Savoirs situés La question de la science dans le féminisme et le privilège de l

Savoirs situés La question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle par Donna Haraway Mise en ligne le vendredi 16 janvier 2004 L’enquête académique ou activiste féministe a souvent tenté de venir à bout de ce que nous devrions entendre par le terme curieux et incontournable d’ « objectivité ». Nous avons usé beaucoup d’encre toxique et d’arbres transformés en papier à décrier ce qu’ils ont bien voulu y dire et combien cela nous choque. Ce « ils » imaginaire constitue une sorte de conspiration invisible de philosophes et d’hommes de science bardés de subventions et de laboratoires. Ce « nous » imaginaire sont les autres incarnés, qui n’ont pas la permission de n’avoir pas de corps, un point de vue limité et ainsi un biais inévitablement polluant et disqualifiant dans une quelconque discussion conséquente en dehors de nos propres petits cercles, où une souscription populaire pour un journal peut encore rassembler une petite centaine de lecteurs composés pour la plupart de haineux envers la science. Enfin, je confesse que ces fantaisies paranoïdes et ressentiments académiques se tapissent sous quelques réflexions compliquées imprimées sous mon nom dans la littérature féministe sur l’histoire et la philosophie des sciences. Nous, les féministes qui débattons de la science et de la technologie, sommes les « groupes d’intérêts spéciaux » de l’ère Reagan dans le royaume raréfié de l’épistémologie, où ce qui peut traditionnellement compter comme savoir est policé par des philosophes qui codifient la loi canonique de la connaissance. Bien sûr, un groupe d’intérêts spéciaux est, par définition reaganienne, tout sujet collectif historique qui ose résister à l’atomisation qui nous dénude de la Guerre des Etoiles, de l’hypermarché, du postmoderne, du simulacre médiatique de la citoyenneté. Max Headroom n’a pas de corps ; cependant lui seul voit toute chose dans l’énorme empire communicationnel du Réseau Global. Pas étonnant que Max parvienne à avoir un naïf sens de l’humour et une sorte de sexualité joyeusement régressive, préœdipienne, une sexualité que nous avons avec ambivalence - avec une incorrection dangereuse - imaginée être réservée aux détenus à vie des corps femelles et colonisés et peut-être aussi aux hackers mâles dans le confinement solitaire électronique. Il m’a semblé que les féministes ont, de manière à la fois sélective et flexible, utilisé et été piégées par deux pôles d’une dichotomie séduisante sur la question de l’objectivité. Je parle ici certainement pour moi-même, et je propose qu’il y a un discours collectif en la matière. Des études sociales récentes de science et de technologie par exemple ont rendu disponible un argument constructionniste très fort pour toutes les formes de prétention savante, plus sûrement et spécialement les scientifiques [1]. D’après ces vues séduisantes, aucune perspective de l’intérieur n’est privilégiée, parce que toutes les démarcations entre un dedans et un dehors du savoir sont théorisées comme des mouvements de pouvoir et pas comme des mouvements vers la vérité. Aussi, depuis cette perspective constructionniste sociale forte, pourquoi devrions-nous être intimidés par les descriptions faites par les scientifiques de leur activité et de leurs réalisations ; eux et leurs patrons ont intérêt à nous jeter du sable dans les yeux. Ils disent des paraboles sur l’objectivité et la méthode scientifique aux étudiants en première année, mais on ne prendrait aucun praticien des hauts arts scientifiques sur le fait d’agir suivant les recommandations des manuels. Les constructionnistes sociaux établissent clairement que les idéologies officielles sur l’objectivité et la méthode scientifiques sont des guides particulièrement mauvais pour montrer comment le savoir scientifique se fait actuellement. Juste comme pour nous autres, il y a un grand décalage entre ce que les scientifiques croient et disent qu’ils font et ce qu’ils font réellement. Les seules personnes qui cessent actuellement de croire et, princesse intouchable, d’agir suivant les doctrines idéologiques de l’objectivité scientifique désincarnée - sauvegardées dans les manuels élémentaires et la littérature stimulante de la technoscience - sont les non-scientifiques, notamment un petit nombre de philosophes très fidèles. Bien sûr, ma désignation de ce dernier groupe n’est probablement juste qu’une réflexion sur un chauvinisme disciplinaire résiduel acquis depuis l’identification avec les historiens de la science et en passant beaucoup trop de temps avec un microscope dans les premières années de l’âge adulte d’une sorte de moment disciplinaire préœdipien et moderniste poétique, quand les cellules semblaient être des cellules et les organismes des organismes. Ne vous en déplaise, Gertrude Stein. Mais alors arriva la loi du père et sa résolution du problème de l’objectivité, un problème résolu dans des référents toujours déjà absents, des signifiés ajournés, des sujets divisés et le jeu sans fin des signifiants. Qui ne grandirait pas perverti ? Le genre, la race, le monde lui-même - tout semble les effets de vitesse perverse dans le jeu des signifiants dans un champ de force cosmique. Quoiqu’il en soit, les constructionnistes sociaux peuvent maintenir que les doctrines idéologiques de la méthode scientifique et tout le verbiage philosophique sur l’épistémologie sont préparés pour détourner notre attention et notre volonté de connaître effectivement le monde en pratiquant les sciences. Depuis ce point de vue, la science - le jeu réel en ville - est rhétorique, une série d’efforts pour persuader les acteurs sociaux pertinents que le savoir que quelqu’un fabrique est un itinéraire pour une forme désirée de pouvoir très objectif. De telles persuasions doivent tenir compte de la structure des faits et des artefacts, comme des acteurs que le langage engage dans le jeu du savoir. Ici, faits et artefacts sont partie intégrante de l’art puissant de la rhétorique. La pratique est la persuasion, et le centre d’attention est bien plus dans la pratique. Tout savoir est un nœud concentré dans un champ de pouvoir agonistique. Le programme fort de la sociologie de la connaissance s’accapare les outils charmants et dégoûtants de la sémiologie et de la déconstruction pour insister sur la nature rhétorique de la vérité, notamment la vérité scientifique. L’histoire est une histoire que se racontent les mordus de la culture occidentale ; la science est un texte contestable et un champ de pouvoir ; le contenu est la forme [2]. Point barre. Combien nombreux sont parmi nous ceux qui aimeraient encore parler de la réalité avec plus de confiance que celle que nous mettons dans le Droit chrétien quand il pérore sur le second Avènement du Messie et sur son échappée de la destruction finale du monde. Nous aimerions penser que nos appels à des mondes réels sont plus que des échappées désespérées loin du cynisme et un acte de foi comme dans n’importe quel autre culte, peu importe quel espace nous faisons généreusement à toutes les riches médiations toujours spécifiques dans l’histoire à travers lesquelles nous et n’importe qui d’autre devons connaître le monde. Mais plus je vais loin dans la description du programme constructionniste social radical et d’une version particulière du postmodernisme achalandée des outils corrosifs du discours critique dans les sciences humaines, plus je deviens nerveuse. L’imagerie des champs de force, des mouvements dans un monde entièrement contextualisé et codé, qui est la métaphore qui travaille beaucoup d’arguments sur la réalité socialement négociée du sujet postmoderne, c’est, pour les débutants uniquement, une imagerie de champs militaires high-tech, de champs de batailles académiques automatisés, où des points lumineux appellent les joueurs à se désintégrer (quelle métaphore !) les uns les autres pour rester dans le jeu du savoir et du pouvoir. La technoscience et la science-fiction se confondent dans le soleil de leur (ir)réalité radieuse - la guerre [3]. Cela ne devrait pas prendre des décennies à la théorie féministe pour sentir que l’ennemi est là. Nancy Hartsock a saisi tout ce cristal de significations dans son concept de masculinité abstraite [4]. Moi et d’autres avons commencé par vouloir un solide outil pour déconstruire les vraies prétentions de l’hostilité envers la science en montrant la spécificité historique radicale, et donc contestable, de tout légiste du noyau dur des constructions scientifiques et technologiques, et nous terminons avec une sorte de thérapie par électrochoc épistémologique, qui, loin de nous propulser aux tableaux de commande du jeu de la contestation des vérités publiques, nous abandonne dans un désordre auto-induit de personnalité multiple. Nous voulions un chemin pour dépasser le biais qu’on nous incrimine dans la science (n’importe comment trop facile à justifier) et la séparation des bons moutons scientifiques des vilaines chèvres du biais et de l’abus. Cela semblait prometteur de le faire en usant de l’argument constructionniste le plus fort possible qui n’offre aucune faille pour réduire les solutions au biais versus objectivité, à l’usage versus abus, à la science versus pseudo-science. Nous démasquions les doctrines de l’objectivité parce qu’elles effrayaient notre sens émergeant de l’agencement et de la subjectivité historiques collectifs et nos rapports « incarnés » à la vérité, et nous finissons en nous excusant une fois encore de n’avoir rien appris d’une quelconque physique post- newtonienne et en donnant de nous-mêmes une raison de plus pour abandonner les vielles pratiques féministes qui nous apprennent à réparer nous-mêmes nos voitures. Ce ne sont que conjectures, uploads/Science et Technologie/ savoirs-situes-donna-haraway.pdf

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