Journal of the Canadian Association for Curriculum Studies Volume 2 Number 1 Sp
Journal of the Canadian Association for Curriculum Studies Volume 2 Number 1 Spring 2004 145 “Enactivism” ou la théorie cognitive de la « Personnifiaction » : Une tentative pour mieux comprendre notre activité langagière JÉRÔME PROULX 1 Université de l’Alberta Introduction La thématique de ce numéro spécial du JCACS sous le thème « Knowing Bodies » place immédiatement le lecteur et même l’auteur dans un contexte assez éloigné des paradigmes habituels et traditionnels en lien avec la cognition. L’idée « Enactivist »2 affirmant que le corps et les actions physiques sont des actes de connaissance représente une coupure importante avec les théories cartésiennes traçant une dichotomie entre le corps et l’esprit (pour lesquelles la connaissance est vue comme un phénomène émergeant de l’esprit). Il s’avère assez intéressant de traiter de la thématique « Knowing Bodies » en langue française, puisqu’il est reconnu que les francophones utilisent beaucoup les gestes pour communiquer et donner du sens à leurs messages. Bien au-delà du cliché connu disant que les gens intelligents utilisent beaucoup les gestes dans leurs discours, il s’avère que les francophones s’expriment souvent, de manière simultanée à leur discours, avec des gestes et des messages que nous appelons non- verbaux. Une importante partie du message communiqué est donc présente à travers les gestes et les mimiques des francophones (cette généralisation ne s’applique évidemment pas à tous les locuteurs francophones) et se retrouve donc à l’extérieur du discours oral, c’est-à- dire à l’intérieur des gestes et du physique. De plus, sans toutefois être particulier à la langue française, l’intonation utilisée en cours de discours pour mettre une insistance ou une emphase sur certaines idées et mots est Journal of the Canadian Association for Curriculum Studies 146 énormément porteuse de significations. De nouveau, cette partie du message, passant par l’intonation, est extérieure aux expressions et aux mots littéraux utilisés, mais est toutefois reflétée dans la façon de dire ces mots et expressions. Ces deux aspects de la communication (gestuelle et intonation) représentent en fait d’excellents exemples d’actions physiques porteuses de connaissance – c'est-à-dire le corps physique connaissant. Contexte de départ Ma situation personnelle en tant qu’étudiant francophone québécois dans une université anglophone m’amène fréquemment à faire face à de nombreuses difficultés conceptuelles au niveau de la langue utilisée, lorsque j’essaie (pour ma compréhension personnelle) de traduire certaines expressions et certains mots d’une langue à l’autre. C’est à travers cette perspective personnelle de compréhension que mon article se structure; j’élabore ainsi sur les éléments clés à l’intérieur du courant théorique « Enactivist » tout en discutant des difficultés conceptuelles reliées aux mots et expressions anglophones utilisés dans cette théorie lorsque j’essaie de leur donner un sens dans ma langue maternelle, le français. Cet article correspond en fait à un exercice d’apprentissage en lui-même dans lequel je fais état de notions théoriques tout en tentant de comprendre leurs significations conceptuelles à l’intérieur de ma langue maternelle. Cette problématique de départ reliée aux difficultés conceptuelles liées à la langue peut sembler étrange pour certains ou même momentanée pour d’autres – c’est-à-dire que certains pourraient croire que l’écart entre ma compréhension « anglaise » et « française » s’atténuera avec le temps et la pratique, par mon immersion en milieu anglophone. Quoique j’accepte d’emblée l’idée qu’une amélioration est évidemment possible en ce qui a trait à la fluidité langagière et l’accessibilité lexicale (mots de la langue), j’argumente, tout au long de cet article, sur le fait que la compréhension conceptuelle se situe davantage à l’intérieur d’une toile de signification3 propre à la langue utilisée – la langue étant vue ici comme un système de signes particuliers (verbaux et écrits)4. Cette toile de signification est enroulée et imbriquée dans notre utilisation et notre compréhension des mots de cette langue, plutôt que dans le passage direct des mots d’une langue à l’autre5. En fait, la thèse que j’élabore soutient que notre activité langagière6, renvoyant aux mots, aux expressions, aux « codes linguistiques » utilisés, aux façons de dire et de s’exprimer dans notre langue maternelle, est profondément enracinée dans la culture et l’historicité évolutive de la langue avec laquelle nous nous exprimons, dans ce que nous pourrions appeler une culture langagière : « La langue est une institution sociale » (Saussure, 1980, p. 33). Cette perspective donnera, entre autres, un sens aux difficultés de traduction entre l’anglais et le français (et vice-versa) en donnant Enactivism JÉRÔME PROULX 147 davantage de sens et de signification à une idée de cohérence qu’à une idée de correspondance. Ainsi, l’article représente lui-même une description de ce phénomène riche et complexe, présent au niveau des significations implicites, sous-jacentes à une langue, puisque tout au long de celui-ci, de nombreuses notes de fin de texte et des expressions anglophones sont utilisées pour permettre de contraster et nuancer les expressions et mots francophones utilisés avec les termes anglophones. Ces nuances permettront de donner davantage de sens et de corps aux mots et expressions utilisés dans l’article, tout en apportant et supportant une « couleur » et une « saveur » particulière que l’unique emploi des expressions et mots francophones québécois ne pourrait fournir à lui seul. Sens implicite à l'intérieur des mots et expressions utilisés Tout un sens implicite est présent dans notre activité langagière; sens tacite qu’une analyse littérale des mots un par un ne peut expliciter et faire ressortir. Comme dirait Johnson (2001) pour les systèmes complexes, le tout est plus grand que la somme de chacune de ses parties7. Ainsi, les mots utilisés dans la langue pour rendre compte d’un message ne supportent pas à eux seuls le sens implicite voulu, tout un sens, une signification sous-jacente, accompagne et partage les mots utilisés : le message est enraciné dans une toile de fond reliée à notre histoire et à notre culture8, une toile de signification que je qualifierai enculturante. Le message n’est pas seulement présent dans les mots littéraux, c’est à travers ce qui est entendu et inféré par notre utilisation des mots d’une langue qu’émerge la signification du message9. Comme l’expliquait Saussure (1980), le sens et la signification sont dans les relations entre les mots. Dans la même lignée, Gergen (1995) explique que c’est par la façon avec laquelle les mots sont reliés entre eux qu’ils deviennent significatifs. Ces relations entre les mots d’une langue puisent leur sens et sont enlacées dans la culture et l’historicité (sociale, culturelle et langagière10) à l'intérieur desquelles ils sont utilisés, ainsi que dans la culture et l'histoire de leur utilisation. Si nous pouvions embrasser la somme des images verbales emmagasinées chez tous les individus, nous toucherions le lien social qui constitue la langue. (Saussure, 1980, p. 30) C’est dans la culture et l’historicité évolutive (sociale, culturelle et langagière) que le sens attribué aux mots utilisés (les images verbales de Saussure) et leur signification implicite prennent toute leur richesse : ils sont enlacés et enracinés dans notre culture et notre histoire, ce qui donne lieu à notre culture langagière11. Cette culture langagière implicite, entre autres, complexifie les traductions directes d’une langue à l’autre puisque les mots utilisés transportent avec eux toute une toile de signification qui Journal of the Canadian Association for Curriculum Studies 148 est différente d’une langue à l'autre, à l’intérieur de laquelle ils sont tissés (à l'intérieur de laquelle les relations entre les mots prennent sens). En effet, il est très rare que les mots d’une phrase puissent être traduits directement d’une langue à l'autre, par correspondance directe, sans biaiser fortement le sens sous-jacent, sens tacite à ce qui était entendu lors de leurs utilisation: chaque mot utilisé apporte et supporte avec lui tout un sens et tout un système d’inférences – différent d’une simple traduction littérale du mot. En fait, il serait peut-être plus adéquat d’utiliser les explications de von Foerster (2003) sur les systèmes, qui affirme que le tout ne représente pas plus ni moins que la somme de ses parties, mais qu'il est tout simplement différent12. Ce qui rend ma problématique personnelle intéressante et en crée toute sa richesse est l’idée que la toile de signification dans laquelle les sens ou les significations sous-jacentes aux mots proviennent est culturellement et historiquement différente en anglais et en français (croyez-en mon expérience personnelle!). Ainsi, puisque les relations entre les mots et leur utilisation en langue anglaise et en langue française sont différentes, et puisque la culture langagière dans laquelle ces mots sont enracinés est différente, des toiles de signification différentes sont présentes; ce sont des toiles de signification tissées et enlacées de façon différente dans des cultures et historicités (sociales, culturelles et langagières) différentes. La langue reflète ainsi les traits propres d’une communauté (Saussure, 1980). Ceci devient évident lorsqu’on s’attarde à analyser deux personnes vivant les mêmes situations, mais provenant de milieux culturels et historiques (sociaux, culturels et langagiers) différents. Bien que les deux personnes puissent vivre la même expérience et que leur compréhension, interprétation et explications de cette dernière soient compatibles et cohérentes entre elles13, leur toile de signification respective sous-jacente, enlacée dans leur interprétation personnelle, donnera une saveur et une couleur uploads/Societe et culture/ en-activism.pdf
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- Publié le Nov 24, 2022
- Catégorie Society and Cultur...
- Langue French
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