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HAL Id: hal-03425883 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03425883 Submitted on 14 Dec 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Droit ou devoir d’enfanter ? Un regard depuis les sciences sociales sur le renouvellement de la procréation Irène-Lucile Hertzog, Lucile Ruault To cite this version: Irène-Lucile Hertzog, Lucile Ruault. Droit ou devoir d’enfanter ? Un regard depuis les sciences sociales sur le renouvellement de la procréation. Bérengère Legros. De la procréation médicalement assistée élargie à la procréation améliorée. Vers l’ébranlement de certains interdits ?, LEH Edition, 2018, (Actes et séminaires), 978-2-84874-742-2. ￿hal-03425883￿ 1 Droit ou devoir d’enfanter ? Un regard depuis les sciences sociales sur le renouvellement de la procréation HERTZOG Irène-Lucile, docteure en sociologie, université de Caen, CERReV RUAULT Lucile, docteure en science politique, université de Lille, CERAPS Il existe aujourd’hui une assistance technique sans précédent pour engendrer. Le mouvement de professionnalisation des activités liées à la procréation viendrait répondre à un « désir d’enfant » formulé par le corps social. Les pratiques interventionnistes de la médecine corrigeraient les effets d’une « injuste nature ». Pour autant, elles permettraient à des couples de concevoir sans perdre le caractère naturel de la filiation. Ainsi émerge l’idée d’un « droit à l’enfant » que l’État protège et réglemente. Cette version sublimée de l’assistance médicale à la procréation (AMP) évacue un certain nombre de réalités sociales que nous nous proposons ici d’explorer, depuis un regard de sociologue et de politiste, c’est-à-dire un point de vue critique visant à déconstruire les évidences et révéler leur caractère socialement construit. Afin de saisir les enjeux contemporains de la procréation, il est en effet nécessaire de questionner l’idée que l’AMP émanerait de revendications individuelles auxquelles les institutions étatiques cèderaient. Car, pour que pareil désir d’enfant naisse chez des individus, c’est qu’il a été façonné par nos sociétés. Dit autrement, ce droit à l’enfant, purement théorique, ne peut se comprendre sans un devoir d’enfant qui pousse à avoir tout essayé pour engendrer « naturellement ». Nous interrogeons ici sous trois angles d’analyse dans quelle mesure le désir d’enfant consacré par la médecine procréative n’est qu’un pâle reflet du devoir social d’enfanter. Pour ce faire, nous nous appuyons, en plus des travaux sociologiques existants, sur une enquête qualitative menée dans le cadre d’une thèse sur l’articulation entre vie professionnelle et AMP, qui a donné lieu à 32 entretiens avec des femmes professionnellement actives1. Nous mobilisons aussi, à la marge, les résultats d’une enquête par observation et entretiens sur les cabinets gynécologiques réalisée pour un mémoire de recherche2. Nous verrons dans une première partie que, sous la pathologie et donc le registre de la nature, la lutte contre la fatalité de l’infertilité repose sur un système de pouvoir entre les sexes et entre les sexualités, qui reconduit des discriminations et renforce les normes procréatives. La pression sociale à enfanter est bien sûr entretenue par une série d’entrepreneurs/ses de morale, mais nous nous focaliserons dans une deuxième partie sur certaines instances : il nous faut situer historiquement ce devoir d’enfant, de longue date encadré par l’État et pris en charge par la médecine, et se demander de quoi la solidarité procréative aujourd’hui à l’œuvre est l’héritage. Postulant que le centre de gravité des réflexions sur l’AMP devrait se déplacer vers les vécus des femmes – puisque c’est essentiellement sur leur corps que sont mis en œuvre les dispositifs –, nous soulignerons dans la dernière partie tout le travail que ces projets exigent des femmes ; qu’elles s’y soumettent montre sous un autre jour combien la normativité enjoignant à procréer est effective. 1 HERTZOG (Irène-Lucile), Articuler assistance médicale à la procréation (AMP) et vie professionnelle : le travail invisible des femmes, thèse de doctorat de sociologie, Université de Caen, 2016. 2 RUAULT (Lucile), À la santé de ces dames ! Penser politiquement un suivi médical : gynécologie et surveillances des corps des femmes, mémoire de M2 en science politique, Université Lille 2, 2011. 2 I. Déconstruire les frontières du thérapeutique Là où la gestion médicalisée de l’infertilité des couples se présente comme neutre – elle ne ferait qu’imiter « la nature » –, elle redouble les discriminations de genre et participe d’une biologisation du social. Les contours normatifs de la bonne pratique de l’AMP affirment la légitimité du modèle hétérosexuel et conjugal3. De même, la priorité donnée, dans les cas d’infertilité masculine, aux ICSI intraconjugales plutôt qu’à l’insémination artificielle avec donneur et avec des dons de gamètes gratuits et anonymes4 montre qu’on veille toujours à faire comme si les « parents-AMP » étaient aussi et toujours les géniteurs/rices. Par ailleurs, « la « prégnance du modèle thérapeutique » de l’AMP impose à la médecine procréative d’en rester au registre de la « pathologie », seul légitime, par opposition à celui dit de « convenance ». En fait, selon Ilana Löwy, « les lois et les règlements qui encadrent l’accès à l’AMP en France sont fondés sur une vision conservatrice de la parenté qui reproduit aussi étroitement que possible les “conceptions naturelles” »5. Au moins deux éléments étayent cet argument. Intéressons-nous dans un premier temps au soin porté, dans la pratique de l’AMP, au réglage de « l’horloge biologique » des femmes. La baisse de la fertilité avec l’âge est un phénomène qui n’a rien d’une maladie. La tendance lourde à légitimer l’intervention médicale uniquement lorsque celui-ci est féminin montre sur quels corps s’exerce une construction du pathologique. Si le code de la santé publique se refuse à légitimer « l’infertilité sociale » à la faveur de la seule « infertilité pathologique », il promeut un ensemble de normes relatives à la recherche réflexive du « bon moment », pour les femmes – soit « ni trop tôt, ni trop tard » – et de la « bonne manière » de procréer6. En cela, l’AMP ravive l’idée d’une maîtrise du désir qui, pour mériter assistance, est tenue de se conformer aux normes procréatives dominantes. En effet, les membres du couple doivent théoriquement être « en âge de procréer » alors que celui-ci en est pratiquement incapable. Se pose la question de la temporalité inhérente au corps reproducteur qu’il conviendrait, même lorsqu’il dysfonctionne, de respecter. Pourquoi les horloges des centres d’AMP sonneraient-elles le glas pour les seules femmes, quand la baisse de la fertilité masculine avec l’âge est elle aussi attestée ? L’Agence de la biomédecine reconnaît elle-même l’impact de l’âge de l’homme sur les chances de conception et sur les risques de malformation du fœtus 7 . Pourtant, comme le révèle Manon Vialle, une superposition entre allongement de l’espérance de vie des hommes et allongement de leur espérance procréative s’opère dans la médecine de la reproduction8. 3 MEHL (Dominique), Les lois de l’enfantement. Procréation et politique en France (1982-2011), Paris, Presses de Sciences Po, 2011 ; ROZEE (Virginie) et MAZUY (Magali), « L’infertilité dans les couples hétérosexuels : genres et “gestion” de l’échec », Sciences sociales et santé, Vol. 30, n°4, 2012, p. 5-30. 4 DE LA ROCHEBROCHARD (Elise), « Des hommes médicalement assistés pour procréer. IAD, FIV, ICSI, bilan d’une révolution dans la prise en charge médicale de l’infertilité masculine », Population, Vol. 58, 2003, p. 549- 586. 5 LÖWY (Ilana), « L’âge limite de la maternité : corps, biomédecine et politique », Mouvements, Vol. 3, n°59, 2009, p. 109. 6 BAJOS (Nathalie) et FERRAND (Michèle), « L’interruption volontaire de grossesse et la recomposition de la norme procréative », Sociétés contemporaines, n°61, 2006, p. 91-117. 7 L’assistance médicale à la procréation en France en 2010, Dossier de presse de l’Agence de la biomédecine, [en ligne], p. 6. Il s’appuie notamment sur DE LA ROCHEBROCHARD (Elise) et al., « Fathers over 40 and increased failure to conceive: the lessons of in vitro fertilization in France », Fertility and Sterility, Vol. 85, n°5, 2006, p. 1420-1424. 8 VIALLE (Manon), « L’horloge biologique des femmes : un modèle naturaliste en question. Les normes et pratiques françaises face à la croissance de l’infertilité liée à l’âge », Enfances, Familles, Générations, n°21, 2014, p. 15. 3 Certes, la loi laisse à la libre appréciation des médecins l’établissement de la limite d’âge des patient×es de l’AMP. L’Assurance maladie, elle, considère que le vieillissement de leur corps reproducteur ne légitime plus, au-delà du seuil des 43 ans de la femme 9, la solidarité sociale. Une telle asymétrie de traitement conforte l’illusion de capacités reproductrices masculines préservées des atteintes du temps. À partir de 35 ans, le système de santé voit un corps reproducteur des femmes sur le déclin alors que celles-ci ne connaissent pas nécessairement toutes une stabilité amoureuse, professionnelle, géographique et, surtout, se sentent au mieux de leur uploads/Sante/ l-hertzog-et-l-ruault-droit-ou-devoir-d-x27-enfanter-2018.pdf

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  • Publié le Mar 15, 2021
  • Catégorie Health / Santé
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