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∆αι ´µων. Revista de Filosofía, nº 34, 2005, 81-96 Georges Didi-Huberman: une esthétique du symptôme MAUD HAGELSTEIN Fecha de recepción: 26 enero 2004. Fecha de aceptación: 22 abril 2004. 1 Georges DIDI-HUBERMAN, «Des gammes anachroniques» (entretien avec Robert Maggiori), Libération, 23 novembre 2000, reproduit dans Robert MAGGIORI, Didi-Huberman. Le temps de voir, plaquette offerte par Les Editions de Minuit, p. 10. Résumé: En 1990, Georges Didi-Huberman, phi- losophe et historien de l’art contemporain, annonce qu’il veut réaliser une «esthétique du symptôme». L’expression est lourde de consé- quences épistémologiques. Nous voudrions expo- ser ici les enjeux d’ une telle pensée de l’art et éclaircir les questions qu’elle soulève. Quels sont, selon Didi-Huberman, les symptômes des ima- ges? Avant de répondre, il nous faudra faire un détour par la pensée critique de Freud en montrant ce qu’était pour lui un symptôme et en évoquant notamment la figure de l’hystérique. Le concept de symptóme, pris dans son acception freudienne et réactualisé aux confins de 1’œuvre d’art, permet à Didi-Huberman de faire voir de quelle manière complexe des significations hétérogènes peuvent s’agencer, s’articuler dans une image. Ces agen- cements de sens, u les désigne de la notion de symptóme, dont le «pan» est une occurrence par- ticuliére. En reprenant les analyses de Didi- Huberman sur la peinture de Fra Angelico, nous montrerons toute la puissance des symptômes de la peinture et l’ouverture épistémologique qu’ils imposent aux théoriciens de l’art. Mots clés: Freud, hystérie, Didi-Huberman, symptôme, image, pan, visuel, Fra Angelico, cou- leur. Resumen: En 1990, Georges Didi-Huberman, filósofo e historiador del arte contemporáneo, anuncia que va a elaborar una «estética del sín- toma». La expresión está cargada de consecuen- cias epistemológicas. Nos proponemos exponer aquí las claves de tal filosofía del arte y aclarar los problemas que plantea. ¿Cuáles son, según Didi- Huberman, los síntomas de las imágenes? Antes de responder a esta pregunta es preciso hacer un rodeo por el pensamiento crítico de Freud mos- trando lo que es para él un síntoma y evocando sobre todo la figura de la histeria. El conepto de síntoma, tomado en su acepción freudiana y reac- tualizado en los confines de la obra de arte, per- mite a Didi-Huberman hacer ver de qué forma compleja significaciones heterogéneas pueden resumirse, articularse en una imagen. Designa esta articulación de sentidos mediante la noción de síntoma, cuyo «pan» es una circunstancia par- ticular. Retomando los análisis de Didi-Huberman sobre la pintura de Fra Angelico, mostramos todo el poder de los síntomas de la pintura y la apertura epistemológica que imponen a los teóricos del arte. Palabras clave: Freud, histeria, Didi-Huberman, síntoma, imagen, «pan», visual, Fra Angelico, color. A Robert Maggiori, l’interrogeant sur l’existence d’un fil directeur lui permettant de traiter de sujets aussi apparemment hétéroclites que l’hystérie, Fra Angelico, les phasmes ou le minimalisme, Georges Didi-Huberman répondait: «il n’y a pas un fil. Ou alors, le fil est en pelote: chaque image pose un nœud de problèmes, chaque problème traverse une multitude d’images»1. Comment dès lors appréhender ces nœuds de problèmes auxquels nous confronte l’auteur? Partir de la thématique 82 Maud Hagelstein 2 Georges DIDI-HUBERMAN, Devant l’image. Questions posées aux fins d’une histoire de l’art, Paris, Minuit, 1990, p. 310. Nous soulignons. 3 Idem. 4 Georges DIDI-HUBERMAN, Devant l’image, op. cit., p. 41. 5 Georges DIDI-HUBERMAN, «Dialogue sur le symptôme» (avec Patrick Lacoste), L’inactuel, n° 5, 1995, p. 199. 6 Ibid., p. 200. du symptôme, laquelle permet, selon nous, de mettre en perspective les principaux enjeux qui se dégagent de son œuvre. En 1990, dans Devant l’image, Didi-Huberman annonce, fort de son travail préliminaire sur l’hystérie et sur les textes de Freud, qu’il veut entreprendre l’élaboration d’une «esthétique du symptôme». Son ambition s’énonce comme suit: «Il faudrait donc proposer une phénoménologie, non du seul rapport au monde visible comme milieu empathique, mais du rapport à la signifiance comme structure et travail spécifiques (ce qui suppose une sémiologie). Et pouvoir ainsi proposer une sémiologie, non des seuls dispositifs symboliques, mais encore des événements, ou accidents, ou singularités de l’image picturale (ce qui suppose une phénoménologie). Voilà vers quoi tendrait une esthétique du symptôme, c’est-à-dire une esthétique des accidents souverains de la peinture»2. C’est l’articulation de deux champs théoriques —un champ d’ordre phénoménologique et un champ d’ordre sémiologique— qui seraient incomplets l’un sans l’autre. Didi-Huberman juge qu’ils ont été abusivement traités de façon distincte. Se cantonner dans le champ phénoménologique, c’est risquer de se perdre dans l’immédiateté, c’est-à-dire de se limiter à un rapport d’empathie avec l’objet dans sa singularité3. En effet la phénoménologie, dans une acception restreinte certes, n’est, pour Didi-Huberman, qu’attention aux aspects concrets des œuvres, aux data de l’expérience sensible. Articulée à une approche sémiologique, elle permettra la fouille, l’étude d’un sens enfoui mais présent, réminiscent parce que symptomatique. On pourrait légitimement se demander en quoi un concept comme celui de symptôme est susceptible de concerner l’histoire de l’art. Didi-Huberman pose lui-même la question en 1990: «qu’est-ce qu’on entend, au fond, par symptôme dans une discipline tout entière attachée à l’étude d’objets présentés, offerts, visibles? Telle est sans doute la question fondamentale»4. De fait, le symptôme —auquel il faut, selon Didi-Huberman, rendre son hétéronomie à l’égard d’autres notions— ne répond pas aux mêmes exigences de visibilité ou de clarté que le signe: «[…] le signe est un objet, le symptôme est un mouvement»5. Il insiste sur le caractère dynamique du symptôme, qui est, dans l’image, ce qui travaille. Le symptôme est un mouvement, il est symptôma, «ce qui choit avec»6. Ce concept, que Didi-Huberman emprunte à Freud, doit, selon lui, permettre à l’historien ou au philosophe de rendre compte des mouvements de sens —jugés incompréhensibles parce que paradoxaux— qui persistent secrètement dans les œuvres d’art. Il faut aborder cette approche symptomale de l’œuvre d’art en trois temps. Nous commencerons par rappeler dans les grandes lignes ce qu’est le symptôme freudien. Ensuite, nous examinerons, à travers deux exemples pris à la peinture de Fra Angelico, ce que peuvent être les symptômes des images artistiques. Enfin, nous montrerons en quoi Didi-Huberman fait reproche à l’histoire de l’art d’avoir occulté la présence des symptômes qui se manifestent à même les œuvres. 83 Georges Didi-Huberman: une esthétique du symptôme 1. Le symptôme freudien Pour Freud, le symptôme est une production privilégiée de l’inconscient. Il sonne l’alarme, il est le signe d’un processus pathologique, d’une forme de défense. Chargé d'importants intérêts, le symptôme devient petit à petit un élément d’autodéfense du Moi7. Une motion pulsionnelle que le Moi ne peut assumer à cause de la censure qu’exerce le Surmoi, est rejetée, frappée de refoulement, mais parvient, par le biais d’un travestissement, à franchir le seuil de la conscience. «Le symptôme serait le signe d'une pulsion instinctuelle restée inassouvie et le substitut de sa satisfaction adéquate. Il serait l'effet d'un processus de refoulement»8. On ne peut pas dire qu’il s’agisse, pour Freud, d’un processus totalement inhérent au Moi. Le symptôme est plutôt envisagé comme quelque chose qui lui est étranger. Le Moi réagit au symptôme qu’il ne reconnaît pas. Il essaie de s’en débarrasser en se l’incorporant9. Entre le Moi et le symptôme se nouent des liens de conciliation qu’il n’est pas facile de défaire. Le Moi tend à l’unification tandis que le symptôme continue à jouer le rôle de la motion refoulée, ce qui «[…] oblige ainsi le moi à donner, à nouveau, le signal de déplaisir, et à mener une lutte défensive»10. Le symptôme est en perpétuel conflit avec le Moi. «Comme réalisations des exigences du surmoi, [l]es symptômes font déjà partie du moi, tandis que d'autre part ils constituent des positions du refoulé, des lieux d'évasion dans l’organisation du moi. Ils sont, pourrait-on dire, des stations frontières avec occupation mixte»11. C’est ce que Didi-Huberman appellera le caractère «dialectique» du symptôme12. Etudier les processus de formation des symptômes permet de mettre en évidence les intérêts épistémologiques d’un tel paradigme théorique. Freud déclare: «la formation de symptôme a donc, en fait, le résultat de réduire à néant la situation dangereuse. La formation du symptôme a deux côtés: l'un, qui nous demeure caché, provoque dans le ça cette modification au moyen de laquelle le moi est soustrait au danger; le second, qui est visible, nous présente ce que cette formation a créé à la place du processus instinctuel influencé […]»13. La formation du symptôme agit donc sur deux territoires à la fois. L’un, enfoui, souterrain, inconscient, que nous fera découvrir l’archéologue qu’est le psychanalyste, et l’autre, conscient, visible, appartenant au domaine du Moi. 7 Sigmund FREUD, Inhibition, symptôme et angoisse (1926), trad. P. Jury et E. Fraenkel, Paris, P.U.F., 1951, p. 17. 8 Ibid., p. 7. 9 L’expression est étonnante: comment s’incorpore-t-on un symptôme? Freud explique ce phénomène par une tendance du Moi à établir un équilibre énergétique. Le Moi dépense beaucoup d’énergie à tenir éloigné le refoulé. En même temps, pour que cette dépense ne soit pas une perte énergétique trop importante pour le système psychique, le Moi a un besoin d'unité et de synthèse qui le pousse à réduire l'étrangeté et l'isolement uploads/Sante/ didi-symptome.pdf
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- Publié le Mai 20, 2022
- Catégorie Health / Santé
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