INVITED PAPERS - LPh 4, 2016 ISSN 2283-7833 http://lexicon.cnr.it MICHEL FICHAN

INVITED PAPERS - LPh 4, 2016 ISSN 2283-7833 http://lexicon.cnr.it MICHEL FICHANT LES DUALITÉS DE LA DYNAMIQUE LEIBNIZIENNE* ABSTRACT: We associate here, under the naming of ‘dualities’ of the Leibnizian dynamics, distinctions of several orders: chronological, in that the invention in 1690 of the very word ‘dynamics’ separates two periods in the establishment of the doctrine of movement and corporeal nature – conceptual, in that the ‘New science’ defines itself by the association of the acquired concept of power or force with the new one of action – methodical, because the introduction of the concept of action allows the establishment of an a priori demonstration whereas until then only an a posteriori argument had been used – structural, with the conjunction of dynamics ‘abstracted from things’ and ‘concrete’ dynamics ‘concerning what happens in the system of things’. All these dualities form a coherent network, which characterizes the singularity of the Leibnizian dynamics in the margins of history of classic science. RÉSUMÉ: On réunit ici sous l’appellation de ‘dualités’ de la dynamique leibnizienne des distinctions de plusieurs ordres: chronologique, en ce que l’invention en 1690 du mot même de ‘dynamique’ sépare deux périodes dans l’établissement de la doctrine du mouvement et de la nature corporelle – conceptuelle, en ce que la ‘Nouvelle science’ se définit par l’association du concept acquis de puissance ou force avec celui, nouveau, de l’action – méthodique, puisque l’introduction du concept d’action permet d’instituer une démonstration a priori là où jusqu’alors n’avait été utilisée qu’un argument a posteriori – structurale, avec la conjonction d’une dynamique ‘abstraite des choses’ et d’une dynamique ‘concrète portant sur ce qui arrive dans le système des choses’. Toutes ces dualités forment un réseau cohérent qui caractérise la singularité de la dynamique leibnizienne en marge de l’histoire de la science classique. KEYWORDS: Leibniz; Dynamic; Modern Philosophy ; Classic Science ; Natural Laws * On trouvera dans la Bibliographie en fin d’article les sigles renvoyant aux éditions citées. Michel Fichant 12 1. Dynamica: les dynamiques, la dynamique La dénomination de ‘dynamique’, toujours en usage dans la nomenclature des sciences, et principalement de la physique,1 doit son invention et son premier emploi à Leibniz ; elle est caractérisée à l’origine par le caractère singulier, idiosyncrasique en quelque sorte de sa signification leibnizienne. D’Alembert, aux premières lignes de l’article ‘Dynamique’ de l’Encyclopédie, dit bien: M. Leibniz est le premier qui se soit servi de ce terme pour désigner la partie la plus transcendante de la Mécanique, qui traite du mouvement des corps, en tant qu’il est causé par des forces motrices actuellement et continuellement agissantes.2 En 1690, au terme de son voyage en Italie, Leibniz possédait la rédaction presque achevée d’un grand Traité intitulé Dynamica de Potentia et Legibus naturae corporeae. Lors du même voyage, Leibniz avait d’abord écrit (à Rome, été 1689) un ouvrage sur le même sujet sous le titre Phoranomus seu de Potentia et Legibus naturae. Il s’agit d’un dialogue à caractère exotérique, comparable au Pacidius Philalethi de 1676.3 Le traité Dynamica est au contraire une somme doctrinale (qui occupe 234 pages dans GM 6) 1 Il en existe aussi des emplois en sociologie (depuis Auguste Comte), en psychologie et en psychologie sociale (Kurt Lewin). 2 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers […] Mis en ordre & publié par M. Diderot […] & quant à la partie mathématique, par M. D’Alembert, Tome V, 1775, p. 174. – On remarquera la réticence que D’Alembert exprime à cet égard dans son propre Traité de dynamique, qui souligne a contrario la singularité du concept leibnizien: “Ce nom [de dynamique] qui signifie proprement la Science des puissances ou causes motrices, pourrait paraître d’abord ne pas convenir à ce Livre, dans lequel j’envisage plutôt la Mécanique comme la science des effets, que comme celle des causes ; néanmoins comme le mot de Dynamique est fort usité aujourd’hui parmi les savants, pour signifier la Science du mouvement des Corps, qui agissent les uns sur les autres d’une manière quelconque, j’ai cru devoir le conserver, pour annoncer aux Géomètres par le titre même de ce Traité, que je m’y propose principalement pour but de perfectionner et d’augmenter cette partie de la Mécanique” (Traité de dynamique, Paris, Gauthier-Villars, 1921, vol. I, p. XXXVII-XXXVIII). En gros, on peut dire que l’appellation de dynamique ne s’est généralisée que par l’abandon de sa signification initialement leibnizienne. C’est un point auquel il faut faire attention dans l’interprétation, en veillant à ne pas projeter sur la dynamique leibnizienne les normes épistémologiques de la dynamique dans la science classique newtonienne et post-newtonienne (Newton lui-même n’ayant jamais utilisé ce terme). 3 Première édition intégrale par A. Robinet, dans Physis. Rivista Internazionale di Storia della Scienza, 27, 1991, Nuova serie (2) e (3). L’édition plus récente qui est désormais la référence est celle procurée, avec traduction italienne, par Gianfranco Mormino dans: G. W. Leibniz, Dialoghi filosofici e scientifici, a cura di F. Piro, in collaborazione con G. Mormino e E. Pasini, Milano, Bompiani, 2007, p. 679-885. Les dualités de la dynamique leibnizienne 13 ordonnée par un plan de composition très strict, articulé more mathematico en propositions numérotées. Commencée à Rome à la fin de l’été, la rédaction a été poursuivie à Florence (Leibniz y a séjourné du 22 novembre au 22 décembre 1689), où Leibniz a fait la connaissance du baron Rudolph Christian von Bodenhausen. En quittant Florence vers le nord, pour le voyage qui le reconduira à Hanovre au début de juin 1690, Leibniz a laissé ses brouillons à Bodenhausen, qui s’est chargé de les mettre au net pour établir un document utilisable pour l’impression d’un livre. Leibniz continuait d’alimenter Bodenhausen en feuillets à intégrer au texte, de lui donner des consignes de mise en ordre et de répondre à ses questions, dans une correspondance dont le premier élément connu est la lettre de Bodenhausen du 31 décembre 1689 (elle s’achèvera par une lettre de Leibniz du 7/17 janvier 1698, Bodenhausen décédera le 9 mai). C’est dans cette correspondance qu’apparaît le terme de dynamica, absent du vocabulaire de Leibniz dans les textes antérieurs traitant de la question des lois du mouvement (y compris le tout récent Phoranomus). Dès la lettre du 31 décembre, Bodenhausen évoque “unsere dynamica” (A III, 4, 436), qu’il recopie tous les jours et jusque tard dans la nuit. Cette formule est utilisée par Leibniz, comme une sorte de mot de passe entre les deux correspondants associés dans l’entreprise commune d’une publication, désignée aussi comme “tractatus dynamicus” (ibid. 462) ou encore “opus dynamicum” (681). De retour à Hanovre, Leibniz évoquera ses brouillons laissés en Italie comme son “Manuscriptum dynamicum” (15 mars 1692, A III, 276).4 Dans ces premiers usages, le terme grec latinisé de ‘Dynamica’, s’entend comme un neutre pluriel, selon une analogie bien fondée avec l’usage reçu de ‘Mechanica’, qu’on traduisait au XVIIè siècle par ‘les Mécaniques’ autant et même plus souvent que par ‘la (science) Mécanique’. L’emploi au neutre pluriel est toujours le cas dans les échanges entre Leibniz et Bodenhausen. S’agissant donc du traité italien, dont GM a publié la copie finale du Baron, 5 mise en forme d’un état encore 4 “Was betrifft das Manuscriptum dynamicum, so verlange ich mein exemplar nur darumb, damit ichs konne absolviren, denn ich habe die ideen alzu sehr davon verlohren”. 5 Copie relue et à l’occasion corrigée et complétée par Leibniz. Une édition véritablement critique à partir de l’ensemble des états manuscrits est en préparation par les soins d’Andrea Costa, qui en a présenté les matériaux dans sa thèse pour le Diplôme d’archiviste-paléographe de l’Ecole des chartes de Paris, en 2011. La parution est annoncée pour 2016. Michel Fichant 14 partiellement inachevé du texte, son titre devrait donc être traduit littéralement par Les Dynamiques, traitant de la puissance et des lois de la nature corporelle. Leibniz emploie aussi le terme comme un féminin singulier, usage qui finira par s’imposer, parfois par le détour de ‘Scientia dynamicae’. Un brouillon de la fin de 1689, dont le thème s’inscrit encore dans la ligne de la critique anticartésienne des années antérieures, évoque évidemment les préparatifs du traité: Hac igitur occasione excitatus multa alia detexi a vulgaribus sententiis remota et inprimis certam potentiae notionem constituere, et novae scientiae, quam Dynamicam non male appelles, Elementa condere aggressus sum, quorum specimina dedi per propositiones quasdam Mathematico more demonstratas (A VI, 4, 2054). L’allusion à ces échantillons pourrait plus précisément concerner le texte repris comme Specimen praeliminare de l’ouvrage. Selon la lecture du manuscrit, le titre initial, au recto de la première feuille, était de “Specimen demonstrationum” (non repris par Gerhardt), poursuivi en haut du verso par “Specimen praeliminare”. On y lit: […] vim ratiocinationis meae evidentissimis demonstrationibus complecti [ramasser] operae pretium judicavi, ut paulatim vere novae de Potentia et Actione Scientiae, quam Dynamicen appellare possis, Elementa condantur, quorum initia quaedam peculiari tractatione sum complexus, unde nunc praesens specimen excerpere volui […]6 (GM 6, 287). Les expressions employées par Leibniz (“quam … non male appelles”, “quam … appellare possis”) marquent bien qu’il s’agit de sa part de la uploads/Science et Technologie/ michel-fichant-structurale-avec-la-conjonction-d-x27-une-dynamique-abstraite-des-choses-x27-et-d-x27-une-dynamique.pdf

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