat, membre de l’Académie des sciences de France, fondateur du Laboratoire des rayons cosmiques (Institut des sciences et techno- logies nucléaires de Hanoi), s’exprime en ces termes en parlant de la formation doctorale au Vietnam : « Un récent article publié dans le journal An Ninh Thu Do rapporte certaines dysfonctions du système vietnamien de formation doctorale. La grande dysfonction est illustrée par le cas des achats des thèses au prix de 500 million VND [...]. La seconde est l’incapacité des jurys chargés d’évaluer les compétences de recherche et les connaissances des doctorants, ou d’une manière tacite, leurs membres sont incompétents ou corrompus, ou les deux2 » (Darriulat P., 2012). Le professeur Nguyen Dang Hung (Université de Liège, Belgique), a fait des remarques détaillées sur la formation doctorale du Vietnam : « La formation doctorale est pire. Dans les années 1990, les universités et les centres de recherche se sont hâtés d’ouvrir des formations de master sans prépa- rations nécessaires des curricula et de la qualité de recherche. […] Nombreux 40 La formation à la recherche en éducation au Vietnam : Quels déis? sont les titulaires du master et du doctorat formés sur cette base précaire et ils deviennent des personnes-ressources dans beaucoup d’universités et de centres de recherche. Ils empêchent les diplômés revenus des pays développés de mettre en œuvre leurs connaissances et compétences » (Nguyen Dang Hung, 2012b). uploads/Science et Technologie/ la-formation-a-la-recherche-en-education 1 .pdf

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