Boujemaa Raouyane, At-tibb al kuluniyali al faransi bi al maghrib, 1912-1945, R

Boujemaa Raouyane, At-tibb al kuluniyali al faransi bi al maghrib, 1912-1945, Rabat, 2013, 479 pages. La thèse de Boujemaa Raouyane sur la médecine coloniale française au Maroc, soutenue en 2004 sous la direction de Brahim Boutaleb, est publiée en 2013 à Rabat. Un gros livre en 479 pages, bien écrit, solidement documenté et illustré de graphiques, cartes et photos. Cette étude, qui fait croiser les regards de l ‘historien et du médecin, de l’histoire sociale et de l’histoire biologique, pour arriver au «sous-sol de l’histoire», pour reprendre l’expression qui fut en usage dans les recherches de l’école des Annales pendant les années soixante du siècle dernier, constitue une contribution essentielle à l’intelligence de l’histoire sociale du Maroc pendant le Protectorat français. L’auteur a structuré son travail autour de onze chapitres en trois parties. Il part des conditions de la vie quotidienne, à savoir l’alimentation, l’habitation et les manières traditionnelles de la guérison, accède en second lieu au système pathologique des maladies et des épidémies auquel la médecine coloniale devait faire face pour mieux gérer le pays et ses habitants, et termine avec les mécanismes mis en place par l’administration du Protectorat français pour lutter contre les maladies. En allant de bas en haut, dans son argumentation, Boujemaa Raouyane constate que la médecine fut un outil fondamental de colonisation et de pacification, le meilleur moyen que les colons pouvaient utiliser pour pénétrer dans le pays, le pacifier et attirer les populations. Le Maréchal Lyautey en était fortement conscient. Le cadre historique de cette étude, s’étalant entre 1912 et 1945, est justifié par des raisons chronologiques et méthodologiques. D’abord, les deux dates sont significatives quant à l’histoire du pays. C’est en 1912, date à laquelle le traité du Protectorat a été signé, qu’une administration sanitaire a été mise en Hespéris-Tamuda, Vol XLIX, (2014), pp. 191-193 Boujemaa Raouyane 192 place pour faire face aux problèmes de santé et d’hygiène dans le pays Quant à 1945, elle marque la fin d’une politique qui combinait colonisation et mise en place des structures sanitaires, pacification et lutte contre .les maladies et les épidémies. Car à partir de cette date, un changement majeur s’est opéré en matière de santé, qui consistait à remodeler la politique sanitaire et à réorganiser les structures et services de santé, bien que le lecteur eût préféré que l’approche fût plutôt à visée globalisante, intégrant ces deux périodes, en les reliant au développement des techniques médicales et à l’évolution de la société marocaine. La première partie du livre traite des structures de la vie quotidienne liées aux questions médicales, notamment les aliments, déficitaires en valeur nutritive, les eaux, souvent malsaines même en milieu urbain, et les médecines traditionnelles largement dépassées par l’ampleur des maladies et des épidémies, ce qui explique la fragilité sanitaire dont souffraient les populations marocaines dans les villes comme dans les campagnes. L’auteur pose une question fondamentale au terme de cette partie: pourquoi les Marocains ont continué à pratiquer une médecine traditionnelle, pourtant déficiente et peu efficace dans les maisons, les mausolées et les souks hebdomadaires, malgré la mise en place d’une médecine pasteurienne qui cherche d’abord à diagnostiquer les maladies avant de les soigner? Question de mentalité, probablement. Une chose est sûre cependant, comme le précise l’auteur, les Français n’ont rien fait, sur le terrain, pour lutter contre les pratiques archaïques héritées des ancêtres. Dans les souks, les gens cherchaient les soins qui leur étaient familiers, comme l’arrachement des dents, le plâtrage des fractures et les ventouses attirant le mauvais sang, sous le regard des officiers de l’administration coloniale. La seconde partie est consacrée au système pathologique. Elle explique les maladies et les épidémies frappant le pays en faisant appel à l’approche analytique qui consiste à suivre la maladie depuis son apparition jusqu’à sa disparition, plutôt qu’à l’approche synthétique qui étudie les maladies de façon synchronique, c’est-à-dire dans son évolution par rapport aux autres maladies, dans le temps et dans l’espace, et ce , faute de nosologie complète propre au Maroc. L’auteur en est bien conscient grâce à son ouverture aux méthodes de recherche en histoire biologique en Europe, comme elle a été pratiquée à l’école des Annales. Ainsi, toutes les épidémies et les maladies ont été exposées et analysées avec précision quant à leurs dates d’apparition et de disparition entre 1911 et 1945, comme c’est le cas pour le typhus, la peste, la variole, le paludisme, la syphilis, la lèpre, la tuberculose, le trachome. Le lecteur trouvera, encore, à la fin de cette partie, tout un chapitre sur la grande COMPTES RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES RESEÑAS BIBLIOGRÁFICAS 193 famine de 1945, connue sous les noms de ‹‹ ‘am. al boun ›› ou «‘am bou hayyouf», avec des explications détaillées sur la liaison entre cette famine causée par une longue sécheresse et l’épidémie de fièvre récurrente. Toute fois, il n’est pas sans intérêt de souligner que ce tableau noir que l’auteur brosse au sujet des conditions de santé et d’hygiène n’est nullement propre au Maroc. Toutes les sociétés pré-modernes ont souffert de maladies et d’épidémies, bien qu’à des degrés variables. Même en Europe, les gens ont dû supporter des temps difficiles malgré les changements historiques majeurs des débuts de l’Age moderne, aux 16\ 17e et 18e siècles. Ce n’est qu’avec la révolution industrielle et le développement technique que l’Europe a pu accéder à la méthode pasteurienne, scientifique et technique quant au traitement des maladies à une grande échelle, sociale notamment. C’est ce qui ressort des études du médecin et historien français, d’origine croate, Mirko Drazen Grmek, spécialiste en histoire de la pensée médicale en Occident. La troisième partie, elle, s’attaque à l’administration de la médecine coloniale. L’auteur met en relief le parallèle entre la naissance des structures et des services de santé d’une part, et la mise en place du régime colonial d’autre part, en démontrant comment les établissements hospitaliers furent un outil pour réaliser les objectifs du Protectorat, à savoir la domination du pays. Cependant, Boujemaa Raouyane n’a pas manqué de souligner les conséquences d’une telle politique, notamment en ce qui concerne les opérations de vaccination contre les maladies contagieuses et l’amélioration des conditions sanitaires, ce qui explique en fin de compte l’accroissement de la population marocaine, car celle­ -ci avait doublé en l’espace de trente ans, entre 1912 et 1945, passant ainsi de 4 à 8 millions d’habitants. Le processus n’a pas cessé depuis, chose inédite dans l ‘histoire du Maroc. A partir d’une documentation solide et variée, notamment les bulletins spécialisés de l’administration coloniale tels «Maroc Médical», «Bulletin de l’Institut d’hygiène», «Revue internationale du Trachome», les archives de France, surtout celles de Nantes et du CHEAM, les rapports des médecins exerçant dans différents centres hospitaliers du pays, et d’autres types de document, Boujemaa Raouyane est parvenu à construire son objet d’étude, à reconstituer les conditions de santé et d’hygiène dans le Maroc précolonial et colonial, et produire une contribution stimulante à la compréhension de son histoire sociale. Mohamed Houbaida Faculté des Lettres de Kénitra uploads/Sante/ boujemaa-raouyane-at-tibb-al-kuluniyali-rabat-2013-479-pages 1 .pdf

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  • Publié le Dec 20, 2021
  • Catégorie Health / Santé
  • Langue French
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