Molière La Jalousie du Barbouillé cliché BnF, Français 239, fol. 191v, Tofano à
Molière La Jalousie du Barbouillé cliché BnF, Français 239, fol. 191v, Tofano à la porte de chez lui ACTEURS1 LE BARBOUILLÉ2, mari d’Angélique. LE DOCTEUR3. ANGÉLIQUE4, fille de Gorgibus. VALÈRE5, amant d’Angélique. CATHAU6, suivante d’Angélique. GORGIBUS7, père d’Angélique. VILLEBREQUIN8. [LA VALLÉE : voir scène VII] 1 = personnages, et non pas comédiens. 2 le nom joue sur deux registres, celui d’acteur de la farce au visage enfariné *, et ce- lui de personne qui se ridiculise. Autre piste : « Il boit, mais sans jamais se barboüiller l’armet,/ Et son ventre est petit pour tout ce qu’il y met » [1648], ce qui rappelle « Quand l’humeur ou le vin luy barboüillent l’armet » (Mathurin Régnier, Satire XI, cf. Satire X « Luy barboüilloit l’esprit d’un ergo sophistique ») ; barbouillé : qui a les idées confuses, embrouillées (sous l’effet de l’ivresse ? « peut-être barbouillé de lie de vin », avance Georges Couton). * Julien Bedeau († 1660) surnommé Jodelet ou l’Enfariné ; Robert Guérin († 1634), dit la Fleur, dit Gros-Guillaume « qui estoit le fariné » précise Tallemant [la Fleur parce qu’il aurait été gindre (mitron) et que « fleur » désignait la fine farine de froment, d’où l’anglais ‘flour’ — TLFi indique comme 1re attestation le Bestiaire (1121-1134) de Philippe de Thaon, ce qui est faire peu de cas des occurrences dans la Chanson de Ro- land : « Blanche ad la barbe e tut flurit le chef » strophe VIII, v. 117] 3 « il est vêtu comme un médecin » (scène II) ; il porte donc la robe, la perruque à mar- teau et le bonnet pointu (les juges portaient le bonnet rond, les professeurs le bon- net carré). 4 nom (ironique, ici : son mari la traite de « diablesse ») de personnage qui se re- trouve dans George Dandin (dont la Jalousie n’est que l’esquisse) et le Malade imagi- naire. La liste des personnages montre que tout tourne autour d’Angélique, qu’elle est le pivot de la pièce. 5 nom de personnage qui se retrouve dans le Médecin volant, le Dépit amoureux, l’École des maris, Tartuffe, le Médecin malgré lui et l’Avare. — Dire que Valère est l’amant d’Angélique signifie qu’il la courtise, sans plus. 6 hypocoristique populaire de Catherine. On remarquera qu’elle est qualifiée de « suivante » (La Suivante, de Corneille, date de 1634 : « Quelques [sic] puissants appas que possede Amarante,/ Je treuve qu’apres tout ce n’est qu’une suivante/ Et je ne puis son- ger à sa condition/ Que mon amour ne cede à mon ambition », dit Théante) : le Dict. de l’Acad. qui, en 1694 (1re éd.), ne connaît que « gentilhomme suivant, demoiselle sui- vante », précise en 1762 (4e éd.) : « On appelle Demoiselle suivante, Une Demoiselle at- tachée au service d’une grande Dame ; & quelquefois on l’appelle absolument Suivante. Alors Suivante est employé au substantif, & ce mot n’est plus en usage que dans les pièces de théâtre. » [« Vous êtes, mamie, une fille suivante/ Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente » Madame Pernelle à Dorine] 7 nom de personnage qui se retrouve dans le Médecin volant, les Précieuses ridicules et Sganarelle ; cf. le nom de scène du comédien François Bedeau (v. 1603-1663), dit Gor- gibus, dit L’Espy [frère de Jodelet]. Aussi Bornibus, Cornibus, Doribus, Gédémus (dans Regain), Gougibus… : à l’origine, plaisanteries de clercs ; il nous en est resté « rasibus » (cf. « à ras, au ras de » ; ancien-français res, rez, et res a res chez Chrétien de Troyes), d’abord attesté en latin macaronique chez Eustache Deschamps (ballade Re- grets d’un vieillard, v. 23 « Veulent me faire rasibus » = veulent me châtrer), puis, en prose de style soutenu, chez Commynes (I, IV) : « Comme il [le comte de Charolais, fu- tur Charles le Téméraire] passoit rasibus du chastel [de Montlhéry], véismes les archiers de la garde du roy [Louis XI], devant la porte, qui ne bougèrent. Il en fut fort ebahy, car il ne cuidoit point qu’il y eust plus ame de défense. » Il y a même, à Montreuil- Bellay (Maine-et-Loire), la rue Rasibus, et la petite rue Rasibus. — Louis Viardot (Don Quichotte, 1836) rend cercén a cercén (= de raíz, sin dejar nada) par « à rasibus des épaules », expression qu’il semble avoir inventée. 8 nom de personnage qui se retrouve dans Sganarelle. C’est une « utilité ». Rôle in- terprété par De Brie, nom de scène d’Edme Villequin : Villebrequin est donc un rôle sur mesure. La scène doit représenter, d’une façon ou d’une autre (vis-à-vis, par exemple), la façade de la maison du Barbouillé et d’Angélique, et celle de la maison du Docteur. L’action doit se dérouler l’après-midi et en début de soirée. SCÈNE PREMIÈRE LE BARBOUILLÉ, seul.— Il faut avouer9 que je suis le plus malheureux10 de tous les hommes. J’ai une femme qui me fait enrager : au lieu de me donner du soulage- ment et de faire les choses à mon souhait11, elle me fait donner au diable12 vingt fois le jour ; au lieu de se tenir13 à la maison, elle aime la promenade14, la bonne chère15, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens16. Ah! pauvre Barbouillé17, que tu es mi- sérable !18 Il faut pourtant19 la punir. Si je la tuois… L’invention20 ne vaut rien, car tu serois pendu. Si tu la faisois mettre en prison… La carogne21 en sortiroit avec son passe-partout22. Que diable faire donc ? Mais voilà Monsieur le Docteur23 qui passe par ici : il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire. 9 admettre, reconnaître ‖ scène d’exposition, réduite à un monologue : exposé des griefs 10 malchanceux ‖ malheur a désigné d’abord une cause (un sort défavorable : res- sort comique ; nous en avons conservé heureux au jeu, malheureux en amour), puis son effet (l’accablement, le chagrin, la tristesse, le désespoir… : ressort tragique) — Angélique en dira autant sc. X 11 à ma guise, selon ma volonté: elle est indocile, rebelle (indépendante ?) 12 vingt fois par jour, je me mets en colère à cause d’elle ; le jour, cf. une fois la se- maine, le latin trifer signifie qui donne des fruits trois fois l’an, « Le coiffeur du quartier venait couper deux fois l’an les cheveux de monsieur Grandet » ‖ c’est le diable qui a le plus grand nombre de mentions dans la comédie. 13 rester: elle n’est pas casanière 14 ce qui l’expose à faire des rencontres 15 source de dépenses (Cathau, sc. V, le traitera de « grigou »: pingre, radin) 16 ère du soupçon 17 moyen d’indiquer au spectateur qu’il s’agit du protagoniste. Cathau et Gorgibus sont nommés. Personne n’appelle Angélique par son nom: elle est soit ma femme, soit ma fille. Le Docteur est désigné par son rang social ; les autres personnages sont des silhouettes. 18 que tu as de quoi inspirer pitié (par ta malchance) 19 « par conséquent, pour cette raison, donc »: « Mon amy, je n’entens poinct ce barra- gouin, pourtant si vous voulez qu’on vous entende, parlez aultre langaige » (Pantagruel, IX) 20 moyen ingénieux, idée brillante, stratagème, ruse (sens fréquent) ‖ le Barbouillé se dédouble: Si je la tuois…tu serois pendu. 21 à l’origine, forme normanno-picarde de « charogne » ; « femme débauchée, femme de mauvaise vie » (Dict. de l’Acad., 1694 [1re éd.]). Nombreux exemples chez Molière. 22 il suffit de se demander quel passe-partout pourrait bien permettre à Angélique de sortir de prison et l’équivoque obscène (et insultante) devient évidente. Curiosité : c’est aussi une Angélique, dans George Dandin (III, VI), qui dit : « J’ai le passe-partout. » ‖ Il n’est pas inattendu que la maîtresse de maison détienne un passe-partout ; pourquoi dès lors ne pas s’en servir quand elle est bloquée devant sa propre porte d’entrée ? 23 la formulation montre que le Barbouillé connaît le Docteur SCÈNE II LE DOCTEUR, LE BARBOUILLÉ. LE BARBOUILLÉ.— Je m’en allois vous chercher pour vous faire une prière24 sur une chose qui m’est d’importance. LE DOCTEUR.— Il faut que tu sois bien mal appris25, bien lourdaud26, et bien mal morigéné27, mon ami28, puisque tu m’abordes sans ôter ton chapeau29, sans obser- ver rationem loci, temporis et personæ30. Quoi? débuter d’abord31 par un discours mal digéré32, au lieu de dire : Salve, vel salvus sis, Doctor, Doctorum eruditissime !33 Hé ! pour qui me prends-tu, mon ami ? LE BARBOUILLÉ.— Ma foi, excusez-moi: c’est que j’avois l’esprit en écharpe34, et je ne songeois pas à ce que je faisois ; mais je sais bien que vous êtes galant homme35. LE DOCTEUR.— Sais-tu bien d’où vient le mot de galant homme ? LE BARBOUILLÉ.— Qu’il vienne de Villejuif ou d’Aubervilliers36, je ne m’en soucie guère. LE DOCTEUR.— Sache que le mot de galant homme vient d’élégant ; prenant37 le g et l’a de la dernière syllabe, cela uploads/Sante/ moliere-la-jalousie-du-barbouille 3 .pdf
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- Publié le Sep 14, 2022
- Catégorie Health / Santé
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