[70] Bazin (Jean), 1999 (1985). « A chacun son Bambara », in Jean- Luc, Amselle
[70] Bazin (Jean), 1999 (1985). « A chacun son Bambara », in Jean- Luc, Amselle (dir). Au cœur de l’ethnie. Ethnie, tribalisme et Etat en Afrique. Paris, La Découverte : 87-127. - article ouvrage collective. Ethnie ; Identité ; Bambara ; Discours ethnographique ; Classification ; Classements ; Ethnie ; Ethnologie ; Identité [discours] ; Identification ; Catégorie [usages] ; Catégorie [polysémie] ; Ethnicité ; Colonialisme ; Post-colonialisme. Ethnie ; Identité ; Bambara Pourquoi faut-il absolument que « les Bambaras » soient quelque chose, bêtes ou méchants, rustres ou philosophes, paisibles ou sanguinaires, etc. ? Double illusion : d’abord on suppose qu’être désignés d’un même nom est le signe assuré de quelque substantialité fondamentale, alors qu’il suffit, par exemple, d’occuper une même position au regard d’un tiers. On suppose ensuite qu’un Bambara ne saurait piller ou penser qu’en vertu de cette nécessité immanente, de ce « quelque chose » -nature, destin ou vocation- qui définit sa spécificité. C’est la bambarité qui fait agir le Bambara et inversement chacun de ses actes la signifie : terrible logique de l’imputation, telle qu’elle est à l’œuvre dans toute lecture meta-sociale (raciste ou autre) de la réalité sociale. [70 : 90] Ethnie ; Identité ; Bambara La question n’est donc pas de savoir ce qu’est ou n’est pas l’ethnie, mais si c’est un référent dont nous pouvons ou non nous passer. Je peux ne plus croire qu’au signifiant « Bambara » corresponde quelque entité effectivement déterminable et n’en continuer pas moins à faire comme s’il en était ainsi. Plus la réalité substantielle de l’ethnie est mise en doute, plus l’ethnographe doit s’installer dans le douloureux inconfort du « comme si »… [70 : 91] Ethnie ; Identité ; Discours ethnographique. L’ethnie n’est jamais, en fait, un simple cadre formel dont la commodité opératoire compenserait l’arbitraire. Elle tient toujours la place d’un sujet auquel nous reconnaissons au moins assez d’existence pour pouvoir lui attribuer comme prédicats des énoncés, des événements, des rapports sociaux dont nous pourrions donner une autre description si nous étions libérés de cette référence obligée. En tant que substrat passif du discours ethnographique, elle se substitue aux acteurs effectifs (les unités politiques par exemple), elle les met hors champ, les efface de la scène… [70 : 91-92] Classification ; Classements ; Ethnie ; Ethnologie. A la différence du peuple ou de la nation, produits d’une histoire, l’ethnie est en effet le résultat d’une opération préalable de classement. A cet égard, toute ethnologie commence comme une zoologie, quoique d’une taxinomie rationnelle et savante elle n’ait que les apparences. On pourrait certes imaginer une sorte d’ethnologue idéal, scrupuleusement sourd à toute dénomination préalable et seulement soucieux de classer au mieux les mœurs et coutumes observées, à la manière d’un entomologiste ou d’un minéralogiste, en vue d’aboutir à une nomenclature rigoureuse permettant une mise en tableau des genres et des espèces : un pari impossible à tenir, parce qu’à la différence des papillons ou des pierres, les humains se classent eux-mêmes, si bien que les noms sous lesquels les observateurs connaissent leurs groupes ne sont jamais sans lien avec ceux qu’ils attribuent les uns les autres… [70 : 92] Ethnologie ; Ethnie. L’ethnologie procède donc sur le modèle mais en sens inverse de ce que serait une « histoire naturelle » du genre humain : c’est en général d’un ensemble déjà nommé qu’elle cherche à savoir a posteriori si ne lui correspond pas quelque culture commune. L’ethnie est ainsi comme un cadre creux, préimposé par les usages locaux, dont on suppose qu’il doit bien délimiter quelque chose et peut donc légitimement servir de préalable à l’enquête. [70 : 93] Ethnologie ; Ethnie. Qu’on croit ou non à sa réalité substantielle, l’ethnie est ce sujet fictif que l’ethnologie contribue à faire être, le perpétuant comme entité de référence dans son espace savant, grâce à ses procédures inductives et attributives par lesquelles un contenu de savoir, si disparate soit-il, se trouve réuni et subsumé sous un seul nom, dans le même comportement d’un fichier. [70 : 94] Identité ; Ethnie ; Identité [discours] Pour dissoudre la substance ou chasser son fantôme, il faut revenir au nom, à sa « grammaire », à l’inventaire sans exclusive de ses emplois. On ne saurait « être » un Bambara sans avoir été nommé tel : nommé par qui, dans quel contexte, quand ? Au lieu de chercher en vain une nature sui generis qui lui corresponde, mieux vaut restituer au terme sa fonction d’identification relative, de repérage approximatif dans l’espace social, et le comprendre tel qu’il est : un signifiant sans cesse échangé entre des sujets parlants –l’ethnie comme ensemble mort de sujets « parlés » ? –nommant les autres par rapport à eux et se nommant par rapport aux autres –l’ethnie comme ensemble plat sans perspective ? [70 : 94] Identité ; Identification …Chaque identification que j’entends prononcer est relative ; il faut, pour comprendre ce qu’elle signifie, restituer l’espace social où elle est énoncée, les positions qu’y occupent respectivement le nommant et le nommé –et éventuellement m’y situer moi-même en tant qu’étranger demandant : « Qui sont ces gens » [70 : 97] Identité [a propos de Bambaras] ; ethnie. …On voit comment une identité collective, certes aliénante et arbitraire, s’établit ainsi par l’effet d’effacement des différences qu’implique l’intérêt social dominant d’un des acteurs. On n’obtient pas pour autant une ethnie : il faudrait que cette perspective pratique soit soumise à une neutralisation savante qui en fasse oublier la genèse. [70 : 99] Catégorie [usages] [les catégories sociales] …une catégorie relative permettant une orientation pratique dans l’espace social. …Les noms ont une histoire ; il y a des conjonctures et des situations locales qui font qu’un nom est adopté par les uns, refusé par les autres. La lecture en termes ethniques de la réalité sociale est une sorte de mise à plat, de mise sur carte, dont le principe est l’oubli obstiné de cette histoire. [70 : 105] Catégorie [polysémie] Un tel embarras suffit à montrer comment les locuteurs eux- mêmes, face à un étranger qu’ils supposent soucieux de clarification, peuvent devenir conscients de la polysémie des catégories qu’ils utilisent quotidiennement et dont l’ambiguïté n’est pas gênante dans la pratique mais devient pure incohérence quand elle doit être explicitée. [70 : 111] Ethnie ; Catégorie …Plus se multiplient ainsi les significations du nom, plus s’entrecroisent les logiques qui en règlent l’usage, moins on [usages] sait où est l’ethnie […] Comme pour les fantômes, la question n’est pas de savoir si elle existe ou non, mais quelles sont les conditions de son apparition : c’est affaire non de croyance, mais de description clinique. [70 : 112] Discours ethnographique ; Ethnologie ; Ethnie …l’invention de l’ethnie procède en effet à contresens (ou à court-circuit) d’un tel inventaire sémantique. Pour que le nom accède à son statut ethnologique, à sa fonction de désignation d’une entité unique, les Bambaras, il faut lui retrancher du sens, l’appauvrir de son ambiguïté par des opérations de prélèvement, de sélection, de censure qui lui confèrent l’univocité. L’ethnie apparaît ainsi en négatif, comme le résidu savant d’une polysémie pratique contraire à la rationalité ethnologique comme à la raison d’Etat… [70 : 112] Identité ; Catégorie …qui est Bamana (ou Bambara) ? Mais à cette question il y a tant de réponses que la quête d’une identité absolue, originaire (dont toutes les autres dériveraient), reste vaine ; au point qu’à vrai dire ce manque est comme le sens ultime du mot ; son indétermination le rend propre à la dénomination d’ensembles multiples et même, au besoin, à sa fonction d’ethnonyme. Parce qu’il ne désigne « rigidement » personne, chacun de ses emplois prend valeur d’assignation relative à une classe : « paysan », « guerrier », « esclave », « païen », « païen du Sud », « esclave de l’intérieur », « pillard » ou métaphysicien… Tout se dissout en connotations d’une dénotation évanescente ou à jamais perdue qui ne peut être que réinstaurée par décret ; simulacre de nom propre –dont l’ethnie serait l’introuvable référent – et qu’il convient de transformer, par une série d’opérations appropriées, en un « authentique » nom propre. [70 : 113] Ethnie ; Classification [l’invention de l’ethnie] (1) La première opération est de fixer strictement la procédure d’identification, comme le requiert une saine pratique administrative. Est réputé français tout individu en possession de documents authentiques en faisant foi : comment est-on bambara ? Avec ce genre de sous-nations problématique, de nom propre à porteur flottant, il faut trancher. [70 : 115] (2) La deuxième opération est de neutralisation. Pour que Bambara soit un nom vraiment propre il faut le nettoyer de toute connotation, en particulier désobligeante… [70 : 117] (3) Troisième opération : pour en faire un pur ethnonyme, il faut aussi dissocier le signifiant bamana /banbara de tous ses usages sociaux et classificatoires… [70 : 119] On ne saurait mieux dire que « le point de vue ethnique » relève plus du coup de force que du savoir ; que uploads/Societe et culture/ bazin-jean-1999-1985.pdf
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- Publié le Dec 28, 2021
- Catégorie Society and Cultur...
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