Que faire en cas de brèche durale ? Paul Zetlaoui Service d'Anesthésie Réanimat
Que faire en cas de brèche durale ? Paul Zetlaoui Service d'Anesthésie Réanimation, CHU de Bicêtre, 78 rue du Général Leclerc, 94275 Le Kremlin Bicêtre Introduction La compréhension et la prise en charge des syndromes d’hypotension du liquide céphalo-rachidien (LCR) ont considérablement évoluées en quelques années. Les complications secondaires à la brèche méningée non traitée et la chronicisation de l’hypotension du LCR évoluant vers des syndromes dépressifs et douloureux chroniques sont maintenant établies. L ’abstention thérapeutique n’est plus de mise et de nouvelles stratégies diagnostiques et thérapeutiques sont maintenant disponibles. 1. Le syndrome d’hypotension intracrânienne 1.1. Céphalée La céphalée posturale ou positionnelle est le signe principal de l’hypotension du LCR. Si toutes les localisations sont possibles, la céphalée est classiquement bilatérale sévère, constrictive, occipitale, occipitofrontale ou diffuse, avec des irradiations dans la nuque, dans le dos et parfois aux épaules [1-4]. La céphalée, inexistante, calmée ou améliorée par le décubitus dorsal, est déclenchée ou exacerbée lors du passage en orthostatisme (position assise ou debout). Le délai d’apparition ou d’aggravation de la céphalée lors du changement de position est variable, immédiat avec une céphalée explosive, lentement progressif sur plusieurs minutes ou quelques heures, atteignant son paroxysme dans quelques cas en fin de journée. L ’absence de caractère postural ou sa disparition doivent faire discuter une autre étiologie, sans pour autant éliminer celui de céphalée par hypotension du LCR. Parfois isolée, la céphalée est accompagnée d’un cortège variable de signes cliniques, dont les plus fréquents sont les nausées et les vomissements, des signes auditifs ou visuels. La céphalée est apyrétique. La photophobie fait partie du tableau clinique classique. MAPAR 2011 62 1.2. Signes associés Sauf le I et le IX, tous les nerfs crâniens peuvent être concernés par les conséquences de l’hypotension du LCR [5]. 1.2.1. Altération de l’audition L ’altération de l’audition (hypoacousie unie ou bilatérale, hyperacousie, dis- torsion des sons, acouphènes) est l’atteinte la plus fréquente [6]. L ’hypoacousie, signalée spontanément par seulement 5 % des patients, doit être recherchée systématiquement ; son association à la céphalée conforte le diagnostic d’hy- potension du LCR. Selon le diamètre de l’aiguille et des seuils de détection, une altération de l’audition est détectée chez 25 à 75 % des patients après une ponction lombaire. Il existe une relation entre la taille et le design de l’extrémité de l’aiguille et l’altération de l’audition, les aiguilles les plus fines et les moins tranchantes entraînant les altérations les plus discrètes [6]. La variété des tableaux cliniques traduit une atteinte de l’oreille interne, ce qui explique l’association non exceptionnelle à un syndrome vertigineux, exceptionnellement isolé et postural [7]. Les acouphènes, l’hypoacousie et les vertiges sont la conséquence de l’hypotension de la périlymphe. Le déséquilibre périlymphe-endolymphe cochléaire, responsable du phénomène d’hydrops labyrinthique, est à l’origine de l’altération de l’audition. 1.2.2. Atteinte de la vision et des nerfs oculomoteurs L ’atteinte du VI (nerf abducens, oculomoteur externe) est rare (1/400 et 1/8 000), mais reste la plus fréquente après celle de l’audition. La paralysie du VI, bilatérale dans 25 % des cas, se traduit par une diplopie horizontale avec strabisme. Plusieurs points particuliers la caractérisent dans ce contexte d’hypotension du LCR. • Le délai est parfois long entre la brèche méningée et les premiers signes ; le délai médian est de 6 jours, avec des extrêmes entre le 3ème jour et 3 semaines [8]. • La lenteur de la récupération de l’atteinte du VI suggère une lésion de type neuropraxie ou axonotmésis, expliquée par sa petite taille et son trajet parti- culier sur la base du crâne, où le nerf est tendu entre l’arête du rocher et le sinus caverneux. De plus, le déplacement caudal de l’encéphale surajoute des lésions de « stretching » sur ce nerf déjà fragilisé. • Le blood-patch est rarement efficace, parce que quand la paralysie est diagnos- tiquée, la lésion nerveuse est déjà constituée. L ’absence de guérison au-delà du 8ème mois laisse craindre une séquelle définitive [8]. L ’atteinte isolée du III (nerf oculomoteur commun) et du IV (nerf pathétique) est possible de façon isolée ou combinée. Les céphalées sont parfois accompa- gnées d’autres signes visuels (flou visuel, phosphènes, baisse de l’acuité visuelle, nystagmus, altération du champ visuel) [9]. Ils disparaissent habituellement en même temps que la céphalée. Des cas exceptionnels d’atteinte du champ visuel sont rapportés. 1.2.3. Atteintes radiculaires Dans quelques cas rares, l’hypotension du LCR s’associe ou s’exprime sous le masque d’une atteinte radiculaire, sensitive, motrice ou mixte [10]. Le diagnostic étiologique de l’atteinte radiculaire déjà difficile quand la brèche durale est connue, le devient encore plus si elle est isolée. L ’atteinte radiculaire peut Anesthésie locorégionale - douleur postopératoire 63 s’exprimer sous la forme d’une cervicalgie brutale spontanée [41], d’une douleur thoracique [11], d’une brachialgie ou d’une douleur dans le territoire ulnaire, pseudo-angineuse, évoquant une ischémie myocardique [12], ou d’un déficit moteur progressif dans un contexte de céphalée chronique [13]. Ces atteintes radiculaires limitées aux racines cervicales sont associées à une dilatation des veines péridurales au même niveau, évoquant un mécanisme de compression à leur origine [13]. Les nucalgies et scapulalgies fréquemment rapportées dans ce tableau sont le témoin des atteintes de la branche trapézienne du nerf spinal (XIème paire) et des trois premières racines cervicales. 1.2.4. Hématomes L ’hypotension chronique du LCR peut se compliquer, d’un hématome intracrânien, exceptionnellement bilatéral, surtout sous-dural, mais parfois intracérébral, ou extra-dural [14-16]. La modification de la symptomatologie de la céphalée qui devient permanente, doit faire redouter un hématome sous-dural. La morbidité est lourde, avec de fréquentes séquelles neurologiques et une mortalité rapportée de 14 %, justifiant une iconographie urgente et un traitement chirurgical si nécessaire [16]. 1.2.5. Autres signes ou complications Les nausées et les vomissements accompagnent fréquemment les cépha- lées de la brèche méningée. Leur physiopathologie n’est pas clairement établie dans ce contexte. Trois cas de nécrose hypophysaire apparue dans ce contexte sont publiés. Cette complication évoquée sur l’association de troubles visuels et d’une hypo- natrémie est confirmée par l’IRM. Les fistules de LCR, secondaires à la brèche méningée peuvent s’extérioriser à la peau ou entraîner un volumineux méningocèle. Les céphalées intenses y sont rares. Quelques cas exceptionnels s’expriment sous le masque de troubles de conscience, d’une ataxie, d’un syndrome parkinsonien, d’une démence. L ’ab- sence de céphalée complique le diagnostic. 2. Physiopathologie de la céphalée secondaire à une brèche méningée 2.1. Conséquences de la brèche méningée La céphalée et autres manifestations cliniques secondaires à la brèche méningée sont liées à la baisse de la pression intracrânienne du LCR [1, 5]. La ponction lombaire entraîne une baisse rapide et prolongée de la pression du LCR ventriculaire [17]. En raison du gradient de pression entre l’espace sous- arachnoïdien et l’espace péridural (40 à 50 cmH2O en position assise), le LCR s’écoule en fonction du diamètre de la brèche et de la pression hydrostatique, d’où le caractère postural des céphalées et des éventuels signes d’accompa- gnement (Figure 1). La brèche méningée est responsable d’une diminution du volume de LCR qui assure, entre autres, une fonction « d’amortisseur hydraulique » de l’encéphale dans la boîte crânienne. Lors du passage en orthostatisme, le déplacement MAPAR 2011 64 crânio-caudal de l’encéphale n’est plus amorti par la colonne liquidienne. L ’encéphale vient « s’écraser » sur la base du crâne, dont les différentes aspérités (particulièrement l’arête du rocher et le sinus caverneux) vont être responsables de souffrances localisées [18, 19]. Ce déplacement de l’encéphale met en tension les structures vasculo- fibreuses méningées de la convexité, tension qui est en partie responsable de la céphalée, par l’activation des stretch-sensitive receptors méningés au niveau des nerfs trijumeau (céphalées frontales), glossopharyngien et Vague (céphalées occipitales), et des trois premières racines cervicales (céphalées nucales et douleurs cervicoscapulaires). Figure 1 : Variations de la pression ventriculaire après ponction lombaire ou injections épidurales. A. Diminution de la pression ventriculaire chez le rat après ponction lombaire. B. Augmentation de la pression ventriculaire après injection épidurale de 100 µl de sérum physiologique. C. Augmentation de la pression ven- triculaire après injection épidurale de 100 µl de sang autologue. L ’augmentation de la pression ventriculaire est beaucoup plus prolongée après l’injection de sang qu’après l’injection de sérum physiologique (redessiné d’après Kroin et al. [17]). Par ailleurs, en accord avec la loi de Monroe-Killie, qui impose que le volume des trois compartiments reste constant, si le volume du LCR diminue, le volume vasculaire augmente ; la baisse du volume de LCR entraîne une vasodilatation cérébrale réflexe, médiée par le trijumeau, entraînant une augmentation linéaire du débit sanguin cérébral visant à restaurer le volume intracrânien normal [20]. Cette augmentation compensatoire de volume se fait sur le versant artériel et surtout veineux (aspect de pachyméningite, témoignant de la veinodilatation). De plus, la gêne à la circulation veineuse au niveau de la face inférieure de l’encéphale, entraînant une hypertension au niveau des circulations veineuses drainant les structures situées sur la base du crâne, ophtalmique ou auditive par exemple, pourrait expliquer une partie de la symptomatologie associée, comme les altérations de la circulation veineuse ophtalmique [21]. 0 10 20 Temps minutes 0 uploads/Sante/ que-faire-en-cas-de-breche-durale.pdf
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- Publié le Fev 26, 2021
- Catégorie Health / Santé
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