Actes de la recherche en sciences sociales Les musées d'anatomie sur les champs
Actes de la recherche en sciences sociales Les musées d'anatomie sur les champs de foire Christiane Py, Cécile Vidart Citer ce document / Cite this document : Py Christiane, Vidart Cécile. Les musées d'anatomie sur les champs de foire. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 60, novembre 1985. Images "populaires" pp. 3-10; doi : https://doi.org/10.3406/arss.1985.2282 https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1985_num_60_1_2282 Fichier pdf généré le 23/04/2018 Résumé Les musées d'anatomie sur les champs de foire. Le musée d'anatomie est une des médiations concrètes qui assurent le passage du savoir savant au savoir populaire. Conçu dans un premier temps comme un outil pédagogique pour les étudiants en médecine, le musée devient, à la fin du 19e siècle, sur les champs de foire un objet d'attraction qui ne perd pas pour autant sa vocation première mais au prix d'une retraduction moralisatrice. C'est à cette étape particulière de la diffusion de ce type de savoir qu'est consacrée cette étude. Zusammenfassung Anatomie-Schau auf dem Festplatz. Die Ahatomie-Schau bildet eines der konkreten Vermittlungsglieder, anhand dessen gelehrtes Bildungsgut in populäres Bildungsgut umgesetzt wird. In einer ersten Phase als pädagogisches Instrument für die Medizinstudenten konzipiert, wird die Anatomie-Schau am Ende des 19.Jahr- hunderts zu einer Attraktion auf Festplätzen. Zwar verliert sie damit nicht ihre ursprüngliche Bestimmung, dies aber doch nur um den Preis einer moralisierenden Umdeutung. Dieser ersten spezifischen Etappe der Verbreitung dieses Typs von Wissen ist der vorliegende Artikel gewidmet. Abstract Anatomical Museums in the Fairground. The anatomical museum is one of the concrete mediations which bridge the gap between scientific knowledge and popular knowledge. Initially conceived as a tool for teaching medical students, in the late 19th century the museum became a fairground attraction. In so doing, it did not lose its initial purpose, but underwent a moralizing reinterpretation. The article deals with this particular stage in the diffusion of this type of knowledge. Illustration non autorisée à la diffusion Christiane py, Cécile vidart Façade d'un musée d'anatomie sur un champ de foire du début du 20e siècle. Les savoirs populaires sont souvent, on le sait, la forme dégradée des savoirs savants de la génération précédente. Mais on sait moins comment se constitue cette culture dans la mémoire collective. Par quelles étapes se réalise la circulation de la culture savante ? Le musée d'anatomie est une de ces médiations concrètes qui assurent le passage du savoir savant au savoir populaire. Installés sur les champs de foire à la fin du 19e et au début du 20e siècles, les musées de cires anatomiques apparaissent comme un des lieux de diffusion les plus remarquables. Le public a accès à la connaissance de l'anatomie sous les espèces déclassées d'un savoir savant destiné jusqu'alors à une population scientifique. Privé de son contexte médical, le musée d'anatomie va être accessible à un large public dans des conditions qui ne sont pas celles d'une bonne réception de la culture savante. Les outillages fabriqués à l'usage des savants sont détournés, changent de fonction et sont restructurés pour répondre à de nouvelles attentes : le champ de foire remplace l'Université, la baraque foraine l'amphithéâtre, et le directeur de musée, qui s'approprie le titre de docteur, est un simulacre de savant. Il ne possède pas les moyens de transmission de ce savoir et son discours est une réinterprétation d'une culture selon des schemes qui ne sont pas ceux du langage scientifique. Le musée ne s'adresse pas seulement à un public populaire. Toutes les classes de la société sont en effet présentes dans les grandes fêtes foraines du siècle passé et de la Belle Epoque, et elles ont accès au musée d'anatomie comme à d'autres instruments de diffusion du savoir scientifique et artistique, des expériences de physique aux tableaux vivants. «Voici le musée d'anatomie qui montre, reproduites en cire, les infirmités qui affligent l'espèce humaine. Les sujets modelés par des spécialistes, sont, en général, de bons moulages, mais il n'est guère réjouissant de contempler en leur immobilité cadavérique des lépreux, des suppliciés, des écorchés, des pesteux». Cette description par un journaliste du Petit Parisien de ce «musée» présenté dans une fête foraine parisienne vers 1900 est peut- être celle de la collection de cires du Grand musée anatomique Spitzner, exposée sur les champs de foire à partir de 1885 (1). La présence dans les fêtes foraines de quelques musées de cires historiques et anatomiques, au côté d'autres attractions, théâtres, cirques, cinématographes, carrousels, est relativement récente. Conçu dans un premier temps comme un outil pédagogique pour les étudiants en médecine —les établissements hospitaliers faisaient mouler les cas les plus typiques des maladies les plus répandues— le musée d'anatomie est réutilisé par les directeurs d'établissements forains qui déclarent «informer» sur le champ de foire, avec d'autres attractions scientifiques, un public non initié et adulte. C'est au milieu du 19e siècle qu'apparaissent ces musées, soit dans des lieux fixes, comme celui de Spitzner à ses débuts, au Pavillon delà Ruche à Paris en 1 8 5 6 , soit sur les champs de foire de 1880 à 1914. Technique utilisée au 15e siècle, le modelage des portraits en cire était une pratique mortuaire royale : en raison des risques de décomposition des corps, «on fut amené à remplacer le corps par son 'image' ou 'feinte' en cire» (2). Cette coutume fut instaurée aux funérailles de Charles VI en 1422 ; elle prit ensuite une signification symbolique et perdura jusqu'à la Révolution. 1— Mise en vente en juin 1985, elle vient d 'être rachetée par les laboratoires Roussel-UCLAF, dans sa totalité. Grâce à une campagne de presse, sa dispersion a été évitée et elle sera exposée au Musée des arts décoratifs, à Paris. 2— A. Erlande-Brandebourg, Le Roi est mort, Paris, Arts et Métiers graphiques, 1975. Illustration non autorisée à la diffusion 4 Christiane Py, Cécile Vidait L'origine des cires anatomiques remonte vraisemblablement au 16e siècle. En 1579, Biaise de Vigenère parle de trois figures en cire noire, l'une montrant «l'homme vif», l'autre «comme s'il était écorché» , la troisième «figurant le squelette». Les cires deviennent au 18e siècle des «curiosités» qui se visitent dans des cabinets comme celui de Mademoiselle Biharon vers 1720. Le «premier cercle de personnages en cire est dû à Antoine Benoist, qui s'exhibe dans les foires dans la deuxième moitié du 18e siècle» (3). Et le célèbre Curtius présente de grands tableaux historiques dans ses cabinets du Palais-Royal et du boulevard du Temple, vers 1770. Mais c'est un médecin (et chimiste), Orfila, qui crée le premier musée de cire d'anatomie pathologique grâce au fondateur de cette discipline, Dupuytren, chirurgien de Louis XVIII et Charles X. «Les figures de cire prirent alors l'esprit du siècle et se couvrent du nom de la science» (4). Le 19e siècle est dominé par ce que Michel Vovelle appelle «l'offensive médicale» . Après un succès incertain dans la première moitié du 19e siècle, la médecine s'impose dans la seconde et «une nouvelle philosophie scientifique et médicale se met en place, fondée sur une défense volontaire et systématique de la vie» (5). On assiste alors à une «amplification du discours vénéro- logique» centré sur la maladie syphilitique que «l'étude clinique a permis de bien connaître» (6). Parallèlement aux progrès de la médecine qu'atteste pour une part la baisse de la mortalité et aux grandes découvertes de Pasteur, les années 1870-1880 sont en effet marquées dans tous les domaines de la vie sociale et culturelle par cette obsession de la maladie et de la mort et notamment par «l'angoisse vénérienne» qui traverse toute la littérature de l'époque : présente dès les années 1880, chez Huysmans (En ménage) et Barbey d'Aurevilly (La vengeance d'une femme, dans Les diaboliques), la syphilis devient le sujet principal àesRevenants d'Ibsen en 1889 et sera aussi le thème d'un roman de Thomas Mann, Le docteur Faustus. Elle figure également dans la peinture avec Félicien Rops, Edvard Munch, etc. A ces représentations littéraires et artistiques qu'une époque donne d'elle-même, on doit ajouter le musée d'anatomie. Celui-ci se situe à l'entrecroisement de deux champs, le champ médical, avec l'offensive de «l'hygié- nisme» , et le champ artistique marqué dans de nombreux domaines par la morbidité. Il a désormais sa place dans les foires qui présentent, à titre d'attractions, des expériences scientifi- 3— G. Dumur, Histoire des spectacles, Paris, Gallimard, 1965, p. 1437. 4— H. Bidou, Les mystères de la foire, Le Temps, 9-4-1930. 5— M. Vovelle, La mort et l'Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983, p. 527, 6— A. Corbin, Les filles de noce, Paris, Flammarion, 1982, pp. 362-363. ques, comme les rayons X, les kiné- toscopes mais aussi des spectacles où le corps est mis en et sur la scène dans ses difformités et ses anomalies. L'anatomie morale Le musée anatomique est réservé à un public d'adultes c'est-à-dire d'«hom- mes seulement ayant 20 ans révolus» (7). Le programme du Grand musée pathologique Gross, en 1879, précise aussi que «les militaires ont demi- place». En effet les militaires semblent être parmi les spectateurs les plus assidus des musées d'anatomie ou du moins ils paraissent en être la cible uploads/Sante/christiane-py-les-muse-es-d-x27-anatomie-sur-les-champs-de-foire.pdf
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- Publié le Jul 09, 2022
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