Du même auteur 100 Mots pour juger des inventions qui vont changer le monde (av

Du même auteur 100 Mots pour juger des inventions qui vont changer le monde (avec Catherine Ducruet et France Niedercorn) Les Empêcheurs de tourner en rond/Les Échos, 2003 Quand meurent les neurones (en collaboration avec William Camu) Dunod, « Quai des sciences », 2003 Savants sous l’Occupation Enquête sur la vie scientifique française entre 1940 et 1944 Seuil, « Science ouverte », 2004 et Perrin, « Tempus », 2008 (poche) Les Briseurs de machines De Ned Ludd à José Bové Seuil, « Science ouverte », 2006 Un iceberg dans mon whisky Quand la technologie dérape Seuil, « Science ouverte », 2009 et « Points Sciences », 2016 La Tête dans un sac de cuir La vie de Mohammed Ben Allel Sidi Embarete, mort au combat contre les Français le 11 novembre 1843 (en collaboration avec Ahmed Mebarek Ben Allel) Éditions du Tell, 2011 Le Midi en résistance Papillon rouge éditeur, 2011 Pourquoi Hitler n’a pas eu la bombe atomique Economica, 2013 ISBN 978-2-02-117597-4 © Éditions du Seuil, septembre 2016 www.seuil.com Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. TABLE DES MATIÈRES Titre Du même auteur Copyright Avant-propos 1 - Fraudeurs en série Cloneur coréen Psychologue batave Physicien allemand Imposteurs français Recordmen internationaux 2 - Grands fraudeurs, petits menteurs Premiers scandales Définir la fraude Toutes ne meurent pas L’explosion des rétractations en biologie 3 - Raconter, frauder ? Une belle histoire Des dangers de l’intuition Et des dangers du conformisme Cuisinage technologique 4 - La recherche qui trouve Histoire de p Des chercheurs de plus en plus perspicaces ? On ne publie que ce qui marche 5 - Cuisine industrielle Crise de reproductibilité Un embellissement généralisé ? Suspicieuse industrie 6 - Concurrence libre et très faussée Une hypothèse optimiste Multicentrisme Publier plus pour gagner plus Hyperproductivité 7 - Comment publier sans chercher Plagier Voler Sous-traiter Mécaniser 8 - Qui paye décide L’effet financement L’industrie n’est plus seule en cause Un détour conspirationniste L’homme aux rats 9 - Plaire au chef 10 - Littérature toxique Gaspillages Ivraies Le flou sur les rétractations 11 - Frauder tue Décès évitables 12 - Dans la jungle de l’édition scientifique Accès libre Revues prédatrices Vers le libre accès pour tous 13 - Après le déni Premières mesures De l’ORI à l’Europe Impuissance institutionnelle Se faire justice soi-même ? 14 - Omerta française ? Et en pratique ? Tabous persistants Suspicions sur un académicien Et sur un autre académicien Réformes 15 - Délinquance scientifique ? Un Nobel accusé de fraude Autorité de la chose jugée 16 - Pour une science lente Communalisme Vertus du partage Haro sur le facteur d’impact Envahissante bibliométrie Publier moins, publier mieux Annexe - Déclaration de Singapour sur l’intégrité en recherche Préambule Principes Responsabilités Notes Remerciements Avant-propos En octobre 2014, Arturo Casadevall et Ferric C. Fang, de l’Albert Einstein College of Medicine, ont proposé dans la revue Microbe une amusante nosographie des sciences 1. La nosographie est la branche de l’art médical qui s’occupe de décrire et de classer les maladies. Personne ne se dit, à notre connaissance, nosographe, et c’est bien regrettable, car nous aurions eu le plus grand respect pour l’érudit se risquant à consacrer ses recherches à cette science délicate et subtile qui doit sans cesse affronter deux difficultés d’ampleur. La première est de regrouper, selon une classification raisonnée, certains des symptômes que manifeste le corps humain souffrant pour constituer une maladie, laquelle aura alors pour inexorable effet de créer des malades, tant il est réconfortant de savoir que ce dont on souffre porte un nom, de surcroît savant. La seconde est de devoir en permanence affronter la difficulté de distinguer, pour reprendre le titre de la thèse de Georges Canguilhem, le normal du pathologique. Il y a là quelque chose d’une navigation entre Charybde et Scylla : à trop s’approcher du normal, on risque de négliger le ressenti du malade, qui se sent tel ; à trop côtoyer le pathologique, on s’expose à se transformer en un censeur plus ou moins policier, rejetant toute particularité singulière dans le champ de la maladie. On découvre dans l’article de Casadevall et Fang l’existence de l’Amnesia Originosa, incapacité à reconnaître l’origine d’une idée que l’on s’attribue. Ou de la nobélite, « trouble rare mais invalidant, qui ne frappe que les scientifiques les plus reconnus », qui peut se manifester en septembre (les prix Nobel sont décernés durant la première quinzaine d’octobre par l’Académie royale des sciences de Suède) « par des hallucinations auditives en cas d’appel téléphonique de personnes ayant un accent suédois », et se transforme le plus souvent ensuite en épisodes dépressifs, sauf si la nobélite évolue en hyperpromotionnite, « surestimation récurrente de l’importance de ses propres découvertes, dont un des signes est le zèle avec lequel les personnes atteintes sollicitent l’attention des médias ». Il y aurait donc des chercheurs ingrats, vaniteux ou avides d’honneurs. L’histoire des sciences nous en a à vrai dire fourni déjà quelques beaux exemples. Mais Casadevall et Fang décrivent aussi de nouvelles pathologies inédites. Tel le syndrome du publicateur précoce, dont souffrent les individus soumettant des manuscrits inachevés à des revues de peur d’être dépassés par leurs concurrents ; de l’areproductibilité, entendue comme incapacité à obtenir deux fois les mêmes résultats expérimentaux, syndrome qui « n’est pas nécessairement pathologique, en particulier pour les individus qui changent de domaine de recherche après avoir publié leurs résultats, laissant à d’autres le soin de constater qu’ils ne sont pas reproductibles » ; ou encore de l’impactite, trouble obsessionnel qui se caractérise par la conviction que la valeur scientifique d’un travail repose sur le facteur d’impact de la revue dans laquelle il est publié (c’est-à-dire la moyenne du nombre de citations d’articles de cette revue dans les deux années après leur publication) et non sur ses qualités intrinsèques. Quiconque fréquente de près ou de loin le monde des laboratoires et des universités a dû entendre parler de quelques personnes atteintes de ces pathologies. Mais pour qui est étranger au microcosme académique, ce tableau épidémiologique a de quoi inquiéter. Ce livre s’adresse aux uns comme aux autres, avec l’intention cependant de montrer que la nosographie esquissée par Casadevall et Fang est incomplète. Contre l’impactite, maladie grave et contagieuse, nos auteurs relevaient qu’il n’existe « pas de traitement connu contre cette maladie grave et contagieuse ». Le constat est hélas plausible. Nous montrerons ici que le trouble est non seulement d’apparence incurable, mais aussi associé à de redoutables pathologies que ne décrivaient pas nos deux nosographes : l’embellissement des données, qui transforme un recueil souvent incohérent d’observations en une superbe histoire de science au scénario à la mécanique impeccable ; le plagiat, forme extrême de l’Amnesia Originosa ; et enfin l’invention pure et simple de résultats scientifiques, l’authentique forgerie, la fraude, l’affabulation. Si nous avons filé la métaphore de la nosographie, c’est que l’étymologie nous y autorise. Une des racines possibles du mot maladie est mal habitus, à savoir ce qui se trouve en mauvais état, ce que nous avons cru pouvoir résumer à notre manière dans le « malscience » qui donne son titre à ce livre. Mais habitus, pour tout lecteur de Pierre Bourdieu, renvoie aussi au concept par lequel le sociologue désignait cet ensemble de dispositions sociales inscrites dans le corps, qui font que chacun se comporte, dans un monde social donné, exactement comme on s’attend qu’il le fasse, parce qu’il a fait sien « un ensemble de schèmes de perception de pensée, d’appréciation et d’action » propre à cet univers. Or, c’est bien un certain habitus scientifique qui nous semble aujourd’hui souffrant : celui qui faisait de la recherche un monde gratuit et voué aux plaisirs de l’intellect, dont les usages – tels le tutoiement aisé, une certaine indifférence aux hiérarchies sociales, un rôle secondaire accordé à l’argent, une propension à la moquerie et à l’irrévérence – détonnaient pour le moins, comparés à ceux d’autres mondes sociaux de niveaux de qualification intellectuelle comparables. Un chercheur s’est longtemps distingué du premier coup d’œil d’un ingénieur, d’un juriste, d’un avocat, d’un médecin ou d’un analyste financier. Par sa mise comme par son verbe, le chercheur détonnait. C’était là une part de son habitus. Or, à pratiquer les laboratoires en observateur depuis une quinzaine d’années, après les avoir fréquentés en qualité d’apprenti chercheur le temps d’une thèse, nous constatons que cet habitus est bien mal en point. À vrai dire, nous ne reconnaissons plus guère ces lieux que nous avons aimés. On y parle certes (encore) de science, mais bien moins que de stratégies de publication, de financements, de recrutement, de compétition, de visibilité, de reconnaissance, et, pour reprendre les termes locaux, de « principal investigator », de « leading project » et de « first deliverables ». La devise publish or perish est ancienne, puisque l’on raconte que le physiologiste Henri Laugier, premier directeur du CNRS en 1939, l’avait placardée dans son bureau, mais elle n’a jamais aussi bien résumé le fonctionnement du monde scientifique. C’est elle qui nourrit et engendre le développement des fraudes et des uploads/Science et Technologie/ malscience-de-la-fraude-dans-les-labos.pdf

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