Olivier Bochettaz Séminaire du CRI – M2 Compte-rendu critique « La carte de l’a
Olivier Bochettaz Séminaire du CRI – M2 Compte-rendu critique « La carte de l’autre vie » Compte-rendu de l’article de Guillaume Cuchet : « La « carte de l’autre vie » au XIXe siècle », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], n°139 | juillet - sepembre 2007, mis en ligne le 19 novembre 2010, consulté le 14 décembre 2011. URL : http://assr.revues.org/8573 * * * « [...] il fut un temps où l’on voyait à peu près ce que l’on croyait. » affirme M. Cuchet, maître de conférences spécialisé dans le domaine de l’anthropologie et de l’histoire religieuse. C’est par ces quelques mots qu’en fin d’article il résume la thèse qu’il a exposé et défendu au long de son texte. En effet, pour M. Cuchet, en Europe avant le XIXe siècle l’imaginaire religieux était beaucoup plus vivant, la conscience spirituelle était beaucoup plus éveillée. Les « contenus vécus » de l’expérience religieuse étaient bien plus respectés, ils n’étaient alors pas décrédibilisés par l’imaginaire scientifique ; la dimension dans laquelle l’âme se meut était un lieu bien réel (locus), pas un état (status) mais un monde qui pouvait être précisément cartographié, dont on pouvait établir une véritable « géographie visionnaire », pour reprendre l’expression d’Henry Corbin (qui s’appliquera très bien à cet article comme on le verra plus tard). Comme on le sait tous, le XIXe siècle - période héritière des Lumières du XVIIIe et de l’avènement éblouissant de la raison – porte un lourd sac rempli de révolutions phénoménologiques : culturellement, c’est la désillusion de l’imagination active, le désenchantement des intuitions spirituelles, et plus largement, c’est la décrédibilisation de l’expérience religieuse ; autrement dit, dans l’esprit des occidentaux au XIXe siècle, la divine lumière n’est plus que matérielles particules - perceptibles par les sens, codifiées par le langage, explicables par la raison -. Le « royaume de Dieu » n’est plus un espace en soi, une dimension autonome, mais il devient un état symbolique, une codification mystérieuse du devenir de la matière, supposément déchiffrable par l’imaginaire scientifique. On passe alors, dans les esprits de l’époque, d’un au-delà vu comme « espace réel » à un au-delà qui tient plus d’un état symbolique. Quel a été l’impact de la science, de la « décortication intellectuelle » de la réalité sur la vision de l’au-delà ? Comment, au sein d’un renversement culturel tel que la montée en puissance de la science, les représentations de l’« autre vie » ont-elles évolué dans l’imaginaire européen? Ce sont bien là les questions auxquelles Guillaume Cuchin s’est efforcé de répondre dans cet article. Je vais essayer d’en faire le compte-rendu afin que l’on voit bien son évidente résonance avec les recherches sur l’imaginaire, et tout particulièrement avec celles d’Henry Corbin sur le « mundus imaginalis ». Pour justifier son propos et démontrer cette dynamique d’ «inconcevabilité croissante des représentations de l’au-delà»1 dans l’esprit des occidentaux, M. Cuchet dédouble sa thèse en deux aspects complémentaires: -le monde de l’au-delà a toujours été pour les croyants un espace réel, un lieu cartographiable : il est devenu un espace symbolique, une allégorie de l’état de la conscience détachée du corps matériel. -le passage d’un au-delà réel à un au-delà symbolique dans les consciences religieuses s’est effectuée dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Et pour insister sur ces changements qui s’opèrent dans l’approche de la dimension spirituelle de la réalité, Guillaume Cuchet met d’abord en avant l’apparition même du mot « au-delà ». Ce nom, créé à partir de la locution « au delà de », apparait pour la première fois en 1848 dans « l’avenir de la science », un manuscrit de Ernest Renan. Avant, dans les régions de tradition chrétienne, on utilisait majoritairement les mots « enfer », « paradis », « purgatoire », « limbes », (selon la traduction locale) ou alors leurs équivalents bibliques, pour exprimer le monde de l’âme après la mort du corps. Mais l’usage de ce vocabulaire institutionnalisé décline au XIXe siècle ; d’autres mots non-bibliques, non- dogmatiques sont de plus en plus utilisés à cette époque : « autre vie », « autre monde », « vie future », « monde invisible », « outre-tombe ». Ainsi, en symbiose avec ces évolutions de langage et avec l’avènement culturel de la rationalité, la science, l’imagerie biblique perd sa suprématie en matière de « carte de l’au- delà ». Petit à petit, la cartographie visionnaire et dogmatique de l’au-delà laisse place à d’autres imaginaires, moins mystiques, plus scientifiques. Les images traditionnelles et topographiques du Paradis « dans le ciel » et de l’Enfer « sous terre » ne concordent plus avec les découvertes scientifiques. Selon M. Cuchet, les découvertes de l’astronomie héliocentrique combinées à la réforme protestante « portent à terme un coup fatal à cet ensemble de représentations »2. Cependant, il note bien que les découvertes scientifiques sur l’infinité du « ciel » et de l’univers, ayant clairement désenchanté les représentations géo-centriques d’un enfer et d’un purgatoire sous-terrains, n’ont pas eu le même effet sur l’imaginaire du Paradis. En effet, au XIXe siècle le ciel-paradis théologique devient un ciel- paradis astronomique. La « cartographie » biblique n’a certes pas eu le dessus sur la représentation copernico-galiléenne, mais la figure du « ciel » est resté ancrée dans l’imaginaire de l’au-delà. Peut-être qu’au final l’image du ciel est une portion inhérente à l’imaginaire humain, peut être qu’elle n’est pas qu’une image construite par les arts et les langages des différentes civilisations mais plutôt un élément fondamental et constitutif de l’âme humaine, un archétype comme dirait Jung, une image tapissant l’inconscient collectif des hommes et générant chez eux une même intuition d’un corps céleste, d’un au-delà éthérique dans l’infinité du ciel. On peut aisément admettre cela ; il n’y a qu’à regarder un peu les recherches modernes en neurochimie ou en psychopharmacologie qui mettent en 1 Guillaume Cuchet, « La ‘ carte de l’autre vie’ au XIXe siècle », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], n°139 | juillet - sepembre 2007. p.68. 2 Guillaume Cuchet, « La ‘ carte de l’autre vie’ au XIXe siècle », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], n°139 | juillet - sepembre 2007. p.70 évidence les nombreux parallèles entre les structures fondamentales du cerveau humain et celles des galaxies. On compare d’ailleurs souvent, dans les articles scientifiques, les neurones à des systèmes solaires. Ainsi, si le cerveau est une galaxie, l’imaginaire en est sa lumière, et il fait manifestement miroiter dans notre espace mental des images de types « céleste ». Au XIXe siècle donc, les découvertes scientifiques sur l’infinité du ciel réjouissent, elles dynamisent la figure du ciel au sein de l’imaginaire européen. M. Cuchet note deux types de réactions de l’imaginaire face à cette soif d’exploration scientifique du ciel : la réaction rationaliste-matérialiste et la réaction « spiritiste », voir superstitieuse. D’un côté donc, chez les matérialistes, on se réjouit du démantèlement de la « fiction théologique », on célèbre le vide et la froideur infinies de l’univers libéré de la chaleur dogmatique des représentations religieuses, et d’un autre, chez les idéalistes et chez les superstitieux, on essaye de concilier les nouvelles découvertes scientifiques à de nouvelles représentations religieuses. Par exemple, en France et en Angleterre autour de 1850, se développe l’ « astronomie spéculative » : un courant d’idées donnant naissance à des théories sur la pluralité des mondes, sur la migration des esprits dans l’infinité matérielle de l’univers, sur la réincarnation. C’est aussi à l’époque l’émergence du spiritisme, de la communication avec les morts, « une nouvelle invasion de Satan dans les âmes » pour les Catholiques. À cette époque, c’est indiscutable, une fascination pour les mystères d’outre-tombe - voir une anxiété religieuse causée par la découverte de la petitesse de la Terre et de son système solaire, et par la révélation du vide infini et de la froideur matérielle de l’Univers - se développe culturellement. En effet, depuis les découvertes scientifiques sur le vide immense qui nous entoure, la mort fait de plus en plus peur, elle est de moins en moins acceptée culturellement. On est alors à la recherche de réconfort, on a peur de se séparer des siens et on veut trouver des moyens de communication avec l’au- delà : les cultes (scientifico-religieux) des morts se multiplient. Au XIXe siècle, malgré les variations des contenus de l’expérience religieuse, malgré le glissement de l’imaginaire religieux dans l’imaginaire scientifique, l’au-delà fascine toujours et terrorise encore ; le développement fulgurant de l’art à teneur sublime ou romantique, les univers de Victor Hugo et de William Blake par exemple, en témoignent. Les représentations traditionnelles et institutionnalisées du ciel ne correspondent plus aux évolutions de l’imaginaire céleste et à la crainte rationnelle du vide et de la froideur de la mort qui souvent en découle. Culturellement, l’imaginaire religieux se détache d’un au-delà en tant qu’espace réel, fixé, dogmatisé par la cartographie des récits visionnaires, et accessible par la foi, et se rapproche d’un au-delà symbolique, d’un état expérimentable par diverses pratiques uploads/Science et Technologie/la-carte-de-l-x27-autre-vie.pdf
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- Publié le Sep 07, 2022
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