1-2011-2 La parole comme soin - cancer et pluralisme thérapeutique Speech as Ca

1-2011-2 La parole comme soin - cancer et pluralisme thérapeutique Speech as Care: Cancer and Therapeutic Pluralism Ilario Rossi Résumé Face au cancer, toute personne atteinte se voit confrontée d’une manière ou d’une autre au domaine de la biomédecine, qui influe sur ses propres perceptions de la maladie. C’est pourquoi le possible recours à un pluralisme thérapeutique ne peut se comprendre qu’au travers de l’expérience de chaque individu ; ses choix et ses raisons nous en disent par ailleurs autant sur sa vision des thérapies non conventionnelles que sur sa conception de la réponse allopathique. Pour mieux cerner les enjeux de l’offre et de la demande, il devient alors nécessaire de comprendre le contexte dans lequel elles émergent. Afin d’en saisir la portée politique et juridique, cet article, en prenant comme référence le cas de la Suisse, s’attachera à éclairer la notion de choix à travers le concept de « capabilité », appliqué au monde de la santé. Par la suite, ce même pluralisme sera mis en perspective par le biais des récits des différents protagonistes. Plus particulièrement, en proposant une relecture de la notion de parole, l’attention sera portée sur ce qu’elle véhicule comme action, entre le dire et le faire. Les diverses conceptions des soins, leurs spécificités et leurs finalités, seront mises en dialogue. Ce panorama illustratif doit permettre de relier les paroles des thérapeutes aux conceptions des soins nourries par le sujet malade ; il sera alors possible de comprendre le pluralisme thérapeutique comme un procédé social qui, pour tout malade, fait converger, sous forme de processus, expérimentation du corps et émergence du sujet. Ce qui favorise le développement d’une stratégie culturelle en réponse aux incertitudes provoquées par la maladie. Mots-clés: pluralisme thérapeutique, capabilité, sujet Keywords: therapeutic pluralism, capability, subjectHaut de page Relier la parole aux soins Enjeux du choix : politiques et société civile L’oncologie et ses paroles : agir sur la maladie et soutenir le malade Paroles des thérapies autres : régénérer le corps et la personne Sujets : par les paroles construire des soins Conclusions : parole sociale et soins culturels «Choice of a life-style is not peripheral, it is the heart of the new awakening.» (Reich, 1995, in Pera, 2009 :175) 1 Pour toute personne qui en est atteinte, le cancer précipite ou radicalise une interrogation sur soi et son parcours, en remettant en question projets et aspirations, en rendant problématique l’avenir (Gagnon et Marche, 2007). Le malade s’engage dans un parcours incertain tant par la durée du temps qu’il lui reste à vivre, que par la manière dont la maladie va changer sa vie, chaque itinéraire étant unique. La maladie devient donc épreuve, au sens où l’entend Bataille (2003), la volonté de défendre sa capacité à évoluer et à se construire, voire à se reconstruire en tant que sujet. Une épreuve vécue, caractérisée par la puissance de la contrainte qu’elle sous-tend, ou, paradoxalement, par la force qu’elle exalte. Rupture, épreuve, défi : c’est à partir de ces situations existentielles extrêmes que l’expérience d’un pluralisme thérapeutique se déploie prioritairement. Dès lors comment la restituer, comment la reconstituer1 ? 2 C’est par la parole que passe le plus souvent le sens de l’expérience de la maladie ; par ce qu’elle dit, bien sûr, mais aussi par le fait qu’elle ait lieu. Plus particulièrement, s’il est vrai « que toute société est une organisation de la parole et que ses institutions en assurent l’ordonnancement *…+ avec un langage et des procédures, le monde contemporain se distingue par sa façon de mettre la parole au premier plan, de la solliciter » (Gagnon, 2006 : 51). Celle-ci, loin d’être simplement autorisée, se pose en véritable impératif, tandis que les lieux qui la mettent en scène se multiplient rapidement. A cet égard, le monde de la santé ne constitue évidemment pas une exception. 3 Le propos de cet article est de reprendre la notion de parole dans sa dimension performative et d’action, et de la mettre en perspective dans les diverses modalités qui la relient à une logique de soins (Mol, 2009). Pour appréhender un tel lien, il sera tout d’abord nécessaire d’indiquer, brièvement, les multiples registres de ses inscriptions et de ses expressions au sein de la médecine en général et dans le domaine du cancer en particulier. Comment se déploie la parole dans un contexte de pluralisme thérapeutique ? Des réponses professionnelles aux stratégies singulières, l’utilisation de la parole met en relation le domaine même de la cancérologie, les logiques des recours non conventionnels et la quête du malade. Sa présence dans l’ensemble des dispositifs médicaux et soignants constitue bien évidemment un opérateur central du processus de contrôle du pathologique, ou encore de l’alliance thérapeutique (Vannotti, 2006). Mais pas seulement : au-delà de ses fonctions d’échange, d’information et de soutien, la parole relève de sémantiques et de finalités plurielles, crée des liens, définit des relations et en détermine la qualité. Telle est l’optique dans laquelle va être mené notre questionnement : l’utilisation et la circulation de la parole et des discours qu’elle sert, dans les dispositifs qui régissent de nos jours la pathologie cancéreuse, met en lien l’offre et la demande, les intentions thérapeutiques et l’expérience des thérapies. 4 Une telle option porte à se focaliser sur les conséquences que ces paroles impliquent et révèlent, pour les uns et pour les autres. Il s’agira donc moins de chercher à produire une connaissance fondée sur le "comment" des recours pluriels, que de dégager des lignes indicatives susceptibles de nous en tracer le "pourquoi". Relier la parole aux soins 5 En oncologie, une place considérable est accordée à la verbalisation ; nombreux sont les espaces réservés aux professionnels : réunions d’équipe, formations, colloques, supervisions, soutien psychologique, coaching, groupes de parole. Lieux de discussions, de libre expression, de réflexion et de partage, ces moments ponctuent le travail en assurant notamment trois fonctions : soutien, formation et échange. Leur ambition est de donner du sens à des pratiques soignantes qui échappent parfois à la réflexion, de rétablir ou d’améliorer la communication et la relation, d’affiner l’écoute, d’atténuer cet isolement propre aux soignants qui accompagnent des malades atteints de pathologies lourdes (Blondeau, 2004 ; Vidal, 2004).L’émergence de lieux de verbalisation et de circulation de la parole constitue l’essor d’un vrai "fait culturel"2. 6 Les malades participent aussi à ce mouvement ; les groupes de parole se multiplient et se structurent autour du partage de l’expérience. Dans le domaine du cancer, ils valorisent l’autonomie de chacun, questionnent le rapport à autrui, affirment l’importance d’une connaissance de la maladie qui se construit seulement par l’expérience (voir notamment Gagnon, 1999 ; Mathews, 2000 ; Surugue et al., 2008). 7 Parallèlement, l’explosion des lieux d’écoute3 contribue à justifier l’individualisation de la plupart des situations médicales, sanitaires et sociales, à travers notamment la responsabilisation de soi et la contractualisation. La promotion de cette culture de l’individu est fortement paradoxale (Rossi, 2009) ; elle interroge en effet les conditions pratiques qui permettent aux personnes malades et en situation de vulnérabilité de supporter, de gérer et de surmonter un certain nombre d’épreuves et d’événements déstabilisants dans une société hautement différenciée et individualisée comme la nôtre. 8 De fait, pour le patient comme pour le thérapeute, la communication devient une norme : il n’y a pas d’expérience qui ne puisse être mise en mots. Parallèlement, cet investissement autour de la verbalisation requiert, pour les uns et pour les autres, autocritique et adaptation.Il imprègne progressivement la vie des patients comme celles des soignants : les guides de l’action au quotidien sont désormais la narrativité, l’histoire que chacun se raconte, et la réflexivité, cette capacité à se décrypter soi-même en même temps que son propre environnement. Celle-ci ouvre à une culture dialogique et donc à une professionnalisation de l’écoute et de l’échange, de la disponibilité et de l’empathie. La valorisation de cette « culture politique du relationnel » (Demailly, 2008) se traduit notamment par l’émergence de l’accompagnement ; ce qui conduit les professionnels à orienter la relation à l’autre vers l’appréhension de son intimité, de ses émotions et son vécu. La libre expression de la colère, du doute ou de la peur est recherchée et valorisée. Exprimer les sentiments, expliciter le vécu, consolider la logique du partage justifie la perspective clinique et promeut l’utilisation d’une terminologie psychosociale ; celle-ci est susceptible de canaliser et gérer le travail émotionnel, mais rappelle en même temps la vulnérabilité d’une condition et les enjeux instrumentaux de sa prise en charge institutionnelle (Fernandez, Lézé et Marche, 2008). 9 Dans ce cadre, toute relation est pensée de manière moins directive que négociée, bien que l’asymétrie reste évidente : c’est d’abord au malade de s’exprimer, de se délivrer, de se raconter. Plus particulièrement, pour le patient, cette expression de soi exige des efforts de rationalisation, de mise en perspective, afin d’alimenter une démarche essentielle de « l’art de guérir », qui « consiste à symboliser l’origine de la souffrance, à trouver une image autour de laquelle un récit prendra forme » (Good, 1994 : 269).C’est cette démarche qui uploads/Sante/ 1-2011-2-la-parole-comme-soin-cancer-et-pluralisme-therapeutique.pdf

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  • Publié le Jul 24, 2021
  • Catégorie Health / Santé
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