ART ET CULTURE. CONTOURS, TOURS ET DÉTOURS Christian Ruby Observatoire des poli
ART ET CULTURE. CONTOURS, TOURS ET DÉTOURS Christian Ruby Observatoire des politiques culturelles | « L'Observatoire » 2012/2 N° 41 | pages 70 à 74 ISSN 1165-2675 DOI 10.3917/lobs.041.0070 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2012-2-page-70.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Observatoire des politiques culturelles. © Observatoire des politiques culturelles. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) page 70 | l’Observatoire - No 41, hiver 2012 - dossier QUESTION 12 FAUT-IL OPPOSER L'ART ET LA CULTURE ? © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) l’Observatoire - No 41, hiver 2012 - dossier | page 71 L e second axe de réfl exion est ici en œuvre face à cet objet : art et culture. Mais en choisissant ce réglage de notre observation, nous pouvons aussi souligner que l’articulation mécanique entre ces deux termes est devenue la plus courante, de nos jours, en Europe. Il rend manifeste l’impasse de ce partage fi gé presque devenu une organisation mentale et disci- plinaire. Il convient alors de se poser la question de savoir ce qui est visé en lui, ce qu’on péjore ou ce qu’on glorifi e en le maintenant et comment il hiérarchise les éléments liés. Ce relevé de démarcations glacées pousse aussi à une demande : comment nous extraire de ces considérations toujours un peu ennuyeuses sur l’art et la culture déroulant des haines réciproques ou des exaltations vaines, sans tomber dans la valorisation instrumentalisée d’un simple agglomérat ? LE DÉSASTRE SUPPOSÉ DE LA SITUATION Bien au-delà de considérations sur les diffi cultés (politiques et budgétaires) du temps, un sentiment général tend à faire croire que l’époque n’est favorable ni à la culture, ni aux arts, puisque toutes choses de ce type seraient unilatéralement absor- bées par l’État, par la technique ou par les industries de consommation cultu- relle. Rien ne pourrait plus ni résister, ni s’affi rmer à l’encontre de machineries qui dissoudraient immédiatement les critiques et les contestations. Et, certes, les diffi cultés du temps sont innombrables. Mais il est sans aucun doute possible de refuser de perpétuer une conception crépusculaire de la culture et des arts, ainsi que de leurs rapports, dont on dit trop facilement qu’ils sont toujours menacés par avance par une barbarie assi- milatrice. Il est même pertinent de récuser la doxa contemporaine, selon laquelle la culture ne serait plus que loisir, les arts simples divertissements, la démocratie désaffectée, et le tout, essentiellement, par fait de médias ou d’industries culturelles. Ce qui devrait surtout étonner dans ces propos, souvent tenus par des philosophes – sur le modèle élaboré par Hannah Arendt –, est qu’ils dispensent une tendance à opposer plus fermement art et culture l’un à l’autre qu’à faire valoir art et culture ensemble, comme possibilité d’affi rmation au sein du monde contemporain. L’art n’aurait donc pas de rapport avec la culture et la culture n’aurait pas de rapport avec les arts ! Un peu court, non ? UNE PENSÉE PAR DÉLÉGATION Une certaine ignorance, non docte, se marque dans les traits employés pour parler ainsi de l’art et de la culture. Ils sont réci- proquement opposés. Et trop simplement selon les voies d’une polémique somme toute récente. Au vrai, la valeur de réfl exion critique attribuée à ce couple se ravale au rang de caricature aux renversements infi nis. Il y aurait donc, d’un côté, « le bon art » innocent et, de l’autre, l’effroyable culture fi gée dans la corruption de l’image, la pros- titution universelle du tourisme culturel et la dégradation du goût. Comme il y aurait, d’un côté, la « bonne culture » consensuelle et, de l’autre, « le mauvais art » incom- préhensible et élitiste, l’art contemporain notamment, auquel on pourrait faire grief de rompre le lien commun. D’une certaine manière, si l’on préfère, l’uniforme imposition de la culture trash et de l’audience adéquate, l’aplatisse- ment des passions et la neutralisation de l’information, bref, la domination de la communication culturelle et, en face d’elle, l’art enfi n exalté comme forme substitutive d’une vraie vie politique absente. Ou d’une autre, l’habitude ART ET CULTURE. CONTOURS, TOURS ET DÉTOURS Un classique de l’enseignement de la philosophie veut que devant deux notions reliées par une coordination, l’élève réagisse en construisant des rapports possibles. La diversité des équations ainsi obtenues donne alors matière à penser. Observons cependant que la pensée peut conférer deux axes à ces rapports : le premier dépouille les termes de toute vie et, leur faisant représenter des essences admises sans discussion, les place dans une série de relations mécaniques dans laquelle ils servent d’accessoires. Le second leur rend la vie, s’attache à énoncer les passages possibles de l’un dans l’autre et s’essaye à mettre leurs rapports en mouvement en les chargeant d’énergie et de devenirs multiples. Christian Ruby © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) © Observatoire des politiques culturelles | Téléchargé le 14/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 190.115.174.245) page 72 | l’Observatoire - No 41, hiver 2012 - dossier prise par des artistes décalés de rompre le tacite contrat esthétique et, en face, la culture décidément commune, capable de réconcilier les humains et de maintenir un fondement commun. Dans ces deux cas inversés, cependant, au milieu du propos, une même barba- rie permettant de séparer le bien et le mal. C’est à elle qu’est délégué le rôle de distinguer art et culture, quelle que soit la signifi cation choisie pour renforcer le partage. La barbarie des industries cultu- relles et d’une culture identifi ée à ce que le ministère de la Culture appelle ainsi – la dénomination a en effet une histoire qui tient à la construction d’un tissu consensuel d’assignations –, en somme la barbarie d’une logique d’intégration sur laquelle s’érigerait le monde administré. Ainsi l’affi rme Jean-Luc Godard : « La culture, pour moi, c’est la règle, alors que l’art c’est l’exception. La culture c’est la diffusion, et l’art la production » (JLG/ JLG – Autoportrait de décembre, 1994). Ou, à l’inverse maintenant, la barbarie d’un art qui se déchaîne dans le rien, devenu un épiphénomène de la culture, elle-même dégradée en consommation... L’IMPUISSANCE D’UNE PENSÉE MÉCANIQUE Cette délégation du désastre à l’un ou l’autre membre du partage fi gé, comme cette célébration héroïque de la sauve- garde, ne saurait excuser l’usage d’un point de vue mécanique qui peut se renverser indéfi niment selon les circonstances et la situation des personnes prenant la parole pour, fi nalement, ne poser que de fausses évidences d’éternité. Mode accusatoire, mais ineffi cace ! Le propos pivote et se retourne chaque fois sur le même argu- mentaire. Aussi l’idée que le projet culturel risque systématiquement de désamorcer la charge subversive de certaines démarches artistiques est aussi forte (une grande exposition culturelle, à Beaubourg par exemple ; le projet culturel du « politique- ment correct » face à la Passion selon Saint Jean) ou inepte (la biennale de Venise fonctionne sur le même principe sans tuer les œuvres) que l’idée inverse : que l’art peut désamorcer la charge subversive d’un projet culturel (les chromos, les peintres du dimanche…). Au mieux peut-on aboutir à des jeux de langage simplifi cateurs. Quelques phrases de ce type en vrac : l’art et la culture sont réifi és par les industries culturelles, non qu’ils changent seulement de rang par le progrès des procédés techniques, mais parce qu’ils sont standardisés ; les indus- tries culturelles permettent d’organiser la diffusion des œuvres de l’art et de la culture à grande échelle ; l’art s’élève contre la standardisation de la culture par les industries culturelles ; l’art est entiè- rement soumis aux canons du « cultu- rel » façonnés par l’État et les industries culturelles ; etc.! Cessons cette énumération. L ’un veut dire que « la culture » constitue une forme de légitimation de l’industrie culturelle. Mais en inversant le propos, l’autre fait de l’art, paradoxalement, le pôle chargé de valoriser la vraie légitimité culturelle. On veut sauver les arts contre la culture mais les œuvres sans culture tombent dans le décoratif. On veut sauver les artistes contre la culture, mais un artiste sans culture devient cynique. On veut, à l’inverse, valoriser la culture contre les arts, mais alors la culture n’est plus uploads/Societe et culture/ art-et-culture-contours-tours-et-detours.pdf
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- Publié le Mar 24, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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