La flore médicinale des Alpes Aspects d’hier, usages d’aujourd’hui * par Franci
La flore médicinale des Alpes Aspects d’hier, usages d’aujourd’hui * par Francis TRÉPARDOUX ** En ce printemps de 2013, la présence de la Société française d’histoire de la médecine dans les Hautes-Alpes, aux abords du Lautaret et du Briançonnais, dans la vallée de Serre-Chevalier, vient marquer son intérêt pour le pays montagnard, pour ses enjeux sanitaires et ses ressources naturelles. Nous proposons d’évoquer ici les aspects spéci- fiques de l’usage des plantes en médecine et en pharmacie dans leurs contextes historiques et de donner un état de leur position présente dans l’arsenal thérapeutique. Tout d’abord, un rappel de la climatologie montagnarde s’impose pour replacer en mémoire les éléments cardinaux des paysages alpestres. Leurs différents types de végé- tation sont divisés en fonction de leur altitude en quatre étages. Le premier est formé de la basse-montagne qui diffère peu du paysage des plaines ; le niveau suivant, qualifié de montagnard, s’étend jusqu’à 1700 mètres ; puis vient l’étage sub-alpin qui fait une large place aux conifères jusqu’à 2400 mètres ; l’étage alpin débute là où cessent les arbustes et arbrisseaux, au-dessus de 2500 mètres en moyenne pour les Alpes françaises. Il est à remarquer que la répartition de ces étages dans le Briançonnais est décalée de 200 mètres vers le haut comparée à celle des Alpes externes, de la région de Grenoble, en raison des écarts notables de pluviométrie relevés aux mêmes altitudes, réduites au delà du Lautaret. Pour l’herboriste pharmacien, d’hier et d’aujourd’hui, les sections les plus productives se situent à moyenne altitude, de 600 à 2000 mètres, dans des zones forestières et dans les espaces ouverts, pelouses, prairies et alpages à fourrages. La flore de haute altitude constituée d’espèces nordiques et sibériennes n’offre pas de ressources médicinales connues. La flore alpine possède sa spécificité directement liée aux facteurs originaux de ses climats et de ses sols, avec une parenté plus marquée au sud vers le monde de la Méditerranée. Des matières végétales au service de la médecine Pour les historiens de la médecine, vient la question de savoir si cette flore fut connue des anciens. On pourrait répondre par l’affirmative en relevant dans l’œuvre ency- clopédique de Galien, au sein de son catalogue botanique, la présence de l’absinthe, de l’aconit, des gentianes, et aussi le marrube, le bouillon blanc et les Labiées, sans omettre la térébenthine des conifères, toutes espèces croissant en altitude, soit dans l’arc alpin, soit aux confins de la Mer Noire et du Caucase (1). Nous reprendrons les principales __________ * Journées de juin 2013. ** 9, rue des Gâte-Ceps, 92210 Saint-Cloud. HISTOIRE DES SCIENCES MEDICALES - TOME XLVII - N° 3 - 2013 391 392 FRANCIS TRÉPARDOUX espèces répertoriées et utilisées dans la pratique médicale des derniers siècles en Europe occidentale, celles qui en sont les plus représentatives. - Citons l’absinthe (Artemisia absinthium L., composées-radiées), abondante en moyenne altitude, dont la senteur forte est immanquable. De longue date, ce fut un anthelminthique éprouvé en médecines humaine et vétérinaire, Wormwood pour la langue anglaise, Wermut en allemand. En fumigations sur les parties sexuelles, elle facilitait la venue des règles (cf. Bouchardat, 1855). Par la voie générale, sa toxicité neuro- encéphalique a causé des ravages lorsqu’il s’agissait de consommation réitérée de liqueurs spiritueuses si répandues au XIXème siècle. La santonine et ses dérivés en étaient la cause. - l’aconit (Aconitum napellus, Renonculacées) : c’est une belle plante atteignant jusqu’à un mètre de hauteur, à feuilles vertes luisantes, à fleurs en épis, capuchonnées, bleues, plus rarement roses ou blanches. La variété Anthora, présente dans les Alpes, est à fleurs jaunes. L’aconit est présent dans les zones herbeuses, humides et fraîches jusqu’à 1800 mètres. Sa racine communément utilisée en pharmacie figurait dans les Codex français (1949, 1972) et plus anciennement pour la préparation d’alcoolatures et d’ex- traits aqueux. L’aconitine fut isolée en 1834 par Hesse, expérimentée en France par Braconnot et Sédillot (1841). À cette époque, les formulaires des pharmaciens propo- saient plus d’une quinzaine de médicaments officinaux renfermant des extraits ou un alcoolature d’aconit. On connaît les pilules de Biett indiquées dans le traitement des syphilides, du nom de ce médecin suisse, proche d’Alibert, qui s’illustra en dermatolo- gie. Donnée comme antalgique (stupéfiant mineur au XIXème siècle), l’aconitine fut confirmée dans le traitement de douleurs neuronales, faciales (trijumeau), sciatiques, rhumatismales et dentaires. Dans cette ligne pharmacologique, son activité pour inter- rompre l’arc réflexe de la toux demeurerait digne d’intérêt en raison de l’absence d’agents antitussifs vrais dans l’arsenal actuel. Parmi les cas d’empoisonnement, on rapporte ceux résultant de son infusion alcoolique dans des mélanges de plantes de liquoristerie, faite par inadvertance, ou celle de commandos en survie se nourrissant de leur racines. - l’arnica (Arnica montana L., composées, Asteracées, tabac des montagnes, souci des montagnes) : on emploie la racine, les feuilles et les fleurs, inscrites dans les espèces vulnéraires (Codex 1949), et en teinture (Codex 1965). La récolte se fait au début de l’été au moment de la floraison, sans les confondre avec celles des Doronicum des Calendula ou des Anthemis. L’odeur des fleurs séchées est douce et agréable, légèrement aroma- tique, due à une faible quantité d’huile essentielle (1 à 2 ‰). Son activité marquée pour réduire les contusions en a fait un vulnéraire très populaire, largement vulgarisé durant le XXème siècle, adoptant des marques pittoresques comme l’Eau de Notre-Dame-des- neiges. Fig. 1 : Busserole ou Uva ursi, Raisin d'ours, Ericacées ; antiseptique urinaire. 393 LA FLORE MÉDICINALE DES ALPES : ASPECTS D’HIER, USAGES D’AUJOURD’HUI - la bistorte, rénouée b., couleuvrine (Polygonum bistorta L., Polygonacées). Elle est présente jusqu’à 2000 mètres d’altitude dans les pâturages humides. Son rhizome renferme des tannins catéchiques et galliques à propriétés astringentes, antiseptiques, anti-diarrhéïques, cicatrisant des hémorroïdes, et secondairement anti-inflammatoires, en infusions ; elle figure au Codex, reconnaissable à sa tige unique et à son inflorescence serrée en épi de couleur rosée. - la busserole ou Uva Ursi (Arctostaphylos Uva Ursi Spreng., raisin d’ours, Éricacées) se trouve en haute altitude ; cet arbuste de faible taille donnant des baies de couleur rouge, comestibles et rafraîchissantes, fut réinscrit au Codex de 1974 (feuilles). Ses fruits eurent une grande réputation comme antiseptique et diurétique dans certaines affections urinaires chroniques, utilisés en infusion ou en gélules, provoquant une émission d’urines de couleur verdâtre par la présence d’hétérosides dérivant des hydroquinones. Dans la médecine du XXIème siècle, le commerce en ligne propose plusieurs produits renfermant des extraits de cette plante (Bladdex ®, USA). - les daphnés, joli bois (Daphne mezereum, daphne alpina L., Thyméléacées) forment un groupe donnant le bois de Garou, renfermant un principe âcre vésicant, résinoïde, pouvant causer des rougeurs par sa seule manipulation. C’est un irritant, diurétique et purgatif, qui fut utilisé contre la syphilis, en infusion ou en sirop (cf. les travaux de Vauquelin sur Daphne alpina) ; épispastique pour les vésicatoires ou en pommades. À l’époque de Broussais, l’usage des emplâtres vésicants dans les hôpitaux de Paris mettait en œuvre des quantités importantes de bois de Garou, avec l’avantage d’obtenir une suppuration intense et indolore (cf. le procédé de Frigerio, pharmacien de l’hôpital de la Maternité - Port Royal à Paris, 1828). Leur aspect extérieur est celui d’un arbuste ligneux à feuilles courtes vernissées portant des fruits rouges, petites baies écarlates (4). - la digitale pourpre (Digitalis purpurea L., Scrofulariacées) est devenue embléma- tique de la pharmacie et de la phytothérapie, inspirant une certaine crainte par la force de son pouvoir, par les risques auxquels elle peut exposer ses utilisateurs, retardant ainsi son entrée dans la pratique de la médecine. C’est en 1721 qu’elle fut inscrite à la Pharmacopée de Londres, et passa dans la thérapeutique après 1780, sous forme de poudre obtenue par pulvérisation de ses feuilles desséchées. La nécessité de parvenir à des dosages standardisés orienta les recherches chimiques pour en extraire les molécules actives. Les travaux de laboratoire débutés en 1839 par Théophile Quevenne (3), phar- macien à l’hôpital de La Charité de Paris, associé à Augustin Homolle (1808-1883), aboutirent à l’isolement de la digitaline (2). Le succès de cette découverte fut couronné par le prix de la Société de pharmacie de Paris qu’Homolle obtint en 1845. Le mémoire exposé par ce médecin comportait des éléments de chimie originaux, mais aussi des expérimentations de pharmacologie animale, prolongés par des essais cliniques compor- tant des relevés chiffrés mesurant les effets dynamiques de la digitaline au niveau cardiaque et artériel. La règle des 3R devenait une doctrine pour dompter les mouve- ments du muscle cardiaque, disant qu’elle “renforce, ralentit et régularise”. Son activité diurétique, associée au calomel et à la scille, fut connue avec les Pilules de Cruveilhier (1820). Si son usage apparaissait suffisamment maîtrisé par des médecins pharmaco- logues dès 1805 (cf. Trousset, Montpellier), la complexité chimique de ses molécules actives (hétérosides à noyau cardénolide), ainsi que celle des composés qui s’y rattachent (génines stéroliques, tannins et résine), provoquaient des difficultés techniques en phar- macie pour obtenir en séries des doses bien titrées et fiables, disponibles auprès de l’ensemble des médecins prescripteurs. Son index thérapeutique est étroit. Les uploads/Sante/ la-flore-medicinale-des-alpes-aspects-d-x27-hier-usages-d-x27-aujourd-x27-hui.pdf
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- Publié le Jui 05, 2022
- Catégorie Health / Santé
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