Délirium en réanimation : épidémiologie et prise en charge Gérald Chanques 1,2,

Délirium en réanimation : épidémiologie et prise en charge Gérald Chanques 1,2, Clément Monet 1,2, Zied Hajjej 3, Audrey de Jong 1,2, Océane Garnier 1, Yassir Aarab 1,2, Samir Jaber 1,2 1. CHU de Montpellier, hôpital Saint-Éloi, département d'anesthésie réanimation (DAR), 34295 Montpellier cedex 5, France 2. Université de Montpellier, PhyMedExp, Inserm, CNRS, 34295 Montpellier cedex 5, France 3. Hôpital militaire de Tunis, département d'anesthésie réanimation, 1008 Montfleury, Tunis, Tunisie Correspondance : Gerald Chanques, Centre hospitalier universitaire de Montpellier, hôpital Saint-Éloi, département d'anesthésie-réanimation (DAR), 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France. gerald.chanques@umontpellier.fr Disponible sur internet le : 19 décembre 2019 Mots clés Confusion mentale Encéphalopathie Agitation Réanimation Soins intensifs Sédation Résumé La confusion mentale (« delirium » pour les Anglo-Saxons) concerne un tiers des patients hospitalisés en réanimation/soins intensifs adultes. Il s'agit d'une dysfonction cognitive poly- morphe avec une composante obligatoire : le déficit de l'attention. Si ce trouble est absent, on ne peut pas parler stricto sensu de confusion, et la prise en charge thérapeutique n'est pas la même. Des outils diagnostiques sont validés dans plusieurs langues, dont le français, aidant à la prise en charge de ce trouble souvent déconcertant pour les équipes de soin comme pour les familles. La confusion mentale est un symptôme au même titre que la douleur ou la fièvre, sa présence doit faire chercher une étiologie « organique » de principe. Ainsi, la pierre angulaire du traitement préventif et curatif est le dépistage des processus pathologiques conduisant à la perturbation du fonctionnement cérébral : sepsis, déficit d'apport cérébral en oxygène, désordres hydroélectro- lytiques, toxiques (sédatifs, analgésiques, antibiotiques, anticholinergiques. . .). Le traitement curatif étiologique prend le temps de la correction de ces processus pathologiques. Le traitement symptomatique consiste à prévenir les conséquences de l'agitation si elle est présente (chute, auto-ablation de matériel) et à diminuer les symptômes s'ils sont source de souffrance (anxiété, hallucinations, délire). Les thérapeutiques non-pharmacologiques ont leur place pour optimiser le confort. La mobilisation active précoce pourrait réduire la survenue de confusion, si elle est intégrée à une prise en charge globale de minimisation de la sédation. La confusion fait l'objet de nombreuses recherches car elle est associée à des dysfonctions cognitives persistantes à long terme. tome 6 > n81 > janvier 2020 https://doi.org/10.1016/j.anrea.2019.11.008 © 2019 Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 82 Revue Anesth Reanim. 2020; 6: 82–89 en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/anrea www.sciencedirect.com Introduction Attention aux malentendus, le delirium est le terme anglo- saxon qui désigne la confusion mentale, et non le délire ! La confusion mentale (= « delirium » des Anglo-Saxons) est définie clairement comme étant un trouble cognitif d'apparition aiguë, déterminé par des processus pathologiques organiques, et qui n'est ni un processus démentiel dégénératif, ni un coma (tableau I). Surtout, la composante sémiologique indispensable pour parler de « delirium » n'est pas le « délire » (source d'erreur sémantique et nosologique au quotidien dans les pays franco- phones) mais un déficit de l'attention [1]. Sans déficit de l'atten- tion, on ne peut pas parler stricto sensu de confusion. Il existe des moyens simples pour se repérer dans une situation de propos incohérents ou inadaptés tenus par un patient, d'autant plus que coexistent fréquemment confusion et délire (idée délirante = croyance irréductible et inébranlable correspondant à une conception fausse de la réalité). Cet article a pour objet d'aborder successivement l'épidémiologie du delirium en réa- nimation/soins intensifs (soins critiques), sa prise en charge diagnostique et thérapeutique, et enfin sa prévention. Épidémiologie du delirium en réanimation L'incidence du delirium en réanimation varie grandement selon les études (entre 10 et 90 %) selon le moment de son évaluation et le nombre d'évaluations. Une méta-analyse de 42 études (16 595 patients) établit une incidence moyenne de 32 % [2]. Le delirium peut être associé à un état d'agitation ou pas (on parle alors de formes hyperactives, hypoactives, ou mixtes si les formes hyper et hypoactives s'enchaînent dans le temps). La forme hypoactive serait la plus fréquente, notamment chez les patients âgés, conduisant à des lacunes diagnostiques si le delirium n'est pas recherché systématiquement [3,4]. Néan- moins, il existe probablement des différences culturelles selon les pays, et selon les pratiques de prise en charge thérapeutique. En effet, les patients sédatés de manière prolongée risquent de développer plus fréquemment une forme hypoactive du fait d'une faiblesse acquise associée à l'immobilisation (polyneuro- myopathies) [5]. L'impact du delirium sur le devenir des patients est rapporté de manière variable dans la littérature. Outre les conséquences de l'agitation pour les formes hyperactives de delirium (auto-extubation, auto-ablation de cathéters, chutes du lit, déambulations spontanées, taux plus important de repri- ses chirurgicales et d'infections liées aux soins [6]), le delirium est associé de manière variable dans la littérature à tous les marqueurs d'un mauvais pronostic : durées prolongées de ven- tilation mécanique, de séjour en réanimation et à l'hôpital, coût plus important de prise en charge, voire surmortalité [7]. À ce jour, l'élément de mauvais pronostic qui est associé au delirium avec le plus de certitude est la persistance de troubles cognitifs à long terme [7,8]. Un tiers des patients survivants à un séjour en réanimation auraient un trouble cognitif comparable à un trau- matisme crânien modéré, et un quart à une maladie d'Alzheimer débutante, un an après le séjour en réanimation [8]. Il n'est pas possible actuellement de déterminer si c'est le delirium qui est Keywords Delirium Encephalopathy Agitation Critical care Intensive care unit Sedation Summary Epidemiology and management of delirium in critical care Delirium ("mental confusion'' in French) occurs in one third of adult intensive care unit (ICU) patients. It is a polymorphic cognitive dysfunction but with a mandatory feature: inattention. If this feature is absent, this is not a delirium, and its management is different. Diagnostic tools have been validated in many languages including French, to help managing this disorder that is frequently disconcerting for bedside clinicians as well as for the patient's family. Delirium is a symptom on the same way as pain or fever. When present, it should lead to investigate any organic aetiology. Thus, the cornerstone regarding the preventive and curative treatment of delirium is the detection of all pathological processes disturbing the cerebral functioning: sepsis, lack of oxygen transport to the brain, hydroelectrolytic disorders, toxics (sedatives, analgesics, antibiotics, anticholinergic drugs. . .). The curative etiological treatment requires the time needed for the improvement of all underlying pathological processes. The symptomatic treatment helps preventing the consequences of potential agitation (falling, self-removal of devices) and reducing associated symptoms if those are distressful for the patient (anxiety, hallucinations, delusion). Non-pharmacological interventions could help improving patient's comfort. Early active mobi- lisation could reduce the occurrence and duration of delirium if it is integrated in a global approach regarding the minimisation of sedation. Delirium is associated with long-term cognitive dysfunctions giving rise to many ongoing studies to better manage this complex disorder in the ICU setting. Délirium en réanimation : épidémiologie et prise en charge tome 6 > n81 > janvier 2020 83 Revue responsable de ce trouble cognitif persistant ou si c'est le contexte clinique qui était associé au delirium en réanimation (dysfonctions d'organe, thérapeutiques, antécédents, histoire naturelle de la maladie après la réanimation. . .) [7]. Néanmoins, la physiopathologie du delirium est si intriquée avec l'histoire clinique du patient et de sa prise en charge thérapeutique, qu'une meilleure prise en charge du delirium et de ses facteurs associés est fortement recommandée pour améliorer le pronostic global des patients. Ainsi, des essais multicentriques centrés sur la prise en charge du delirium, de la sédation et de la réhabilita- tion ont montré un impact sur plusieurs paramètres pronostiques [9] ainsi que sur la mortalité hospitalière [10]. Prise en charge diagnostique Avant toute chose, il est important de rappeler que la confusion mentale est un symptôme au même titre que la douleur ou la fièvre : sa présence doit faire chercher une étiologie « orga- nique » de principe. De nombreux outils de dépistage du deli- rium ont été construits pour être utilisés en routine par les équipes soignantes et médicales [7]. Leur performance diag- nostique par des soignants et médecins non psychiatres est proche de l'évaluation faite par des experts psychiatres ou neuropsychologues utilisant la méthodologie de référence : le manuel diagnostique et statistique (DSM). Les outils les plus validés sont la méthode d'évaluation de la confusion en réani- mation (CAM-ICU) [11] et la check-list pour le screening du delirium en réanimation (ICDSC) [12]. Ces deux outils ont été publiés il y a près de 20 ans, et ont été traduits et validés dans de nombreux langages et populations de patients, notamment pour le CAM-ICU (patients intubés, non intubés, réanimation polyvalente, neuroréanimation, salle de soins post-interven- tionnelle). L'avantage de l'ICDSC est de permettre une quanti- fication du nombre de symptômes confusionnels (ce qui permet de mesurer un « score de delirium ») mais son inconvénient est qu'il fournit une liste de symptômes sans hiérarchisation, et sans que la présence du trouble attentionnel soit uploads/Sante/ delirium.pdf

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  • Publié le Apv 28, 2021
  • Catégorie Health / Santé
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