Essai sur l’Histoire de la Psychothérapie Institutionnelle Jean Ayme Ce syntagm

Essai sur l’Histoire de la Psychothérapie Institutionnelle Jean Ayme Ce syntagme, proposé en 1952 par Georges Daumézon, indique sa double origine. La psychothérapie institutionnelle naît de la rencontre de la psychanalyse et de la psychiatrie publique au milieu des années 40. Certes, la première rencontre entre héritiers de Pinel et héritiers de Freud remonte à 1925, année de la création de L’Évolution Psychiatrique, creuset de réflexions et d’élaborations très riches sur le plan clinique, psychopathologique, épistémologique mais sans retombées pratiques sur les structures de soins. En revanche la fin de la guerre et de l’occupation, dans le grand élan de renouveau qui suit la libération, est l’occasion d’une remise en question du sort fait aux malades dans un dispositif de soins archaïque et de projets novateurs, en même temps que la psychanalyse freudienne, qui envahit le champ socioculturel, pénètre le milieu médical. C’est à l’intersection de ces deux mouvements que prend naissance la psychothérapie institutionnelle. Objet d’un engouement pour la création d’activités offertes aux malades au sein de l’hôpital, elle reste souvent plus un gadget ou un effet de mode qu’un véritable travail pratique et théorique sur ce tissage du sociologique et du psychanalytique. Et, même chez ceux qui s’y engagent avec plus de rigueur, l’accord ne se réalise pas toujours sur les conditions nécessaires et suffisantes. Les conditions nécessaires ne seront réalisées que par une transformation, voire une subversion de l’appareil de soins centré sur l’accueil, la resocialisation et un traitement assuré au plus près du lieu de vie des malades. Les Journées Nationales de 1945 et 1947 tracent les grandes lignes de ce renouveau escompté. Elles seront reprises dans le combat mené par le Syndicat des Médecins des Hôpitaux Psychiatriques pour la modernisation de l’hôpital, la multiplication des dispensaires, la création de structures extra-hospitalières, l’augmentation des effectifs de personnel et de médecins. Déjà se dessine le schéma de ce qu’on appellera plus tard la politique de secteur. Mais à ces conditions nécessaires vient s’ajouter, pour lutter efficacement contre la logique des camps, la possibilité de s’occuper des malades un par un, dans le respect de leur singularité et par une écoute personnalisée. C’est le modèle psychanalytique qui va servir de référence. Mais il doit s’adapter aux conditions particulières de ce travail dans un cadre collectif où la population est composée en 2 majorité de malades psychotiques, ceux-là précisément qui ne peuvent être pris en charge par un seul thérapeute. On sait que c’est là que Freud avait laissé les choses en l’état, butant sur la problématique du transfert dans ce qu’il appelait la névrose narcissique. Une psychothérapie prenant pour support la vie quotidienne et la convivialité avec les schizophrènes, c’est à cette tâche qu’il fallait s’atteler, faire preuve d’inventivité et recueillir en contre partie les effets formateurs de cette nouvelle clinique. On pourrait dire que si l’hystérique fut le maître de Freud, le schizophrène fut le maître de la psychothérapie institutionnelle. Projet passionnant qui va réunir les fondateurs d’un groupe qui se donne le nom collectif du fictif Docteur Batia (espoir, en langue basque) à l’instar des mathématiciens qui avaient fondé le groupe Bourbaki. Vont se réunir dans l’immédiat après guerre, pendant un temps hélas trop court qui ne permettra que quelques publications, Julian de Ajuriaguerra, Paul Bernard, Lucien Bonnafé, Georges Daumézon, Henri Duchêne, Henri Ey, Pierre Fouquet, Sven Follin, Jacques Lacan, Louis Le Guillant, Paul Sivadon, François Tosquelles. Mais la “révolution psychiatrique” tant espérée tarde à venir malgré la position privilégiée qu’occupent, comme conseillers techniques auprès du Ministre de la Santé, Bonnafé et Le Guillant. De plus la “guerre froide” ne tardera pas à faire sentir ses effets : la psychanalyse est désignée comme l’adversaire, imposant à certains une douloureuse interruption. Dès lors, les uns retournent à leur divan, les autres à l’hôpital. De cet échec historique, laissant le goût amer d’une incompatibilité entre la promesse émancipatrice individuelle et sociale, il restera toujours des traces, même en des temps plus libérés. Quelques années plus tard, en 1953, se produira la première scission dans le mouvement psychanalytique, qui en entraînera d’autres, le plus souvent liées au personnage de Jacques Lacan, alors qu’il s’engage dans une avancée théorique sur le traitement de la psychose. Derrière le reproche affirmé d’une pratique non orthodoxe, se dissimule l’agacement de l’association internationale dominée par les Américains de la place qu’il prend désormais comme théoricien, entraînant de saines polémiques mais également ignorance et anathèmes. Serge Lébovici, qui fut pourtant l’un des signataires de la condamnation de la psychanalyse en 1949, ce qui ne l’empêcha pas de devenir un personnage important de l’IPA, ne déclarait-il pas au début d’une conférence à l’Institut : “ceux qui pensent que l’inconscient est structuré comme le langage ne sont pas obligés de rester dans la salle” ? C’est au travers de ces divisions et de ces affrontements dans le champ politique et dans le champ psychanalytique que se déroule la longue histoire du courant de psychothérapie institutionnelle, que je vais essayer de narrer, à ma manière, qui pourra être jugée subjective et partisane. Dans ce grand brassage d’idées, de projets, de réalisations et d’approches théoriques, des “tendances” se produiront, que je tenterai de dégager dans une dernière partie. En effet si tous s’accordent sur la nécessité de transformer le dispositif soignant (et je montrerai au passage comment le courant de psychothérapie institutionnelle se développe parallèlement et en parfaite complémentarité avec la mise en place de la politique de secteur), des divergences se manifesteront sur la place et la forme qu’y occupe la psychanalyse. Je souhaiterais au préalable faire un arrêt sémantique sur le terme institution pour éviter les contresens. Contrairement à l’usage anglo-saxon pour qui l’institution est l’hôpital, d’où découle la “désinstitutionnalisation”, pour désigner la prise en charge des malades hors de l’hôpital, institution désigne en français, d’abord l’action d’instituer, puis “tout ce qui est inventé par les hommes en opposition aux faits de 3 nature” (Littré). Nous désignons plus volontiers l’hôpital par le terme d’établissement et la démarche visant à le transformer et à traiter les malades dans le tissu social de “désaliénisme”. Le mot institution n’a pas dans notre langue de connotation péjorative. Il a au contraire des implications créatives, transformatrices, voire révolutionnaires. Saint-Just disait que plus la société crée d’institutions, plus l’homme est libre. C’est en effet la Révolution Française qui crée de nouvelles institutions face au système monarchique qui concentrait tous les pouvoirs en un seul homme, pouvoirs qu’il détenait de droit divin. Ces nouvelles institutions, créées par les représentants élus du peuple, chacun devra s’y soumettre, mais elles sont améliorables et révisables. J’illustrerai cette logique institutionnelle par une anecdote qui se situe au tout début de ma carrière de médecin-chef. C’était il y a quarante ans. Je venais de mettre en place, en m’inspirant des réalisations de François Tosquelles à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, un club de malades sur qui reposait l’organisation du travail et des loisirs du service, avec des délégués de pavillons élus et des commissions délibérantes sur les ateliers, les activités culturelles et distractives, y compris sous leur aspect économique. Un matin, en passant dans un pavillon, un malade me demande s’il peut créer une activité dont l’idée vient de lui venir. Habitué à me comporter comme un commandant de navire “seul maître après Dieu”, je lui réponds positivement. Le Surveillant-chef qui se trouvait à mes cotés me fait alors observer que je ne respecte pas les institutions dont vient de se doter le service car ce projet relève de la “Commission de travail”. Je fis amende honorable et ne renouvelais plus jamais la même erreur. Je découvrais que je venais de créer un machine à traiter la demande et que le paysage sociologique du service avait totalement changé avec une redistribution des rôles, des statuts et des fonctions. I — Les origines. L’hôpital psychiatrique de Saint-Alban est situé dans le département de la Lozère, au coeur du Massif Central, le château d’eau de la France d’où partent les fleuves et les rivières qui coulent, les uns vers l’Atlantique, les autres vers la Méditerranée. C’est de là que partira le courant de psychothérapie institutionnelle. De 1940 à 1944 la population française connaît des restrictions alimentaires liées à l’occupation. Elles vont provoquer la mort de 40.000 malades hospitalisés. Ce drame touche tous les hôpitaux psychiatriques. Mais à Saint-Alban le personnel, les médecins et les malades organisent l’approvisionnement en aliments avec le complicité de la population. Durant cette même période l’hôpital accueille des résistants et des personnalités poursuivies par le régime de Vichy, dont le plus connu est le poète Paul Eluard. Cette lutte pour la survie introduit des changements sur le plan relationnel et sociologique. Ces changements se révèlent porteurs de modifications symptomatologiques et évolutives chez les malades. L’arrivée de François Tosquelles en 1941, psychiatre Catalan contraint de fuir l’Espagne après la victoire de Franco, donnera ses fondements à cette nouvelle praxis. Ayant déjà une formation psychanalytique, il apporte avec lui deux ouvrages qui vont lui servir de bases de référence, le livre d’Hermann Simon qui rend compte de son expérience à uploads/Sante/ essai-sur-l-x27-histoire-de-la-psychotherapie-institutionnelle.pdf

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  • Publié le Oct 15, 2022
  • Catégorie Health / Santé
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