LES RELATIONS ENTRE SANTE, DEVELOPPEMENT ET REDUCTION DE LA PAUVRETE Jean-Claud

LES RELATIONS ENTRE SANTE, DEVELOPPEMENT ET REDUCTION DE LA PAUVRETE Jean-Claude Berthélemy Académie des Sciences Morales et Politiques et Université Paris 1 Panthéon Sorbonne Résumé Cette communication part du constat d’une relation très forte, mais non-linéaire, entre progrès de santé et développement économique. Cette relation est interprétée comme le résultat d’une interaction réciproque entre ces deux variables, qui peut conduire une économie alternativement dans un piège de sous-développement ou dans une spirale vertueuse de décollage économique. Les pays émergents, principalement en Asie, ont échappé à la misère à partir du moment où ils ont commencé à faire des progrès en matière de santé et d’éducation. Les pays africains, bien qu’ayant fait quelques progrès plus tardifs dans ces domaines, sont restés très en retard, et leur retard s’est aggravé à partir des années 1980 suite à l’épidémie du VIH/SIDA. Cette thèse contribue à justifier l’attention qui est portée aujourd’hui aux politiques de santé en Afrique. Toutefois, l’amélioration des conditions de santé, et la sortie du sous-développement, ne se feront pas simplement par augmentation des budgets d’aide à la santé. Il faut plutôt mettre l’accent sur les réformes nécessaires pour améliorer l’efficacité des politiques de santé. Parallèlement, au niveau microéconomique, de nombreux ménages africains sont enfermés dans un piège de pauvreté, auquel contribue significativement leurs mauvaises conditions de santé. Ceci rend nécessaire la prise en compte de considérations d’équité dans les politiques publiques de santé, qui sont à l’heure actuelle en Afrique relativement défavorables aux pauvres. Communication au Mini-Forum sur la santé dans les pays en développement Comité pour les Pays en Développement de l’Académie des Sciences Paris, 19 et 20 novembre 2007 2 1- Introduction Le point de départ de cette communication est une interrogation de nature historique. Plus précisément, quels facteurs ont différencié à partir des années 1950 les pays qui ont émergé des autres pays pauvres, quand les premiers ont commencé à décoller alors que les seconds stagnaient ? La littérature économique abonde d’hypothèses sur les facteurs qui pourraient expliquer le miracle asiatique comparé à l’échec du développement dans la grande majorité des pays africains. On a tour a tour considéré que c’était l’épargne, la culture, les institutions, qui pouvaient expliquer cette divergence. Beaucoup des hypothèses qui ont été émises à ce sujet sont infondées car mettant en avant des facteurs pour lesquels les pays émergents n’avaient pas d’avantage significatif par rapport aux autres pays pauvres immédiatement avant leur décollage. En revanche, le capital humain ressort très nettement comme différenciant, dès les années 1950, les pays émergents des autres pays pauvres de cette époque, et, parmi les composantes du capital humain, la santé joue un rôle central. Notre conclusion est que, dans les années 1950 et 1960, des améliorations dans la santé ont joué un rôle décisif pour aider les pays que l’on appelle maintenant émergents à sortir de la misère dans laquelle ils étaient plongés peu de temps auparavant, au même titre que les pays africains. Cette conclusion empirique s’appuie sur une théorie de la croissance et du développement économique qui fait jouer un rôle central à la présence de processus cumulatifs entraînant des phénomènes d’équilibres multiples, connue sous le vocable de théorie des pièges de sous-développement ou des pièges de pauvreté. Comme nous essaierons de le montrer, cette conclusion permet d’aborder sous un angle nouveau les éléments d’une controverse récente entre économistes sur les effets de la santé sur la croissance économique, les uns lui attribuant un rôle central, d’autre lui déniant toute influence significative sur le progrès économique. Si elle ne donne pas nécessairement une recette universelle pour identifier les initiatives de politique de développement qui pourraient permettre aux pays pauvres de sortir à leur tour de la misère, cette conclusion permet de mettre l’accent sur le fait qu’une part non négligeable des pays africain est encore aujourd’hui, malgré les progrès recensés au cours des dernières décennies, dans une situation de pénurie extrême de capital humain, notamment en matière de santé, telle qu’il serait illusoire de vouloir aider ces pays à se développer sur le plan économique tant que ces facteurs de blocage n’auront pas été levés. La suite de cette communication se penche alors tout naturellement sur les éléments des politiques de santé en Afrique qui posent le plus de problèmes et sur les réformes qu’il serait souhaitable de mettre en œuvre pour résoudre ces problèmes. Beaucoup de commentateurs ont tendance à mettre en avant le manque de moyens financiers, et la nécessité d’augmenter l’aide. Dans le secteur de la santé, cette approche est de moins en moins pertinente, compte tenu de l’importance des efforts qui ont déjà été consentis pour accroître l’aide aux pays pauvres dans ce domaine. Au-delà de la contrainte financière, bien d’autres défis doivent être relevés : celui de la faiblesse des ressources humaines et des mécanismes d’incitation dans les services de santé publique ; celui de la concentration des financements sur des grands programmes verticaux, notamment de lutte contre l’épidémie du VIH/SIDA, au détriment d’autres dépenses ; celui de la nécessité d’une approche intégrative, intégrant la santé, l’éducation et d’autres services publics de base dans une même stratégie, qui fait souvent 3 défaut ; celui de l’absence de coordination de l’aide ; celui enfin de l’insuffisante prise en compte des considérations d’équité dans les politiques de santé des pays africains. Dans un premier temps, nous discuterons des relations d’interaction qui existent entre le développement économique et les progrès en matière de santé, pour montrer la place centrale qui peut être occupée, dans les pays pauvres, par ces interactions dans l’explication des pièges de pauvreté. Dans un second temps, nous étudierons les différents aspects des politiques de santé en Afrique qui peuvent participer au succès ou à l’échec des efforts entrepris pour améliorer la situation de ces pays dans ce domaine. 2- L’interaction dynamique entre progrès de la santé et développement économique a) Les relations entre développement économique et progrès en matière de santé Les relations entre la croissance et les progrès en matière de santé font l’objet d’une controverse à la fois théorique et empirique entre les économistes. On observe assez naturellement qu’il y a une corrélation entre les niveaux de vie, tels que mesurés par le PIB en parité de pouvoir d’achat et les niveaux de santé. Pour une part, les travaux de la Commission sur la macroéconomie et la croissance présidée par Sachs (2001), visant à montrer l’intérêt des investissement dans la santé pour le développement économique, avaient pour point de départ cette relation entre les performances économique et l’amélioration de la santé. La Figure 1 illustre cette corrélation, en ce quo concerne les taux de survie des adultes (jusqu’à 60 ans) et des enfants (jusqu’à 5 ans). La Figure 2, se rapportant aux espérances de vie et aux espérance de vie en bonne santé, révèle un profil identique. Figure 1 : indicateurs de taux de survie par groupe de pays classés en quintile 40% 60% 80% 100% 1 2 3 4 5 pays regroupés par quintile de revenu par habitant taux de survie des enfants jusqu'à 5 ans taux de survie des adultes jusqu'à 60 ans Source : calculs de l’auteur d’après les données de l’OMS (indicateur de santé) et du Groningen Growth and Development Centre (PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat) 4 Figure 2 : indicateurs d’espérance de vie par groupe de pays classés en quintile 30 40 50 60 70 80 1 2 3 4 5 pays regroupés par quintile de revenu par habitant espérance de vie espérance de vie en bonne santé Source : calculs de l’auteur d’après les données de l’OMS (indicateur de santé) et du Groningen Growth and Development Centre (PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat) Bien que montrant clairement que les conditions de santé et le revenu par habitant évoluent dans le même sens, cette figure appelle immédiatement deux commentaires. Tout d’abord cette relation n’est pas linéaire : entre les pays de notre premier quintile (avec un revenu par habitant inférieur à 2000 dollars en parité de pouvoir d’achat, aux prix de 1990) et les pays du deuxième quintile (entre 2000 dollars et 4000 dollars) le taux de survie des adultes passe de 54% à 81%, et le taux de survie des enfants jusqu’à l’âge de 5 ans passe de 84% à 95%. Au- delà, les progrès de taux de survie deviennent marginaux. Ensuite cette relation ne nous dit rien sur le sens de la causalité éventuelle entre ces deux variables. En réalité la causalité est probablement bidirectionnelle. Nous disposons de plusieurs analyses permettant d’expliquer pourquoi la santé peut influencer les performances économiques, et pourquoi en retour le progrès économique entraîne celui de la santé. Concernant le premier point, on sait tout d’abord que, au niveau microéconomique, l’état de santé des individus influence leurs capacités productives. Strauss et Thomas (1998) ont rassemblé un ensemble convergeant d’observations montrant le lien entre santé et productivité et, ce qui est intimement lié, le lien entre nutrition et productivité. Dans différents pays on observe un lien positif entre, d’une part, la uploads/Sante/ berthelemy.pdf

  • 36
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Oct 21, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.2304MB