Histoire médecine et armées, 2010, 38, 5, 469-476 469 Les praticiens des armées

Histoire médecine et armées, 2010, 38, 5, 469-476 469 Les praticiens des armées dans l’histoire de l’art dentaire. Depuis les siècles les plus anciens, les armées comptent au nombre des leurs des chirurgiens-dentistes. Ceux-ci ont toujours été des personnages marquants dans l’histoire de l’art dentaire. Nous allons en quelques lignes faire un aperçu des différentes formes d’exercice qui ont été les leurs, et de leur influence sur l’évolution de l’odontologie au cours des siècles. Mots-clés: Chirurgien-dentiste des armées. Histoire. Odontologie Résumé For centuries dentists have been working in the armed forces. Their professional art has always had great consequences on odontology’s history. We will now describe the different aspects of their tasks and how they have influenced the evolution of odontology over centuries. Keywords: Army dentist. History. Odontology. Abstract Introduction. En 2000 avec la création du corps des chirurgiens- dentistes des armées, le Service de santé des armées et le ministère de la Défense manifestaient tout l’intérêt que portent les armées à l’exercice de l’art dentaire. Malgré ce fait tout récent, l’odontologie militaire existe depuis des siècles et son évolution reste étroitement imbriquée à celle de la profession de chirurgien-dentiste en général. En quelques portraits, nous allons tenter de cerner une partie de l’influence des praticiens des armées dans l’histoire de l’art dentaire. Les origines. Les premiers chirurgiens-dentistes reconnus comme tels ne le furent qu’au début du XVIIIe siècle (avec notam- ment Pierre Fauchard). Antérieurement, l’art dentaire n’était qu’un des nombreux rameaux de la médecine et de la chirurgie. Les premières traces d’intervention dentaire remontent cependant au début du néolithique. On retrouverait ainsi des signes de soins odontologiques dans la vallée de l’Indus. La preuve est faite que les dentistes apparurent chez les Égyptiens vers 2700 av. JC avec Hésy-Rê (1). Sa fonction était clairement identifiée sur cinq panneaux d’acacia découverts dans son tombeau. Des fouilles archéologiques nous ont également livré des papyrus médicaux, qui sont pour certains de véritables traités chirurgicaux. Ainsi le papyrus Ebers daté environ à 1550 av. JC contient une quinzaine de paragraphes consacrés à la thérapeutique dentaire. Le papyrus Edwin Smith est un catalogue de traumatismes avec pour chacun leur diagnostic, leur traitement et leur pronostic. À cette époque, le dentiste était d’abord un prêtre, le traitement consistait en premier lieu à agir sur l’origine divine ou démoniaque du mal. Aucun instrument dentaire n’a été clairement identifié, le pavot aurait été utilisé comme remède… Des documents similaires sont retrouvés chez les Grecs et les Romains. Chez les Grecs, Hippocrate (460-355 av. JC) reste incontournable. Il nous a laissé dans ses œuvres complètes des mentions particulières à l’art dentaire (« De la dentition» ou «Des fractures» par exemple) (2) O. LECOMTE, chirurgien-dentiste en chef. D. TRISTAN, médecin en chef. Correspondance: O. LECOMTE, Lorient Défense, Service médical Lion, Base des fusiliers marins et des commandos, BP 92222 – 56998 Lorient Cedex. E-mail : olivier.lecomte@marine.défense.gouv.fr O. Lecomtea, D. Tristana. a Service médical Lion, Base des fusiliers marins et des commandos, BP 92222 – 56998 Lorient Cedex. DENTAL PRACTITIONERS AND DENTISTRY HISTORY. Article reçu le 20 novembre 2009, accepté le 4 mars 2010. Chez les Romains, le premier acte dentaire réalisé par un praticien des armées remonte au Iersiècle av. JC. En effet, Scribonius Largus, médecin des armées, trouva de multiples remèdes à la mauvaise haleine, à base de corne de cerf, de têtes de souris et de lièvres, de pierre ponce et de myrrhe. (3) Plus tard, Pline l’Ancien (23-79 av. J.-C.), qui était Amiral de la Flotte, conseillait l’usage d’un dentifrice à base de cendres, de tête de lièvre, de marc et parfois de cendres de têtes de souris. Le moyen âge. Après cette période initiale, peu de découvertes seront faites dans le domaine de l’odontologie jusqu’à la fin du moyen âge et le début de la renaissance. L ’exercice de l’art dentaire restait le domaine d’un certain empirisme, voire parfois de charlatanisme. Une figure, cependant, s’illustra dans le domaine médical et chirurgical, essentiellement pour la partie anatomique : Guy de Chauliac (1298-1368) (4). Issu d’une famille modeste, il étudia à Toulouse, puis Montpellier. Il fut largement influencé par les travaux des médecins grecs et arabes. Médecin et chanoine (mais pas militaire !) il est l’auteur de « Chirurgica magna », la grande chirurgie, dont le cinquième chapitre traite des maladies spéciales: la langue et les dents, les amputations des membres gangrenés. Il discuta de l’anatomie des dents, de leur éruption, lista les maladies dont elles sont l’objet, évoqua la prévention par l’hygiène dentaire (il préconisait un dentifrice à base de vin éventuellement additionné de poivre et de menthe. Il fut le premier à utiliser le terme de «dentateur» et «dentistes». La renaissance. À la Renaissance, tout change. De multiples découvertes sont réalisées dans le domaine intellectuel, artistique ou scientifique. L ’odontologie opératoire reste cependant le domaine du colporteur ou du barbier, jusqu’en 1425 lorsque le Parlement édicta un arrêt interdisant tout acte chirurgical aux barbiers. Les chirurgiens furent alors les seuls à pouvoir exercer l’art dentaire. Un personnage s’illustre plus particulièrement : Ambroise Paré (1510-1592), considéré comme le père de la chirurgie militaire (5). Dans ses ouvrages, il explique comment soigner et extraire les dents, décrit des instruments dédiés. Le chapitre IIde son IVelivre s’intitule « Instruments pour arracher et casser les dents », dans lequel il décrivait un instrument universel d’extraction, le « polican », (6) On pourra noter qu’il conseillait l’utilisation d’huile de girofle, qui est toujours utilisée aujourd’hui par les chirurgiens-dentistes sous la dénomination d’eugénol. Sous Louis XIV. Couillard, maître chirurgien de Montélimar, dans son livre « le chirurgien opérateur » décrit entre 1639 et 1660 des exercices de l’art dentaire très empiriques. Il était fort délicat de cerner la qualité réelle du praticien. Ceux-ci, notamment les opérateurs ambulants, se donnaient en effet des titres pompeux « chirurgien des camps et armées », « médecin chirurgien du roi du Maroc », « chirurgien du régiment royal italien » (7)… Il est bien difficile de retrouver une trace d’un praticien des armées. On peut cependant citer d’Aquin, médecin du roi (8). Il participa en effet avec le souverain à la campagne des Flandres en 1676. Il décrivit les multiples épisodes dentaires dont le roi souffrit et les traitements qui furent mis en œuvre: essence de girofle, de thym, cataplasmes de mie de pain et de lait, le bouton de feu, des gargarismes de vin et fleur d’oranger… Quelques décennies plus tard, à l’aube du XVIIIe siècle, sous Louis XIV, la profession évolua de façon notoire. En effet, en 1699, les Lettres Patentes du roi imposèrent aux arracheurs de dents et charlatans de se former auprès d’un maître et de passer des examens auprès de la Communauté des Chirurgiens de la ville où ils voulaient exercer. L ’exercice de l’art dentaire était devenu une véritable profession avec un embryon de code de déontologie. L ’édit de janvier 1708 portant création de médecins et chirurgiens inspecteurs généraux, chirurgiens majors des camps et armées, médecins et chirurgiens majors des hôpitaux des villes et places de guerre, et des armées de terre initia quant à lui un premier Service de santé des armées avec un statut de praticien des armées à part entière. Le XVIIIe siècle. Au XVIIIe siècle, on retrouve la trace de multiples chirurgiens-dentistes ayant eu lien avec les armées. René-JacquesCROISSANT DE GARENGEOT. Garengeot (1688-1759) (fig. 1) fut probablement l’un des précurseurs des chirurgiens-dentistes des armées. Il fit ses études dans un hôpital maritime, fut médecin du bord du « Comte de Toulouse ». Sa carrière militaire débuta sur le tard comme chirurgien major du Royal Infanterie avec lequel il participa aux batailles de Fontenoy, Raucoux, Lawfeld, Rosbach, Crevelt et Minden. Dans « le nouveau traité des dents », il indiquait les instruments de diagnostic et de traitement. Il était un adepte du pélican, et décrivait comment l’utiliser de façon judicieuse. Il proposa même des améliorations qu’il avait apportées à l’instrument. Il décrivit enfin deux daviers et leurs inconvénients. Il est également connu pour ses querelles avec Vigneron, fabricant d’instrument, qui lui reprochait de s’être approprié certaines de ses découvertes, mais surtout avec Pierre Fauchard qui lui reprochait certaines de ses théories, notamment l’utilisation du nitre. (9, 10). Le premier chirurgien-dentiste : Pierre FAUCHARD (1678-1761). Il est classiquement le premier chirurgien-dentiste. Il fut le premier à employer cette dénomination de «chirurgien-dentiste», notamment dans son remarquable ouvrage « Le chirurgien-dentiste ou traité des dents » (11). Cette publication a marqué un tournant majeur dans l’évolution de la profession, la transmission du savoir ne 470 o. lecomte se faisant plus exclusivement oralement, mais surtout par écrit. Fauchard fut-il réellement praticien des armées ? Un doute subsiste (12). Lors de son passage à Nantes vers 1693, il étudia très certainement à l’école de médecine et dans les hôpitaux maritimes sous la direction du chirurgien major du roi Portelet. En revanche, il n’a, très probablement, jamais été embarqué sur un navire de la Marine royale. On peut cependant signaler que sa formation initiale fut brillamment réalisée par le Service de uploads/Sante/ 3-1-les-praticiens-des-armees-dans-l-histoire-de-l-art-dentaire-lecomte.pdf

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  • Publié le Jul 15, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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