H I S T O I R E V oir l’intérieur du corps humain pour en observer les anomalie
H I S T O I R E V oir l’intérieur du corps humain pour en observer les anomalies fut, depuis toujours, un idéal recherché par les médecins. On prati- qua d’abord des autopsies, objet d’oppositions farouches au début, qui furent peu à peu levées. Il était beaucoup plus ambitieux d’explorer visuellement les cavités accessibles, du vivant du malade: fosses nasales, oreilles, cavité vaginale. L’usage des spéculums est déjà men- tionné en 600 avant J.-C., dans le trai- té sanscrit de Suçruta, et le Talmud babylonien. Comment s’éclairer? On peut se demander quelle était l’utilité de ces endoscopies antiques, en l’absence d’éclairage efficace, pro- blème déjà évoqué par Hippocrate qui écrit dans le traité De l’officine du médecin: «De la lumière, il y a deux espèces: la lumière commune n’est pas à notre disposition; la lumière ar- tificielle est à notre disposition» [1]. Pendant les siècles suivants, on re- chercha un moyen efficace d’éclaira- ge. Si aucune innovation spectaculai- re ne vit le jour concernant les endoscopes, les médecins, artisans, bricoleurs, physiciens, ingénieurs ima- ginèrent les procédés les plus cocasses ou les plus ingénieux pour y voir plus clair. Un des premiers«inventeurs» fut Guy de Chauliac (v. 1300-1368) qui mit au point un spéculum nasal et auriculai- re ad solem. Dans une pièce obscure, il laissait pénétrer par la fente d’un vo- 1135 Histoire de l’endoscopie digestive m/s n°10, vol. 15, octobre 99 Histoire et Sciences Sociales let un rayon de soleil qu’il concentrait par un système de miroirs. Plus tard, un élève de Vésale, Jules- César Arantius (1530-1589) explora la possibilité d’éclairage artificiel en plaçant une grosse chandelle derriè- re une bouteille emplie d’eau pour concentrer les rayons lumineux. Il fallut attendre deux cents ans pour qu’Archibald Cleland, chirurgien écossais, mette au point, en 1744, l’ancêtre du miroir de Clar constitué d’une bougie placée au foyer d’un miroir concave. Quelques années plus tard, Georges- Arnaud de Rosnil, chirurgien fran- çais émigré à Londres, munit un spé- culum d’une lanterne sourde argentée en dedans et d’une lentille concen- trant la lumière; cet instrument qui so- lidarisait pour la première fois lumiè- re et endoscope peut être considéré comme l’ancêtre lointain de nos ap- pareils actuels. Enfin, Philip Bozzini (naturalisé Alle- mand) (1773-1809) imagina le licht- leiter groupant une lanterne et une série de tubes métalliques pourvus de miroirs à l’une de leurs extrémités ; c’est le premier appareil optique véri- table dont l’usage ne se répandit d’ailleurs pas. C’est pourtant à partir de cet appareillage primitif et impar- fait que furent construits les premiers endoscopes dignes de ce nom. Les premières endocopies Les premiers endoscopistes furent des urologues. En effet, au milieu du XIXe siècle, la lithiase vésicale était ex- trêmement fréquente et les urologues avaient mis au point un appareillage très efficace pour cathétériser l’urètre et traiter les calculs de vessie. L’un de ceux-ci, Pierre-Salomon Sé- galas d’Etchepare, eut l’idée que la vision directe permettrait de mieux apprécier les lésions provoquées par la présence des calculs vésicaux. C’est ainsi qu’il déposa à l’Académie des Sciences un pli cacheté, résumant ses travaux depuis 1822 [3]. L’appareil qu’il décrit est composé de deux tubes d’argent, l’un pour l’éclairage direct, l’autre pour l’observation. Trente ans plus tard, le 29 novembre 1853, Désormeaux reçut un prix de 2000F lorsqu’il présenta son urétro- scope pourvu d’un éclairage latéral le rendant beaucoup plus maniable que celui de Ségalas (figure 1). Il explora ainsi, outre l’urètre et la vessie, l’uté- rus, les rétrécissements du rectum, les plaies profondes pour déceler les corps étrangers. S’il est plus connu que son prédécesseur, auquel il rend hommage dans son traité, c’est qu’il créa le terme «endoscope». L’étape suivante fut le fait des oto-rhi- no-laryngologistes, sans doute inspi- rés par Manuel Garcia (1806-1907); il n’était pas médecin, mais chanteur et professeur au Conservatoire de Paris (ses deux sœurs sont plus connues que lui: Pauline Viardot et Maria, dite la Malibran). Devant l’Académie des Sciences, en 1840, il décrivit com- ment il avait pu observer sur lui- même le fonctionnement du larynx à l’aide d’un jeu de miroirs, renvoyant la lumière solaire. HISTOIRE médecine/sciences 1999; 15 : 1135-9 ET SCIENCES SOCIALES 1136 m/s n° 10, vol.15, octobre 99 En 1858, Czermark, professeur de physiologie à Pesth (Budapest, Hon- grie), obtint le même résultat en uti- lisant une lumière artificielle. Mais c’est M.L. Valdenburg, chirur- gien allemand, qui ouvrit la voie aux gastro-entérologues en explorant, avec le même éclairage, les premiers centi- mètres de l’œsophage, grâce à un as- semblage de tubes métalliques emboî- tés. Les premiers pas de la gastroscopie En 1868, Adolf Küssmaul, après avoir assisté au spectacle d’un avaleur de sabres, eut l’idée de faire progresser un tube métallique rigide dans l’esto- mac, guidé sur un flexible préalable- ment introduit dans l’œsophage. La manœuvre réussit mais la source lu- mineuse du type de celle de Désor- meaux, était trop faible et l’idée fut abandonnée. En 1878, Edison miniaturisa les am- poules électriques et dès lors, l’endo- scopie sortit du domaine du bricola- ge artisanal pour entrer dans celui de la technique rigoureuse. Dès 1879, Max Nitze, urologue vien- nois, fit construire le premier cysto- scope facilement utilisable, et son compatriote, Johann von Mickulicz- Radecki (1850-1905), pratiqua les pre- mières gastroscopies, en 1881, avec un appareil de 65 cm de long qui lui permit de reconnaître le cancer de l’estomac. Cet appareil, dangereux parce que rigide, resta peu utilisé mal- gré quelques perfectionnements, mais permit de pratiquer les premières bronchoscopies (Gustav Killian) et les premières rectoscopies (A. Kelly, mé- decin des hôpitaux de Paris). claire; l’exploration du corps gas- trique était aisée (sauf la grosse tubé- rosité, toujours invisible) et la flexibi- lité de la partie distale permettait de voir une partie de l’antre, mais rare- ment le pylore. Cet endoscope fut utilisé largement par son inventeur dans les années 1920. En cette après-guerre, nom- breux étaient les anciens combattants se plaignant de troubles fonctionnels multiples dont la réalité était parfois contestée. Schindler eut l’idée de pratiquer des gastroscopies chez ces sujets et découvrit ainsi des gastrites chroniques constituant un substrat organique aux plaintes des malades. L’endoscopie clinique fut introduite en France par François Moutier (1881-1961) (figure 4) qui, étant ger- manophone, put aller se familiariser avec la technique auprès de Schind- ler qui devint son ami. Voici ce qu’il en dit dans son traité de gastrosco- pie, en 1935 [4]: « Je pense à celui qui m’enseigna la technique de l’endoscopie gastrique, à l’homme fin et charmant, tout animé d’un élan intérieur et d’une lumineuse ardeur, à Rudolph Schindler. Vers ce précurseur si savant, si généreux, je m’incline avec tristesse, souhaitant qu’une époque plus heureuse lui ouvre à nouveau les frontières de l’Europe.» Cet- te phrase fait allusion à l’émigration de Schindler qui, Israélite, avait fui le nazisme vers les États-Unis où il de- vint professeur. Moutier, lui, ensei- gna beaucoup et bien, tant en France qu’à l’étranger, spécialement en Amérique du Sud où il forma beau- coup d’élèves. Dans les années 1930, François Mou- tier, gastro-entérologue de forma- tion, put, mieux que Schindler, dé- crire et interpréter ce qu’il voyait. Il redécouvrit la gastrite. Après les exa- gérations du système de Broussais, fondant toute la pathologie sur la no- tion de gastro-entérite au début du XIXe siècle, il était devenu quasiment impossible de parler de gastrite en France où seule la dyspepsie était considérée comme un signe fonc- tionnel fiable, correspondant à de multiples étiologies. Moutier, puis plus tard son élève André Cornet [5], décrivirent et classèrent les gastrites. Il reconnut ses formes hypertro- phiques, atrophiques, hémorragiques Pendant 40 ans, l’endoscopie gas- trique resta le fait d’un petit nombre de chercheurs méticuleux et tenaces, fortement critiquée par les cliniciens tel Enriquez, dans son traité de mé- decine de 1909, où il écrit: «En réali- té, malgré les nombreux appareils imagi- nés, ce procédé demeure encore peu pratique et même parfois dangereux… aussi son emploi ne s’est-il guère générali- sé.» L’endoscopie clinique En 1917, le physicien allemand Lang avait montré que des images claires pouvaient être transmises par une sé- rie de lentilles convexes disposées le long d’une courbe, à condition que celle-ci soit peu accentuée. Sur ce principe, Rudolf Schindler, familier de l’usage du gastroscope rigide, fit construire, par la maison Wolf de Berlin, le premier gastroscope semi- flexible; l’extrémité distale de 8 cm de long renfermait une lampe minia- ture et le prisme de l’objectif (il s’agit donc d’une vision latérale), le segment flexible avait 27 cm de long et 12 mm de diamètre; la partie mé- tallique rigide mesurait 34 cm et avait un diamètre de 11 mm. Une double gaine servait de conducteur à l’air in- sufflé au moyen d’une poire de caoutchouc (figures 2 et 3). Nous avons nous-mêmes utilisé cet appareil entre les années 1955 et 1965: l’introduction dans le pharynx nécessitait une anesthésie locale et était délicate, ainsi que la progres- sion dans l’œsophage, qui se faisait à l’aveugle; mais lorsqu’on était dans la cavité gastrique, correctement in- sufflée, la vision était uploads/Sante/ histoire-de-l-x27-endoscopie-digestive.pdf
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- Publié le Mar 19, 2021
- Catégorie Health / Santé
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