L’obsessionnel et son réveil – 3 Le symptôme Gil Caroz Le TOC n’est pas un symp
L’obsessionnel et son réveil – 3 Le symptôme Gil Caroz Le TOC n’est pas un symptôme Comme promis, je parlerai aujourd’hui du symptôme de l’obsessionnel. Cela me donne l’occasion de rendre hommage à un collègue de l’École de la Cause freudienne, Serge Cottet, que nous avons perdu jeudi dernier. Il y aurait beaucoup à dire sur la particularité de sa personne, sur sa contribution théorique et clinique à la psychanalyse en général et plus particulièrement à l’École de la Cause freudienne. Ceux qui le connaissaient savent l’originalité de son style et de sa pensée. Ceux qui ne le connaissaient pas ont tout intérêt à se pencher sur ses livres et ses très nombreux articles. Dans l’article « À propos de la névrose obsessionnelle féminine 1 », il fait une remarque précieuse que je considère comme préalable à toute élaboration de la question du symptôme dans la névrose obsessionnelle : « La clinique des TOC, dit-il, stimule […] une mise au point contemporaine sur l’obsession 2 ». Il argumente que psychanalytiquement parlant, une observation du comportement du sujet ne peut pas nous conduire à décider de la structure et à parler de symptômes obsessionnels. Autrement dit, la ritualisation, « la manie du ménage, […] le fait de faire tous les matins son lit au carré, [ou] de ranger méticuleusement sa bibliothèque 3 », ne suffisent pas pour parler d’obsession. Ces phénomènes peuvent tout à fait se présenter dans des cas de psychose, et notamment dans la psychose ordinaire, comme la condition d’une certaine stabilisation. Ce n’est donc pas l’observation des comportements qui permet de décider de la structure, mais « le sens et la fonction du symptôme 4 » pour le sujet. S. Cottet situe la question du symptôme de la névrose obsessionnelle comme un problème entre la clinique et la politique, un problème de politique de la clinique. Notre intérêt par rapport à la névrose obsessionnelle aujourd’hui est donc d’autant plus important que dans le DSM, la structure est effacée au profit d’une mesure statistique de phénomènes comportementaux. C’est l’éthique du sujet, et notamment son rapport moral à la jouissance qui décidera si les symptômes appartiennent à la névrose obsessionnelle ou à la psychose. Notons qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer l’obsession de la psychose paranoïaque uniquement à partir du comportement de l’individu. En effet, tous deux ont un moi qui peut paraître très fort ; chez l’obsessionnel il paraît fort, chez le paranoïaque, c’est vraiment fort. Sans doute y a-t-il des distinctions à faire, mais les phénomènes peuvent se ressembler : une tendance à une petite mégalomanie ou à être un peu persécuté est souvent présente dans l’obsession. Quoi qu’il en soit, S. Cottet indiquait l’importance de se poser la question de la structure, indépendamment des symptômes en tant que signe d’une pathologie. Il y a là un enjeu majeur qui concerne la direction de la cure. Avec un sujet obsessionnel qui installe des rituels dans la séance Gil Caroz est psychanalyste à Bruxelles, membre (AME) de l’École de la Cause freudienne, de la New Lacanian School et de l’Association Mondiale de Psychanalyse, actuel président de l’ECF. Ce cours, troisième d’une série de huit donnés entre octobre 2017 et juin 2018, a été prononcé le 4 décembre 2017 à Paris dans le cadre du nouveau programme des Enseignements ouverts à l’École de la Cause freudienne. 1 Cottet S., « À propos de la névrose obsessionnelle féminine », La Cause freudienne, no 67, octobre 2007, p. 63-74. 2 Ibid., p. 63. 3 Ibid. 4 Ibid., p. 64. analytique on aurait tendance à bousculer la défense afin de faire surgir le désir. Mais cela reste compliqué parce que chez l’obsessionnel, si on ne le laisse pas s’adonner à sa cérémonie ou son rituel, l’angoisse surgit aussitôt ; il faut bien doser, on ne fait pas cela à la première séance. Dans la psychose, on aurait plutôt tendance à soutenir et même encourager cette défense afin d’éviter le passage à l’acte. Guerre et paix Je reprends la logique que j’ai suivie jusqu’ici. Lors du premier cours, nous avons pris connaissance de la névrose obsessionnelle comme caractère. J’ai souligné lors de ce cours le côté entier de cette structure, le côté forteresse à la Vauban, qui même inclut ses symptômes dans son moi, en en faisant un enjeu narcissique. Comme si l’obsessionnel disait : « Mes symptômes, c’est moi, et de surcroît j’en suis fier. » J’ai dit que l’obsessionnel ne souffre pas subjectivement tant que ces symptômes sont ainsi intégrés à son moi. Il peut souffrir d’autre chose. Par exemple, il peut se plaindre du monde ou du fait qu’il ne sait pas faire avec sa femme ; ou plutôt il vient se plaindre du fait que sa femme est son symptôme le plus difficile. Mais cela ne veut pas encore dire qu’il subjective ses propres symptômes. C’est donc parfois la tâche de l’analyste de produire le symptôme ; c’est d’ailleurs toujours la tâche de l’analyste d’une certaine façon, dans toutes les structures. L’obsessionnel commence à souffrir quand les symptômes se détachent de sa forteresse et qu’il commence à les vivre comme étrangers. C’est dans la suite de cette idée que je vous ai présenté la dernière fois le moment d’éclosion de la névrose obsessionnelle, c’est-à-dire le moment où, par la force d’un trauma, la forteresse est atteinte, des trous sont percés dans ses murs, de façon à ce que les symptômes puissent la quitter et venir s’isoler à l’extérieur de la forteresse. Du coup, ils sont vécus par le sujet comme étrangers. Je vous rappelle que ce trauma, au moment de l’éclosion de la névrose obsessionnelle, est décrit par Lacan comme un moment où la jouissance impossible à atteindre fait retour sur le corps via le phallus, grand ambassadeur de la jouissance impossible auprès du sujet 5. Il s’agit donc d’une jouissance qui est radicalement rejetée du symbolique dans un premier temps – Lacan utilise même le mot forclusion 6 – mais qui dans un deuxième temps fait retour dans le réel du corps via la jouissance sexuelle. Et c’est dans ce second temps que le sujet obsessionnel rencontre un moment de trauma que j’ai, dans le cours précédent, décrit chez l’homme aux rats. Déjà petit garçon, regarder ses nourrices, les toucher, et ensuite à l’âge adulte, entendre le supplice des rats, laissent une trace sur le corps, cela fait trauma. Aujourd’hui, je vais aborder la question du symptôme dans la névrose obsessionnelle, tel qu’il apparaît une fois que la névrose éclot, et que se dévoile la division du sujet entre d’une part sa forteresse, son moi, et d’autre part ses symptômes qu’il ne vit plus comme étant intégrés à son moi, mais comme des étrangers, voire comme des ennemis. C’est en effet l’expérience du névrosé que de considérer que les pensées et les rituels qui s’imposent à lui sont des ennemis contre lesquels il doit lutter et se défendre 7. Par ailleurs, on peut entendre à l’occasion la nostalgie du sujet obsessionnel par rapport à l’époque qui a précédé l’éclosion de la névrose. À l’opposé de l’énoncé de Schreber qui porte sur un avenir utopique et paradisiaque : « ce doit être une chose singulièrement belle que d’être une femme en train de subir l’accouplement 8 », l’obsessionnel regrette le temps passé, celui qui précède l’éclosion, en énonçant : « Qu’il était beau de vivre en paix. Tout était parfait 5 Caroz G., « L’obsessionnel et son réveil – 2. L’éclosion », Quarto, no 118, mars 2018, p. 88. 6 Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2006, p. 321. 7 Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 512 : « Cette cisaille vient à l’âme avec le symptôme obsessionnel : pensée dont l’âme s’embarrasse, ne sait que faire. » 8 Schreber D.-P., Mémoires d’un névropathe, Paris, Seuil, coll. Points, 1975, p. 46 ; Lacan J., Le Séminaire, livre III, Les Psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 74. avant que ces pensées et ces rituels absurdes ne se soient imposés à moi. » Les symptômes sont pour lui des intrus sans lesquels sa vie pourrait être idyllique. Ainsi, il vit l’éclosion de la névrose comme un moment de sortie d’un paradis de paix, qu’il essayera de retrouver en tentant d’apprivoiser la jouissance par le signifiant. Cette idée de l’obsessionnel – selon laquelle avec le signifiant il pourra absorber le tout de la jouissance – se retrouve dans le premier enseignement de Lacan. Et l’on voit là en quoi la pensée obsessionnelle très souvent suit la doctrine de la psychanalyse. Je soulignais dans le cours précédent ce dont Freud témoigne : l’homme aux rats est venu le voir après avoir lu La Psychopathologie de la vie quotidienne, et après qu’il se soit dit : « Là il y a une pensée qui ressemble à la mienne. 9 » Il y a quelque chose dans cette structure qui va bien avec la psychanalyse. uploads/Sante/ obsessionnel-caroz-3.pdf
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- Publié le Sep 20, 2022
- Catégorie Health / Santé
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