Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Univ

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Frédéric Amblard Nouvelles perspectives en sciences sociales : revue internationale de systémique complexe et d'études relationnelles, vol. 5, n° 2, 2010, p. 69-77. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/044076ar DOI: 10.7202/044076ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 30 mars 2013 06:09 « Construire des sociétés artificielles pour comprendre les phénomènes sociaux réels » Construire des sociétés artificielles pour comprendre les phénomènes sociaux réels Frédéric Amblard Université Toulouse Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT), Université Paul Sabatier L a construction de sociétés artificielles, c’est-à-dire de simu- lations informatiques dans lesquelles des entités, des person- nages, adoptent des comportements sociaux, est souvent perçue soit en termes d’applications purement ludiques (les Sims en sont un bon exemple), soit comme une occasion offerte aux informa- ticiens de jouer à Dieu en construisant des mondes improbables. Cette approche peut, cependant, également être utilisée par le chercheur en sciences sociales pour interroger ses représentations du social par la formalisation de ces représentations et l’investi- gation des expérimentations qui y sont associées. C’est cette proposition que je tenterai de défendre ici. On attribue souvent au prix Nobel Herbert Simon l’affirma- tion que les sciences sociales sont les vraies sciences « dures ». De fait, les systèmes sociaux, en particulier les systèmes sociaux humains, sont composés d’entités hétérogènes, dont la rationalité est limitée (par calcul, par information, etc.) et dont les interac- tions peuvent être directes ou indirectes par l’entremise, par exemple, de modifications apportées à leur environnement. Dans 70 npss, volume 5, numéro 2, 2010 ces systèmes, l’information est en grande partie locale et se diffuse avec déformation dans le système. Enfin, contrairement à une hypothèse encore trop souvent soutenue par l’économie ortho- doxe du fait de son adhésion à la théorie walrasienne de l’équili- bre général, l’équilibre n’est certainement pas une propriété des systèmes sociaux mais, au mieux, une tendance et, a minima sans doute, une représentation que certaines entités (certains écono- mistes en particulier) se font du système auquel elles appartien- nent. L’étude de ces systèmes complexes soulève dès lors la question des outils et des méthodes à mettre en place afin de rendre compte de leurs propriétés principales dans l’objectif d’interroger et de comprendre les mécanismes sous-jacents producteurs des régularités observées de certains phénomènes collectifs. La simulation orientée agents a vocation de remplir ce rôle, en particulier pour ce qui concerne l’introspection des représenta- tions du social construites notamment par le scientifique en sciences sociales. Concernant la méthodologie générale associée à l’approche de simulation orientée agents, elle consiste, à partir d’un phénomène collectif que l’on cherche à étudier et à comprendre en définissant une question de modélisation et une ou des hypothèses explica- tives concernant la production de ce phénomène, à décrire d’abord formellement les attributs et les comportements des entités qui constituent ce système, puis les interactions qui ont lieu entre ces entités. Il s’agira ensuite de décrire l’organisation de ces entités entre elles (par exemple, sous la forme d’un réseau social) et ses règles d’évolution ainsi que celles de l’environnement associé. Une fois ces éléments spécifiés formellement, le scienti- fique modélisateur a tout ce qu’il lui faut pour faire évoluer in silico un état du système donné correspondant à une situation particulière. Il reste donc au scientifique, expérimentateur cette fois, à déterminer ces conditions initiales, c’est-à-dire l’état du système sur lequel il veut tester les hypothèses de modélisation qu’il a proposées et formalisées. Après avoir déterminé les observables de sa simulation, c’est-à-dire les indicateurs qu’il 71 frédéric amblard/construire des sociétés... souhaite suivre au cours de la simulation, le scientifique possède tous les éléments qui lui permettent de conduire ce que l’on pourrait définir comme une expérience de simulation. Une fois la simulation exécutée, la remise en perspective des hypothèses de départ et de la manière dont elles ont été formalisées au regard des résultats produits l’amène à réfléchir, d’une part, sur le modèle formalisé et la manière dont les résultats sont produits, c’est-à-dire le jeu fin de l’association des comportements et des interactions entre agents dans le modèle et, d’autre part, à interroger ses hypothèses au regard du phénomène qu’il recherche à étudier et à comprendre. Les trois principales caractéristiques que l’on peut associer à cette approche de modélisation et qui la distinguent des appro- ches de modélisation classiques sont, à mon sens, les suivantes. 1) L’approche agent, en se focalisant particulièrement sur le comportement des entités constitutives du système, est congruente avec l’individualisme méthodologique qui est le cadre de pensée adopté pour la compréhension de la construction des phénomènes sociaux et elle est à même d’interroger les mécanismes microscopiques (l’échelle des individus), générateurs des régularités macroscopiques aux- quelles s’intéresse le scientifique. 2) La simulation, en quittant sa forme précédente qui équi- valait à l’exécution itérative d’un schéma de calcul numé- rique et surtout en remplaçant la sémantique classique de l’itération comme étape d’un schéma numérique par une représentation du déroulement du temps dans le système, permet dès lors à cette approche de formaliser des hypothèses dynamiques qui concernent l’évolution des entités et du système. 3) Enfin, la formalisation algorithmique associée à cette approche rend, par sa plus grande proximité avec la repré- sentation que l’on peut se construire concernant la représentation d’un système social et de son évolution, la formalisation plus adéquate aux hypothèses que l’on se 72 npss, volume 5, numéro 2, 2010 construit qu’un formalisme mathématique qui implique possiblement un changement de cadre de pensée lorsque l’on passe du raisonnement concernant le système au raisonnement concernant le modèle. Cela reste l’impression d’un informaticien, mais je pense que l’on peut rester dans le même cadre de pensée, manipuler les mêmes objets mentaux ou du moins des objets mentaux qui ont la même forme, et ce, que l’on raisonne sur le système que l’on cherche à étudier ou sur le modèle de ce système, sa formalisation algorithmique. Cependant, cette richesse d’expression pour formaliser les mécanismes générateurs des phénomènes sociaux et potentielle- ment à même d’en interroger la complexité comporte un inconvénient majeur. En construisant un système artificiel qui capture la complexité du phénomène social, en associant les comportements hétérogènes de nombreuses entités en interaction à la production de phénomènes sociaux au niveau macroscopique, et malgré ce qui peut être vécu par le chercheur en sciences sociales comme des simplifications violentes, on ne réduit pas entièrement la complexité du système étudié. En effet, une fois le modèle formalisé et programmé, on a affaire à un système social, artificiel certes, composé d’entités hétérogènes en interac- tions. En réalisant des expériences de simulation sur ce système, on a éventuellement la possibilité d’observer des régularités qui semblent émerger de la simulation. Pour autant les mécanismes sous-jacents producteurs de ces régularités, l’intime entrelacement des comportements et des interactions n’est pas directement intelligible. Il s’agit alors, bien sûr, d’interroger le modèle, les simulations, pour comprendre comment les hypothèses telles qu’elles ont été formalisées ont produit les résultats en question et ceci principalement en jouant sur les observables de la simu- lation, par exemple en suivant dans le temps l’évolution du comportement d’un agent particulier. Plutôt que d’adopter l’attitude classique en modélisation qui consiste à interpréter les résultats du modèle directement par rapport au phénomène étudié, il s’agit bien plutôt ici de mettre en place une interpréta- 73 frédéric amblard/construire des sociétés... tion à deux niveaux de ces résultats. Tout d’abord au niveau du modèle lui-même, la simulation étant déterministe, un méca- nisme a produit ces résultats; il s’agit de l’identifier clairement, de construire une théorie du comportement du modèle, avant de réaliser une mise en perspective de cette théorie par rapport au phénomène réel étudié. Cette dernière comparaison est véri- tablement celle qui porte l’intérêt de la démarche puisqu’elle permet, une fois l’hypothèse formalisée et ses conséquences connues et théorisées, de questionner le phénomène réel étu- dié. Dès lors, un tel outil peut être envisagé pour de nombreuses applications ou dans de nombreux cadres d’utilisation. L’un d’entre eux en particulier retient mon attention: il s’agit du modèle ou plus généralement du processus de modélisation comme artefact pour la réflexion. L’effort de formalisation des hypothèses implique un ensemble de clarifications et de désambiguïsations conceptuelles. Les concepts à retenir pour la modélisation étant les concepts pertinents et clairement définis, il s’agira ensuite de les articuler entre eux. Le chercheur modéli- sateur est ainsi amené à épurer son dispositif conceptuel pour ne garder que les concepts qui ont réellement du sens par rapport à la problématique uploads/Science et Technologie/ frederic-amblard-pdf.pdf

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