Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert Bernard Lahire À quoi s
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert Bernard Lahire À quoi sert la sociologie ? Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert Introduction « Si un jour, les contribuables, pour admettre l’utilité du cours de mathématiques transcendantes au Collège de France, devaient comprendre à quoi servent les spéculations qu’on y enseigne, cette chaire courrait de grands risques. » E. Renan, L’Instruction supérieure en France À quoi servent les médecins, les agriculteurs ou les sapeurs-pompiers ? Des réponses simples viennent immédiatement à l’esprit de tout un chacun : à soigner, à produire des moyens de subsistance, à sauver des vies. Mais les divers corps de métier composant la formation sociale sont inégalement justifiés d’exister et inégalement travaillés par la question de leur utilité sociale. « À quoi sert la sociologie ? » La question est à la fois radicale et provocatrice. Lorsqu’on exerce une activité, on est rarement amené à se poser de façon permanente la question de savoir quelle est sa « raison d’être ». Ceux qui la pratiquent lui trouvent au moins une utilité : celle de leur « convenir ». Divertissement comme un autre, la sociologie occupe l’esprit et le temps de ceux qui la servent et les dispense ainsi de se demander à quoi peut bien servir ce qu’ils font. Mais ce sont en premier lieu les « débutants » qui, avec Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert leur « naïveté » d’entrants, formulent des questions que les professionnels peuvent finir par oublier de se poser du fait de leur engagement dans des jeux dont le fondement et la raison d’être restent fréquemment ininterrogés. Quel enseignant de sociologie n’a pas déjà entendu dans la bouche de ses étudiants l’interrogation : « Mais à quoi sert donc la sociologie ? » Question qui peut aussi bien cacher des inquiétudes, prosaïques mais bien compréhensibles, du type : « Quel débouché professionnel puis-je espérer atteindre avec tel diplôme universitaire de sociologie ? », que des interrogations scientifiquement plus lourdes pour la discipline elle- même, du type : « Pourquoi, dans quel but, avec quels objectifs, etc., doit-on faire l’analyse du monde social ? » ou « Quel rôle joue la sociologie dans le cours de l’histoire et dans les changements sociaux ? » Aussi normales qu’elles puissent être, de telles questions se posent d’autant plus que l’on a affaire, d’une part, à une discipline académiquement et scientifiquement moins légitime que d’autres (par exemple, la physique, la chimie, les mathématiques, les neurosciences, etc.) et, d’autre part, à une science contrainte, par son objet même, à rencontrer plus fréquemment que d’autres des demandes de justification ou des remises en question de ses résultats. Concernant le premier point, il est évident que si l’interrogation « à quoi ça sert ? » est moins fréquente en physique qu’en sociologie, c’est pour des raisons à la fois de légitimité académique plus forte et de débouchés professionnels plus clairs et plus diversifiés. Pour se convaincre de ce fait, il suffit d’imaginer un monde social Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert où le statut de sociologue serait globalement reconnu, valorisé et valorisant et où obtenir son doctorat de sociologie permettrait avec certitude d’atteindre une profession et un statut social enviable. On peut concevoir aisément qu’une telle situation d’ensemble donnerait immédiatement sens et valeur à l’enseignement de la sociologie. Le fait de ne pas savoir à quoi sert la sociologie n’est donc pas exclusivement lié à sa spécificité. Le sentiment d’utilité ou d’inutilité d’un savoir provient souvent moins de la nature de ce savoir que de sa valeur académique et extra-académique (faible ou fort prestige des études, faibles ou forts débouchés professionnels, petites ou grandes renommées des emplois occupés). La haute légitimité et la grande valeur (économique et symbolique) que le monde social attribue à certaines activités coupent court à toute interrogation un peu forte sur les raisons et l’utilité de ces dernières. Pour ce qui est du second point, étant donné qu’elle porte son attention sur sa propre société (à la différence d’une partie de l’anthropologie et des spécialistes d’autres sociétés ou d’autres aires civilisationnelles) et sur des faits contemporains (à la différence de l’histoire), étant donné qu’elle remplit souvent une fonction critique, et, enfin, que ses résultats sont lisibles par les « objets » même de ses recherches (à la différence d’une grande partie de l’histoire qui parle des morts ou d’une partie de l’anthropologie qui s’intéresse à des populations ne partageant ni la même langue, ni la même culture que l’anthropologue, mais aussi et surtout à la différence de toutes les sciences de la matière et de la vie qui n’ont pas pour objets des lecteurs potentiels), la sociologie est l’une des rares sciences qui est forcée, pour faire tomber Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert les malentendus, de passer autant de temps à expliquer et justifier sa démarche qu’à livrer les résultats de ses analyses. La situation (sociale, académique et cognitive) singulière de la sociologie est donc tout particulièrement inconfortable. Car non seulement il est épuisant d’avoir sans arrêt à répondre à la question « à quoi ça sert ? », mais le plus gênant réside dans le fait que la réponse « ça ne sert à rien » est souvent déjà dans l’esprit de celui qui pose une telle question. C’est pour cela que tout sociologue qui prétend faire œuvre scientifique et, par conséquent, défendre son indépendance d’esprit contre toute imposition extérieure à la logique de son métier, est amené un jour ou l’autre à défendre, discrètement ou rageusement, sa liberté à l’égard de toute espèce de demande sociale (politique, religieuse, économique, bureaucratique… [1]). Ces mises à distance des demandes d’utilité prennent des formes différentes selon les auteurs et les contextes. Par exemple, Émile Durkheim pouvait insister sur l’indifférentisme de principe que doit adopter la sociologie vis-à-vis des conséquences pratiques de ses découvertes lorsqu’il établissait une différence nette entre sociologie de l’éducation (qui dit « ce qui est ») et théories pédagogiques (qui déterminent « ce qui doit être ») : « La science, écrivait-il, commence dès que le savoir, quel qu’il soit, est recherché pour lui-même. Sans doute, le savant sait bien que ses découvertes seront vraisemblablement susceptibles d’être utilisées. Il peut même se faire qu’il dirige de préférence ses recherches sur tel ou tel point parce qu’il pressent qu’elles seront Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert ainsi plus profitables, qu’elles permettront de satisfaire à des besoins urgents. Mais en tant qu’il se livre à l’investigation scientifique, il se désintéresse des conséquences pratiques. Il dit ce qui est ; il constate ce que sont les choses, et il s’en tient là. Il ne se préoccupe pas de savoir si les vérités qu’il découvre seront agréables ou déconcertantes, s’il est bon que les rapports qu’il établit restent ce qu’ils sont, ou s’il vaudrait mieux qu’ils fussent autrement. Son rôle est d’exprimer le réel, non de le juger. » [Durkheim, 1977, p. 71.] Le sociologue peut aussi résister à l’appel de l’utilité (rentabilité) économique des savoirs. Comme l’écrivait Raymond Aron dans sa préface à la traduction de l’ouvrage de Thorstein Veblen, The Theory of the Leisure Class, « la curiosité sans autre souci que la connaissance, sans autre discipline que celle qu’elle s’impose à elle-même, sans considération de l’utilité qui, dans la civilisation pragmatique et pécuniaire, demeure celle de quelques-uns et non de tous, cette curiosité livrée à elle-même offre une garantie contre le despotisme de l’argent, une chance de progrès et de critique » [Aron, 1978, p. XXIII]. Il peut enfin voir ce que la « noble utilité » peut cacher de servilité à l’égard des dominants (culturellement, politiquement, religieusement, économiquement…) et considérer que la production de vérités sur le monde social va souvent à l’encontre des fonctions sociales de légitimation des pouvoirs qu’on peut vouloir faire jouer à la sociologie : « Aujourd’hui, parmi les gens dont dépend l’existence de la sociologie, il y en a de plus en plus pour demander à quoi sert la sociologie. En fait, la sociologie Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert a d’autant plus de chances de décevoir ou de contrarier les pouvoirs qu’elle remplit mieux sa fonction proprement scientifique. Cette fonction n’est pas de servir à quelque chose, c’est-à-dire à quelqu’un. Demander à la sociologie de servir à quelque chose, c’est toujours une manière de lui demander de servir le pouvoir. Alors que sa fonction scientifique est de comprendre le monde social, à commencer par les pouvoirs. Opération qui n’est pas neutre socialement et qui remplit sans aucun doute une fonction sociale. Entre autres raisons parce qu’il n’est pas de pouvoir qui ne doive une part – et non la moindre – de son efficacité à la méconnaissance des mécanismes qui le fondent. » [Bourdieu, 1980, p. 23-24.] Contre les injonctions multiformes de production d’un « savoir utile », les savants ont toujours eu à lutter pour la « uploads/Societe et culture/ a-quoi-sert-la-sociologie-lahire-bernard-pdf.pdf
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- Publié le Sep 06, 2021
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