ÉLÉMENTS DE PRATIQUE POUR L'ANALYSE DES INSTITUTIONS PAR Lionel CHATY IDRH, Con
ÉLÉMENTS DE PRATIQUE POUR L'ANALYSE DES INSTITUTIONS PAR Lionel CHATY IDRH, Conseil en Organisation "Le seul moyen d'accéder à la science, c'est de rencontrer un problème, d'êtrefrappé par sa beauté, d'en tomber amoureux, de luifaire des enfants, de fonder une famille de problèmes". Karl Popper En soi, l'analyse des institutions n'est pas une méthode. Elle correspond plus à une approche guidée par un objet de recherche, un terrain d'observa- tion et l'usage d'outils théoriques et méthodologiques existants. Ainsi, analyser une ou des institutions conduit à mobiliser différentes méthodes (entretiens, observation, analyse statistique, comparaison...) qui, par leur combinaison, serviront de support à une démonstration raisonnée. Dès lors, loin de nous l'ambition de présenter un état théorique, voire de faire un bilan de ce que peut recouvrir l'analyse institutionnelle. D'innombrables conseils de sources diverses ont été prodigués aux étudiants, aux chercheurs et à tous ceux qui se donnent pour tâche de comprendre et de retranscrire la "réalité" d'une insti- tution - ou, plus précisément, d'en proposer une interprétation. Ce texte s'organisera donc plutôt autour de questions nées de notre propre pratique d'analyse des institutionsl . 1. Nos travaux relatifs à l'analyse des institutions ont la particularité d'avoir été orga- nisés et produits à partir de différentes positions que nous avons occupées successivement CURAPP, La méthode en Actes, PUF, 1999. 254 LES MÉTHODES AU CONCRET L'on sait également les difficultés (matérielles et méthodologiques) aux- quelles on s'affronte lorsqu'on est au pied du mur d'une institution: la défini- tion positiviste de la science et ses préceptes pour le positionnement de celui qui analyse sont parfois de peu d'utilité. Toutefois, souvent, ils servent à ras- surer, à éclairer tel ou tel aspect de la recherche, ou constituent une balise lorsque la complexité institutionnelle demande des repères tangibles. Il n'en reste pas moins que - quelles que soient les préoccupations ou la position institutionnelle de l'analyste -l'ensemble de la démarche d'analyse institutionnelle s'apparente souvent à un "bricolage" fait de théories et de leçons d'expériences personnelles, ces deux dimensions constituant les élé- ments structurants de tout travail. En raison de ces constats, évidents pour tous ceux qui se sont engagés dans des travaux de recherche, nous aboutissons à une difficulté majeure: peut-on prodiguer des conseils méthodologiques par écrit, qui ne pourront prendre sens que dans des situations d'observation spécifiques, et donc devenir au moins partiellement inopérants ?2 A ce titre, la situation du directeur de recherche est mieux adaptée par certains aspects : proximité de l'objet, échanges réguliers oraux et écrits avec le chercheur, accompagnement de l'évolution de la problématique, traitement des difficultés concrètes rencon- trées (ouvrir les portes des interlocuteurs considérés comme essentiels, traite- ment statistique ou non, élaboration d'un guide d'entretien...). Dès lors, une question s'impose: quelle peut être l'utilité ou la portée d'un texte consacré à la méthode? On peut apporter deux types de réponses à cette interrogation: * En premier lieu, un texte méthodologique peut revêtir, au-delà des limites posées plus haut, un intérêt pédagogique. Pour reprendre l'image de la balise, des conseils méthodologiques peuvent constituer des repères pour accompagner un chercheur dans des moments difficiles. Ils ont véritablement servi lorsqu'ils peuvent être intégrés en "toile de fond" et mobilisés de manière circonstanciée - lorsqu'un interlocuteur s'enquiert de l'arsenal méthodolo- gique par exemple. Ces conseils relèvent ainsi de la boîte à outils, ou de la grille de lecture, celle avec laquelle tout chercheur doit aborder un terrain : que faut-il observer? comment? en respectant quel ordre ? en adoptant quel regard sur ses propres pratiques, et mieux, sa propre position? (suite note 1) (chercheur universitaire, chercheur répondant à des commandes et impliqué dans des groupes "pluridisciplinaires", consultant en organisation). Nous tenons à remercier Yannick Barthe et Nicolas Pette pour leur relecture et leurs commentaires. 2. Question posée dans l'introduction de l'ouvrage de Champagne (P.), Lenoir (R.), Merllié (D.), Pinto (L.), Initiation à la pratique sociowgique, Paris, Dunod, 1990. L'ANALYSE DES INSTITUTIONS 255 * la seconde réponse est la suivante: l'intérêt d'un texte qui traite de méthodologie est de questionner l'intérêt des conseils méthodologiques. Car, il est certes bon de donner du sens à ce qui pourrait apparaître - à défaut de grille de lecture - comme un point de détail, de ne pas sous-estimer cer- tains aspects a priori secondaires, de comprendre ce qui, dans sa propre position, agit sur les conclusions de la recherche... Bref, de maîtriser l'arse- nal des outils constituant ce que l'on peut convenir d'appeler un certain "savoir-faire". Cependant, à chaque situation d'observation correspondent des contraintes méthodologiques différentes. Dans le pire des cas, un respect strict des préceptes méthodologiques sans interprétation ou adaptation à un contexte donné peut conduire à ériger en dogme ce qui ne devrait être qu'un support souple de travail. Le produit de la recherche ne sera qu'une tentati- ve de mise en application d'une grille de lecture et l'objet analysé un simple support - voire une justification de cette grille de lecture (nous n'irons pas plus loin dans ce sens puisque la question ultime de ce raisonnement interro- ge le statut même de la science). Dès lors, il importe de poser comme princi- pe qu'à chaque institution observée correspond un matériau ou une boîte à outil spécifique. De ces deux réponses, nous tirons une conclusion à "mi-chemin" : la boîte à outil méthodologique (1) est nécessaire mais elle ne peut être considérée comme pertinente que dans la relation qui l'unit à la position de l'analyste (2), à l'objet de sa recherche (3) et à son terrain empirique (4). C'est la cohé- rence de ces éléments qui permet de considérer un travail comme étant digne d'intérêt, comme enrichissant le stock des connaissances sociales et scienti- fiques. Ainsi, les préceptes des dispositifs de recherche traditionnels (neutra- lité de l'observation, recul vis-à-vis de l'objet étudié, objectivation de la situation, rupture épistémologique) ne sont que très rarement respectés dans leur cohérence avec la position du chercheur, l'objet de la recherche et le ter- rain d'analyse. Ils n'ont, dans l'absolu, qu'un très faible intérêt - même s'ils restent, nous le répétons, importants en tant que balise - puisqu'ils n'intègrent pas l'ensemble extrêmement vaste des multiples positions occu- pées successivement par l'observateur, ni l'extrême complexité de l'objet et du terrain étudiés. Au fond, lorsque l'on confronte des études sociologiques exemplaires, pour lesquelles on peut voir des différences de méthodes ou d'objets de recherche, elles accusent souvent des différences de points de vue liés à des partis pris théoriques, des terrains d'étude, et à l'ensemble des élé- ments (sociaux, institutionnels, de trajectoire...) constituant la position de l'observateur; ces dimensions étant bien évidemment évolutives. Pour illustrer ces propos, ont peut envisager par exemple deux postures distinctes de traitement d'un entretien: Dans le premier cas, un sociologue peut poser comme principe pour une enquête par entretien, de gommer la "violence symbolique" liée à la situation de l'entretien et aux positions sociales différentielles de l'agent interviewé et 256 LES MÉTHODES AU CONCRET du sociologue3• Cette posture induira que les questions aillent "dans le sens" de l'enquêté, refusant de lui faire violence ou refusant de renforcer sa position de dominé4 face à l'enquêteur ou au monde qu'il représente (par l'intermé- diaire de son "capital culturel"). Dans le prolongement de cette démarche, c'est au sociologue, au cours de son analyse, de décrypter l'entretien, de faire émerger ce qui fait sens "inconsciemment" pour l'agent interrogé. Ce position- nement répond donc à une théorie de "l'inconscient", qui correspond très directement à un objet de recherche: faire apparaître, mettre en évidence ce qui échappe à l'enquêté lui-même dans le cadre de son propre discours, faire émerger les structures sociales qu'il fait s'exprimer "inconsciemment". Par ailleurs, le dispositif de recherche est également un élément important du sys- tème. En l'espèce, il s'agit de faire en sorte que l'enquêté soit en situation de confiance vis-à-vis de son interlocuteur. Dans un second cas, un autre sociologue peut poser comme principe pour une enquête par entretien avec les mêmes agents, de restituer des représenta- tions ou des valeurs qui sont mobilisées en cas de conflits, et qui vont structu- rer les discours de justification. L'objet est bien différent du premier cas puisque ici, c'est l'explicitation qui est recherchée, le "conscient" exprimé par l'agent. Dans ce cas, le dispositif d'enquête n'est plus le même: on estime que c'est l'univers de justification qui doit être explicité et, pour que l'explicite apparaisse, l'interviewé doit être sommé de se justifier; ce qui induit nécessai- rement l'étude des conflits et des controverses. Le sociologue peut ainsi être amené à user de la "violence symbolique"5 en tant qu'outil de travail, afin de faire émerger sur un plan discursif les systèmes de justification et les ordres de grandeur mobilisés par l'interviewé. Ce dispositif de recherche est donc fonda- mentalement différent du premier. Ces deux exemples induisent bien évidemment une question: est-ce qu'il existe un objet, un dispositif de recherche ou des résultats plus "scientifiques" dans un cas ou dans l'autre ? La réponse ne peut être que nuancée: cette com- 3. Cette violence symbolique, c'est-à-dire non explicitée comme telle, ponrra s'exprimer uploads/Science et Technologie/ lionel-chaty.pdf
Documents similaires
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 04, 2023
- Catégorie Science & technolo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.8704MB