Anthropologie sociale et culturelle CHAPITRE INTRODUCTIF 1. 0. Définition et ob

Anthropologie sociale et culturelle CHAPITRE INTRODUCTIF 1. 0. Définition et objet: l'anthropologie sociale comme un regard naïf sur l'altérité, l'idiosyncrasie culturelle et la weltanschauung En un premier sens l’anthropologie désigne à la fois l’étude des caractères physiques et biologiques de l’homme et celle de ses caractères sociaux. Par ce biais on est conduit à y retrouver le dénominateur commun à toutes les sciences de l’homme. C’est une définition qui convient aux usages qu’en a fait le monde anglo-saxon. Dans ce cadre, ce que nous appelions encore, il y a guère, l’« ethnologie », n’est qu’une partie d’un tout où elle côtoie aussi bien la préhistoire, l’archéologie, la linguistique, etc.… L’anthropologie sociale a vocation à étudier l’homme à travers les diversités culturelles; son objectif heuristique est de penser les différences à travers ce qu'il est convenu de nommer l’altérité. En somme, il s'agit de questionner les rapports à l’ « autre » (au Sénégal, l'étranger est ainsi désigné, dans la culture wolof notamment comme "toubab-bi"(l'Européen), "naar-bi"(l'Arabe), "gnak-bi"(le Noir africain originaire d'Afrique centrale notamment ) aussi bien entre les différentes sociétés qu'au sein d’une même société (toujours dans la société wolof qui hypertrophie l'altérité, on parlera du "lakakat" comme le locuteur non wolof présumé culturellement différent et par conséquent porteur d'une idiosyncrasie culturelle aux antipodes de la weltanschauung wolof; on entend ainsi des expressions comme "sama peul bi", "sama toucouleur bi", "sama njaagu-bi", "sama joola-bi". Bien entendu l'anthropologie n'inaugure pas cette curiosité à l’égard de sociétés différentes; elle remonte à bien plus tôt dans l’histoire puisque dès le Ve siècle avant J.C le grec Hérodote joue le rôle mythique de héros fondateur de l’histoire, de la géographie comparée et de l’ethnologie. 1.1. Hérodote, précurseur du regard anthropologique En effet, au cours de ses nombreuses pérégrinations, Hérodote montre que l’organisation sociale des Egyptiens est conçue par rapport à la religion, que celle des Barbares, c’est-à-dire des non-Grecs, est dominée par l’institution de la royauté. Tandis que les Grecs eux vivent en cités sous l’empire de la loi. Cette curiosité est loin d’être exclusive aux grecs car divers chroniqueurs chinois, persans, hindous, mais surtout arabes vont aussi relater leurs voyages dans le monde médiéval. Notamment des voyages africains pour les Arabes avec le célèbre Ibn Khaldoun au XVe siècle et sa description du monde islamique. À la Renaissance, la réflexion sur le rapport à l’autre va commencer à s’amplifier et se formaliser avec la « découverte » des Amériques. Vont apparaître des réflexions sur des sociétés non-européennes de façon formelle et l’on va commencer à produire des discours sur des peuples jusqu’alors « inconnus ». Et la question centrale qui se pose à l’époque de la découverte des Amériques c’est justement de savoir si ceux que l’on a découverts font partie de l’humanité, ou non ? Les explorations et conquêtes du Nouveau Monde, espagnoles et portugaises, qui suivront sont justifiées justement au nom du christianisme et de la différence avec les « sauvages ». 1.3. La controverse de Valladolid et le mythe du "bon sauvage" Alioune Badara Diop Page 1 Anthropologie sociale et culturelle Certains chercheurs ont imputé cette posture différentialiste radicale au fait que le critère premier d’humanité à l’époque était l’âme. Et dès lors il y a 2 réactions qui se dessinent face à la découverte et qui vont s’exprimer dans le fameux procès connu sous le nom de la controverse de Valladolid au sujet du statut des Indiens : d’un côté, on a un refus de l’étranger ces « sauvages », et de l’autre côté, une fascination avec une idéalisation des Indiens comme « bon sauvage » et de leur mode de vie plus proche de la nature. Encore une fois, à travers cette controverse, la question qui se pose c’est : est- ce que ces « autres » qui nous paraissent tellement différents font partie de notre famille, ou non ? La question récurrente et centrale en anthropologie sociale et culturelle c’est qu’est-ce qu’on fait de la différence ? Est-ce qu’elle nous rapproche ou est-ce qu’elle nous sépare ? Aux 17e et au XVIIIe siècle, le comparatisme s’accentue avec la multiplication des récits de voyages. Par exemple des missionnaires chez les Indiens d’Amérique, de Bernier aux Indes, de Cook et Bougainville en Océanie etc. C’est à partir du XIXe siècle que va vraiment se formaliser l’anthropologie comme discipline scientifique et qui se donne pour tâche d’étudier l’ « Autre ». Au début, cet « autre » se situe dans la distance à la fois géographique et historique c’est pour cela qu’on le recherche dans un ailleurs qui se caractérise par les sociétés non-européennes, et plus largement non-occidentales et chez des populations que l’on pense sans histoire par rapport à leur technologie rudimentaire par exemple. L’idée, c’est de se dire que l’étude des sociétés « simples » permettra de comprendre l’organisation complexe des sociétés dont est issue l’anthropologie. C’est en se construisant vraiment un objet que l’anthropologie se construit réellement en tant que science parmi les autres disciplines scientifiques. Peu à peu, des sociétés « vierges » c’est-à-dire sans contact ou que l’on qualifiait de « sans histoire » vont disparaître et c’est à partir de là que l’anthropologie va se définir non plus par son objet, qui était « exotique », mais par sa démarche. Une démarche basée sur la distance encore une fois mais en ce qu’elle permet de comprendre que : ce qui nous paraît naturel chez nous, est en fait culturel. L’idée est d’aller à la rencontre d’une culture inconnue dont l'appréhension objective va entraîner une modification du regard que l’on portait sur soi. C'est ce que Georges Balandier appelle le "détour". Et c’est cette démarche qui conduit à penser que ce que l’on vit tous les jours, les moindres opérations, les moindres relations, codes, gestes, échanges, regards…relèvent du culturel. La façon de manger, de se saluer, de dormir, de s’aimer, nos réactions affectives. Or, c’est justement dans cette diversité que se trouve l’unité de l’homme. 1.4. Déconstruire l'ethnocentrisme par l'effort de décentrement: le détour Autrement dit, ce qu’ont en commun les êtres humains, c’est leur capacité à se différencier les uns des autres, à élaborer des coutumes, des langues, des modes de connaissances, des institutions, des jeux profondément différents…bref c’est l’aptitude à la variation culturelle. Il s’agit donc aussi de reconnaître que nous sommes une culture parmi tant d’autres, et pas la seule, ni la plus vieille, ni la meilleure…Il s’agit d’éclater l’idée de « centre du monde » qui a pour corollaire négatif l'ethnocentrisme. Cette notion centrale participe au décentrement (au sens de Piaget) de l’anthropologue puisqu'elle lui fait prendre conscience d'une posture psychologique erronée qui l'amène à nourrir des préjugés. L'ethnocentrisme c’est donc l’attitude Alioune Badara Diop Page 2 Anthropologie sociale et culturelle consistant à juger les formes morales, religieuses, sociales, d’autres communautés selon nos propres normes et donc à juger leurs différences comme une anomalie. Il va donc s’agir de comprendre ce qui est normal pour l’ « Autre ». Ex : - au Sénégal, le mariage endogamique est une pratique courante dans la plupart des ethnies; en France le mariage entre cousins germains est perçu comme quasi- incestueux; - en Afrique centrale on trouve des gens qui mangent du singe, alors que c'est inimaginable chez nous; - le pasteur Massaï du Kenya ou de Tanzanie dort debout appuyé sur son bâton alors que nous estimons qu'il faut dormir couché; etc. L’ethnocentrisme comporte un jugement de valeur qui consiste souvent en une attitude dévalorisante voire en du racisme lorsqu’il s’accompagne de rejet et d’hostilité. Pour mieux comprendre de quelle manière l’anthropologie sociale et culturelle se propose de comprendre donc la diversité culturelle, il est important de revisiter brièvement les différents courants de pensée de l’histoire de l’anthropologie. 2.0. Revisiter les courants de l'anthropologie pour corriger les biais ethnocentristes Comme évoqué plus haut, les réflexions sur l’ « Autre » se situe dans l’histoire, et donc le propre du discours anthropologique n’échappe pas à cette réalité et n’est pas « innocent ». Au cours de la colonisation c’est le discours de l’explorateur, du missionnaire, de l’administrateur, du juriste. Il devient peu à peu le discours du spécialiste quand s’élabore le nouveau savoir anthropologique dans le cadre de l’évolutionnisme. 2.1. L'évolutionnisme: une vue de l'esprit téléologique et contestable L’évolutionnisme est le premier moment d’une histoire des courants dominants en anthropologie. C’est un ensemble de théories élaborées au cours de la deuxième moitié du 19e pour rendre compte de la trajectoire historique de l’humanité. Le postulat central des théories évolutionnistes est : l’ensemble de l’humanité a une histoire universelle qui suit le même mouvement, orienté et non-réversible. Donc, dès le départ, on s’appuie sur un présupposé fort : l’existence d’un ordre immanent à l’histoire de l’humanité. Les « autres » donc, les « sauvages » font partie de notre histoire, nous faisons partie d’une seule histoire. Dès lors, ceux qu’on a appelé des « sauvages » deviennent des « primitifs », et leurs cultures deviennent des incarnations ou des figurations du passé des sociétés « civilisées uploads/Societe et culture/ anthropologie-sociale-et-culturelle.pdf

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