ÉTUDIER LE FRANÇAIS… QUELLE HISTOIRE ! Samira Boubakour Université Lumière Lyon

ÉTUDIER LE FRANÇAIS… QUELLE HISTOIRE ! Samira Boubakour Université Lumière Lyon 2, France Université de Batna, Algérie samira.boubakour@univ-lyon2.fr Introduction L’Algérie est un pays qui connait une situation linguistique très intéressante. A partir de l’indépendance, en 1962 et pendant des années, ce pays a été « officiellement » monolingue, avec l’arabe classique comme langue officielle et nationale. Mais cela n’a pas empêché la présence sociale d’autres langues. Ces dernières ont longtemps « combattues » pour leur survie. Elles restent présentes dans le patrimoine culturel algérien. Il s’agit en l’occurrence de l’arabe algérien (que certains nomment dialectal), du berbère (devenue langue nationale à partir de 2002) avec toutes ses variantes et du français. A travers ces différents idiomes, les Algériens se sont exprimés, car comme la présente Grandguillaume (Benrabah, 1999 : 9) : « La langue est le lieu où s’exprime et se construit le plus profond de la personnalité individuelle et collective. Elle est le lien entre passé et présent, individu et société, conscient et inconscient. Elle est le miroir de l’identité. Elle est l’une des lois qui structurent la personnalité. » La langue, marqueur social par excellence, est considérée comme étant un des facteurs déterminants dans la construction de toute identité, qu’elle soit personnelle, collective, groupale, régionale ou même nationale. Le processus d'identification, qui inscrit l'individu dans une sphère sociale particulière, se traduit par les pratiques langagières. Dans ce cadre, la langue peut être perçue comme étant véhiculaire de l'identité. « Notre langue structure notre identité, en ce qu'elle nous différencie de ceux qui parlent d'autres langues et en ce qu'elle spécifie notre mode d'appartenance (les langues sont propres aux pays auxquels nous appartenons) et de sociabilité (les langues sont faites aussi d'accents, d'idiolectes, de particularités sociales de langage et d'énonciation). » (Lamizet, 2002 : 5-6) En plus de la religion et la race, la langue fait aussi partie des facteurs de l’identité ethnique (Abou. 1995 : 38), c’est un des éléments de la culture véhiculée, mais en même temps elle dépasse et transcende les autres éléments, car elle a la capacité de les nommer, de les exprimer et de les véhiculer. Les études socio- 52 Samira Boubakour linguistiques ont démontré que tout groupe, se construisant comme tel, vise à produire et à valoriser ses traits linguistiques emblématiques, aboutissant à une variété de langue (sociolecte, argot, jargon…), et parfois à long terme à une langue spécifique. « C'est notre langue, comme système de représentation et d'expression, qui nous donne les formes et les signifiants qui nous permettent d'avoir des échanges symboliques avec les autres, et, ainsi, de faire exister l'espace public de la médiation. » (Lamizet, 2002 : 5-6) 2. Être bilingue… est-ce si facile que cela ?! D’un point de vue didactique, l’acquisition de deux ou plusieurs langues est généralement présentée comme étant un enrichissement personnel et culturel, ce qui est vrai, car le sujet parlant sera capable d’élargir sa vision du monde, d’enrichir sa capacité d’agir et d’influer, d’accroitre le cercle des individus avec lesquels il est potentiellement prêt à communiquer. Néanmoins, cela n’empêche que certains spécialistes s’accordent pour dire qu’être bilingue n’est pas toujours chose facile. Seuls les individus appartenant à une élite et possédant un bon niveau culturel peuvent faire du bilinguisme une source d’enrichissement, car le risque d’interférences, d’emprunts, d’erreurs, etc. peut engendrer l’appauvrissement de la pensée du locuteur qui vacillera entre ces deux mondes linguistiques et sera obligé d’être constamment vigilant et sur ces gardes, et cette situation peut être source d’une éventuelle souffrance. « Quelle que soit sa maîtrise de l’une ou l’autre langue, un locuteur vit rarement dans la sérénité, avec l’écartèlement de son moi entre plusieurs champs linguis- tiques. On observe cela, dans le monde, dans de nombreuses situations dites de multilinguisme institutionnalisé. » (Yaguello, 1988 : 83) Cet écartèlement peut provoquer sur le plan culturel des conflits, du fait que le risque "d'affrontement" entre les différentes visions, véhiculées par les langues, devient intéressant à étudier, parce qu'il fait, dès lors, appel à des opérations que C. Camilleri nomme "stratégies identitaires", dans le sens de négociation (compromis, ajustements, synthèses…). La multiplicité d’appartenance peut engendrer des conflits sur un plan personnel, groupal voire sociétal, se définir comme appartenant à une culture donnée, c’est adhérer, d’une façon consciente ou pas, au système de valeurs véhiculé par cette culture. Les choix linguistiques, par exemple, déterminent l’appartenance à un groupe, cela permet aux membres de ce groupe de se démarquer par rapport aux autres. Et l’appartenance culturelle peut être appréhendée comme le fruit de décisions et choix collectifs et individuels, il est nécessaire de prendre en consi- dération, afin de saisir la construction et le fonctionnement de cette appar-tenance, le poids sociohistorique que subit tout sujet. Ce genre de situation basé sur le sentiment d’appartenance incite le sujet à départager le monde en des « clans » bien séparés, d’une part il y aura le « Je », d’autre part le « Tu », le « Je » et le « Eux » et le plus important, le « Nous » et le Étudier le français… quelle histoire ! 53 « Eux/Autres». De cette manière, une identité peut s’appréhender comme étant une construction continue basée sur des traits caractéristiques et d’appartenances symboliques qui inscrivent les limites entre deux polarités : le dedans et le dehors. La relation entre le Moi et l’Autre est toujours présente dans la construction identitaire, ce sont deux éléments à prendre en considération, l’un ne va pas sans l’autre. « Toute identité requiert l'existence d'un autre et une relation dans laquelle s'actualise l'identité de soi. Quand il y a dysfonction entre l'identité pour soi et l'identité pour l'autre, le sujet réagira par l'angoisse, le sentiment de culpabilité, le désespoir, l'indifférence » (Tap, 1980 : 331). L’autre est toujours là, il peut être source d’épanouissement ou au contraire, source de conflit, la relation entre ces deux pôles identitaires peut produire un sentiment d’identité positif ou négatif. Camilleri définit l’identité négative comme résultant d’un : « Sentiment de mal être, d’impuissance, d’être mal considéré par les autres, d’avoir des mauvaises représentations de ses activités et de soi. Le sentiment de l’identité négative provoque la souffrance, surtout quand notre image ne dépend pas de nos actes. Nous insistons donc particulièrement dans notre explication du processus de formation de l’identité négative sur les interactions défavorables et la stigmatisation, sans pour autant négliger la notion d’incohérence de l’identité » (Camilleri & Kastersztein, 1990 : 113) Par contre, l’identité positive résulte du : « Sentiment d’avoir des qualités, de pouvoir influer sur les êtres et les choses, de maîtriser (au moins partiellement) l’environnement et d’avoir des représentations de soi plutôt favorables en comparaison avec les autres. » (Vinsonneau, 2005 : 137- 138) Une image propre de Soi va naître de la manière dont se perçoit le sujet lui- même, où il se décrit selon sa propre représentation, et une image sociale de Soi est définie par les différentes représentations de soi chez autrui, telles qu’elles sont perçues ou supposées par le sujet lui-même, où il se décrit selon l’avis, connu ou supposé, des autres. En résumé, être bilingue peut être source d’épanouissement ou de conflit, et ce en fonction de l’appréciation qu’on se fait de soi-même et de ce que pensent les autres de nous et de la langue que nous parlons. Nous allons, modestement, nous intéresser à ce qui se passe avec les bilingues algériens, qui vivent dans un climat multilinguistique assez conflictuel. 3. La situation sociolinguistique en Algérie L’Algérie peut être considérée comme étant un pays plurilingue et multiculturel ; dans son article sur la culture et plurilinguisme en Algérie, Sebaa. R, trouve que : 54 Samira Boubakour « L’Algérie se caractérise, comme on le sait, par une situation de quadrilinguité sociale : arabe conventionnel / français / arabe algérien / tamazight. Les frontières entre ces différentes langues ne sont ni géographiquement ni linguistiquement établies. Le continuum dans lequel la langue française prend et reprend cons- tamment place, au même titre que l’arabe algérien, les différentes variantes de tamazight et l’arabe conventionnel redéfinit les fonctions sociales de chaque idiome. Les rôles et les fonctions de chaque langue, dominante ou minoritaire, dans ce continuum s’inscrivent dans un procès dialectique qui échappe à toute tentative de réduction. » « La créativité linguistique qui caractérise le locuteur natif apparaît de manière éclatante dans le langage des jeunes, qui représentent la majorité de la population en Algérie. La pratique, dictée par de besoins immédiats de communication, produit une situation de convivialité et de tolérance entre les langues en présence : arabe algérien, berbère et français. Dans les rues d’Oran, d’Alger ou d’ailleurs, l’Algérien utilise tantôt l’une, tantôt l’autre, tantôt un mélange des deux ou trois idiomes.» (Benrabah, 1999 : 177) La situation linguistique algérienne comporte une configuration quadridi- mensionnelle, qui se compose essentiellement de : Dans un domaine formel H, l'arabe classique : langue officielle et nationale, réservée à l'usage officiel et religieux (langue du Coran), elle jouit ainsi d'une place privilégiée, comme faisant partie de l'identité nationale algérienne uploads/Societe et culture/ boubakour-samira.pdf

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