Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications http://www.patrick-charaude
Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications http://www.patrick-charaudeau.com/Identites-sociales- identites.html Identités sociales, identités culturelles et compétences in Hommage à Paul Miclau (Références à compléter) Introduction Il est d’autant plus important de réfléchir sur les questions d’identité sociale et culturelle que nos sociétés dites modernes traversent des crises : crise identitaire, crise culturelle, crise générationnelle, crise dans l’enseignement, crise citoyenne, etc. du moins, en est-il question dans les médias, les ouvrages à succès, les conversations amicales. Il faut donc lui consacrer une réflexion de fond à partir des outils d’analyse que nous proposent les sciences humaines et sociales. Évidemment, il existe diverses approches de la question identitaire : la sociologie, l’anthropologie, la psychologie sociale, l’histoire, etc. ont chacune droit au chapitre, chacune la construisant en un objet d’étude qui lui est propre, c’est-à-dire conforme à ses présupposés théoriques et à sa méthodologie. Et dans ce concert des sciences humaines, les sciences du langage. Car le langage est au cœur de la construction aussi bien individuelle que collective du sujet, et ce dans trois domaines d’activité de l’humain : le domaine de la socialisation des individus dans la mesure où c’est à travers le langage que s’instaure la relation de soi à l’autre, c’est lui qui crée le lien social ; le domaine de la pensée dans la mesure où c’est par et à travers les actes de langage que nous conceptualisons, c’est-à-dire que nous arrachons le monde à sa réalité empirique pour le faire signifier ; le domaine des valeurs dans la mesure où les valeurs ont besoin d’être parlées pour exister et que, ce faisant, les actes de langage qui en sont les porteurs sont ce qui donne sens à nos actes. L’activité de langage est donc un gage de liberté de l’individu comme possibilité d’interrogation et d’analyse sur l’autre et sur soi, et comme possibilité de contrôle de nos affects. C’est pourquoi l’enseignement de la langue et des langues est d’un enjeu capital pour la formation des citoyens de demain, mais à la condition de ne pas considérer le langage comme un simple outil efficace d’intercompréhension minimale entre les êtres, comme le font ceux qui voudraient que ne circule de par la monde économique qu’une seule langue. Une langue, et son usage, est un mode de pensée et une façon d’appréhender le monde différente de celle d’autres langues. C’est ce qui fait la richesse de la vie. Tuez les langues, et vous tuez ce qui fait la spécificité de l’espèce humaine. De la compétence langagière Comment donc aborder le langage pour qu’il témoigne de cette richesse ? En considérant d’abord qu’il ne fait pas l’objet d’une seule compétence mais de plusieurs : une compétence situationnelle, une compétence discursive, une compétence sémantique et une compétence linguistique. La compétence situationnelle exige de tout sujet qui communique et interprète qu’il soit apte à construire son discours en fonction : de l’identité des partenaires de l’échange, l’identité de « qui parle, à qui ? » qui permet de comprendre quel est le rapport de force qui s’instaure entre les interlocuteurs : de la finalité de l’échange qui se définit à travers la réponse à la question implicite : « je suis là pour quoi dire ? », question qui oriente le sens de ce qui est dit ; du propos qui fait l’objet de l’échange, c’est-à-dire de la façon dont est structuré le « ce dont on parle » ; enfin, des circonstances matérielles de l’échange qui interviennent également dans la production et l’interprétation de l’échange langagier, soit par la situation locutive (dialogale ou monologale), soit par le support de transmission (radio, presse, télévision). La compétence situationnelle est donc ce qui détermine l’enjeu d’un acte de langage, ce qui est fondamental puisqu’il n’y a pas d’acte de langage sans enjeu. La compétence discursive exige de tout sujet qui communique et interprète qu’il soit apte à manipuler ou à reconnaître les procédés de mise en scène discursive qui feront écho aux contraintes du cadre situationnel. Ceux-ci (qu’il ne faudra pas confondre avec les procédés proprement linguistiques), sont trois modes : le mode énonciatif qui permet d’identifier les interlocuteurs, d’après leur point de vue, leur rôle et la relation qui s’instaure entre eux ; le mode descriptif qui consiste en un savoir nommer et qualifier les êtres dont on parle, qu’il soient humains ou non ; le mode narratif qui consiste en un savoir décrire les actions des individus en relation avec leur désir et leur quête ; le mode argumentatif qui consiste en un savoir organiser les chaînes de causalité explicatives des événements, et les preuves du vrai, du faux. La compétence sémantique repose sur la nécessité pour les interlocuteurs d’avoir certains savoirs en commun pour qu’il puisse s’entendre ? Elle exige donc que soient partagés un minimum de savoirs sur le monde : savoirs de connaissance qui correspondent à des perceptions et des définitions plus ou moins objectives du monde, savoirs de croyance qui correspondent aux systèmes de valeurs, plus ou moins normés, qui circulent dans un groupe social et qui alimentent les jugements de ses membres et témoignent en même temps de son positionnement vis-à-vis des valeurs. La compétence linguistique exige de tout sujet qui communique et interprète qu’il soit apte à manipuler et reconnaître la forme des signes, leurs règles de combinaison et leur sens, sachant que ceux-ci sont employés pour exprimer une intention de communication, en relation avec les données du cadre situationnel et les contraintes de l’organisation discursive. Cette compétence permet de construire le texte, si l’on entend par texte, le résultat d’un acte de langage produit par un sujet donné dans une situation d’échange sociale donnée et ayant une forme particulière. Pour construire un texte, il faut donc une aptitude à ajuster la mise en forme de celui-ci à une intention, via les contraintes précédemment définies. Cette mise en forme se fait à trois niveaux : de la composition textuelle externe (le "paratextuel") et interne (l’organisation des parties), de la construction grammaticale et de l’emploi approprié des mots du lexique Le mécanisme de construction identitaire Cette triple compétence constitue les conditions de la communication langagière. Et comme on trouve la composante identitaire dans chacune d’elle, on va examiner la mécanique psychologique et sociale qui préside à la construction de l’identité. Elle s’appuie sur les trois mêmes principes qui fondent tout acte de langage : un principe d’altérité qui implique le reconnaissance de l’existence d’un autre différents de moi, dont la différence fait prendre consciences de ma propre existence, ce qui définit le Je en fonction du Tu et réciproquement ; un principe d’influence qui meut le sujet vers l’autre, le Je vers le Tu afin que celui-ci entre dans l’univers de discours du Je ; un principe de régulation, car l’autre, le Tu a lui-même un projet d’influence, ce qui oblige Je et Tu à entrer dans un processus d’ajustement de leur projet respectif. La conscience de soi-l’autre Ce n’est qu’en percevant l’autre comme différent que peut naître la conscience identitaire. La perception de la différence de l’autre constitue d’abord la preuve de sa propre identité : « il est différent de moi, donc je suis différent de lui, donc j’existe ». Il faudrait corriger légèrement Descartes et lui faire dire : « Je pense différemment, donc je suis ». Mais Descartes était peut- être trop tourné vers la raison et l’esprit pour voir l’autre. La différence étant perçue, il se déclenche alors chez le sujet un double processus d’attirance et de rejet vis-à-vis de l’autre. D’attirance, d’abord, car il y a une énigme à résoudre. On pourrait l’appeler l’énigme du Persan en pensant à Montesquieu : « Comment peut-on être différent de moi ? » Car découvrir qu’il existe du différent de soi, c’est se découvrir incomplet, imparfait, inachevé. Et qui peut supporter sans émoi cette incomplétude, cette imperfection, cet inachèvement ? D’où cette force souterraine qui nous meut vers la compréhension de l’autre ; non pas au sens moral, de l’acceptation de l’autre, mais au sens étymologique de la saisie de l’autre, de sa maîtrise, qui peut aller jusqu’à son absorption, sa prédation comme on dit en éthologie. Nous ne pouvons échapper à cette fascination de l’autre, à ce désir (« inessentiel » dirait Lacan) d’un autre soi- même. De rejet ensuite, car cette différence représente une menace pour le sujet. Cette différence ferait-elle que l’autre m’est supérieur ? qu’il serait plus parfait ? qu’il aurait davantage de raison d’être que moi ? C’est pourquoi la perception de la différence s’accompagne généralement d’un jugement négatif. Il y va de la survie du sujet. C’est comme s’il n’était pas supportable d’accepter que d’autres valeurs, d’autres normes, d’autres habitudes que les siennes propres soient meilleures, ou, tout simplement, existent. Lorsque ce jugement se durcit et se généralise, il devient ce que l’on appelle traditionnellement un stéréotype, un cliché, un préjugé. Les stéréotypes sont une nécessité, Ils constituent d’abord une protection, une arme de défense contre la menace que représente l’autre dans sa différence, et, de surcroît, ils nous servent à uploads/Societe et culture/ patrick-charaudeau-identites-sociales-identites-culturelles-et-competences.pdf
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- Publié le Sep 01, 2022
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