1 Agriculture et chimie : une longue et tumultueuse histoire C’est au XIXe sièc

1 Agriculture et chimie : une longue et tumultueuse histoire C’est au XIXe siècle qu’est née l’agronomie scientifi que. Elle a conduit à la création et à la généralisation du modèle de l’agriculture dite intensive (Figure 1), telle que nous la connaissons aujourd’hui dans nos pays développés, tout particulièrement en Europe mais aussi dans les pays émergents, notamment les pays asiatiques. Un succès historique qui a permis une croissance fulgurante de la population mondiale et l’éra- dication des famines dans certains pays ; mais succès parfois accompagné d’em- bûches, lesquelles contri- buent en grande partie à la mise en cause actuelle de ce modèle dans les sociétés des pays développés, ce qui peut s’apparenter à une crise de l’agriculture intensive, que nous sommes en train de vivre. Plus que jamais, il existe une attente forte de la part des consommateurs et des pouvoirs publics à l’égard des agronomes, qui ont la lourde responsabilité de répondre aux enjeux du développe- ment durable planétaire, par la conception d’une nouvelle Pierre Stengel La chimie en agriculture : les tensions et les défi s pour l’agronomie Figure 1 L ’agriculture intensive est née au XIXe siècle. La chimie en agriculture : les tensions et les défi s pour l’agronomie 218 La chimie et l’alimentation Figure 2 Les scientifi ques (chimistes et biologistes), des acteurs clés dans l’agronomie moderne. agriculture qui prenne en compte les besoins alimen- taires et les contraintes envi- ronnementales très pressants de ce début du XXIe siècle. C’est une préoccupation au cœur de laquelle se trouve depuis longtemps la chimie, un acteur important de l’agronomie scientifi que (Figure 2). Or, les relations actuelles entre agri- culture, chimie et société sont loin d’être simples. Quels sont les principaux défi s des agronomes et des chimistes face à des attentes fortes, nombreuses et parfois contradictoires ? 2 La chimie agricole et la révolution verte 2.1. L’agronomie scientifi que, fi lle de la chimie 2.1.1. Découverte des fondements de l’alimentation des plantes L ’agronomie est une fi lle de la chimie qui est née au XIXe siècle avec la découverte des fonde- ments de l’alimentation miné- rale des plantes. Avant cette époque, on ne savait pas de quoi elles s’alimentaient, même si l’on savait bien que l’ajout de matières organiques telles que le fumier était favo- rable à leur croissance, mais sans en connaître l’explica- tion. Puis l’on s’est aperçu que les plantes se nourrissent de molécules minérales d’azote, sous forme de nitrate (NO3 −) et d’ammonium (NH4 +), de phosphore et de divers autres éléments (Figure 3). Dès lors que l’on a compris cela, on a recherché ces éléments dans le sol, on a voulu comprendre sous quelles formes ils s’y trouvaient, quelles dispo- nibilités pour la plante ils pouvaient avoir, et quels fl ux cela pouvait induire du sol vers la plante. 2.1.2. Maîtriser la fertilité et optimiser les plantes Cette nouvelle connaissance des plantes a ouvert la voie au développement de la chimie du sol et a conduit aux prin- cipes de la maîtrise de la fertilité qui ont été acquis au début du XXe siècle, dès lors que l’industrie chimique a été capable de produire des engrais (Figure 4) en quan- tité abondante et à des prix accessibles, pour améliorer la qualité nutritive de surfaces de terres de plus en plus grandes. Il s’est instauré une collaboration très étroite entre les chimistes – qui ont notamment mis au point la synthèse de l’ammoniac1 – et les agronomes – qui ont appris à utiliser ces éléments fertilisants, distribués aux plantes de plus en plus préci- sément en fonction de leurs besoins. Les aboutissements techniques les plus élaborés en sont l’irrigation localisée fertilisante ou la culture sur solution pratiquée en serre. De leur côté, et c’est l’une de leurs contributions majeures, les agronomes ont apporté une amélioration génétique des plantes, qui résistent mieux aux agresseurs et 1. Traditionnellement, l’ammoniac NH3 était obtenu par distillation du purin (déchet issu de l’élevage d’animaux domestiques et pouvant être utilisé comme fertilisant azoté) et du fumier. Sa production industrielle s’effectue essentiellement par synthèse directe à partir d’hydrogène et d’azote (procédé Haber-Bosch). Figure 3 Les plantes ont besoin d’eau, d’éléments nutritifs, de dioxyde de carbone (CO2) apporté par l’air et d’énergie solaire nécessaire à la synthèse chlorophyllienne. Quand on a découvert qu’elles se nourrissent de nitrates, ammonium, phosphate, potassium, oligo-éléments… on s’est mis à développer l’agronomie scientifi que. 219 La chimie en agriculture : les tensions et les défi s pour l’agronomie aux conditions climatiques des lieux où on les cultive (Figure 5). 2.1.3. Lutter contre les bioagresseurs L ’autre contribution majeure de la chimie, apparue durant la deuxième moitié du XXe siècle avec l’essor de la chimie de synthèse, est la lutte contre les bioagresseurs des plantes. Il s’agit de l’ensemble des organismes ravageurs (insectes), pathogènes (cham- pignons), ou des concurrents des plantes, c’est-à-dire les mauvaises herbes2. Une série de molécules phytosa- nitaires – herbicides, fongi- cides, insecticides – de plus en plus performantes et effi - caces sont progressivement distribuées sur le marché depuis la fi n de la Seconde Guerre mondiale, permet- tant aux agriculteurs d’être dotés de moyens puissants de lutte contre les épidémies qui menacent leurs cultures. 2. En botanique, les mauvaises herbes sont désignées par le terme adventices. 2.2. Vers l’agriculture intensive 2.2.1. Optimiser les surfaces agricoles Grâce à l’apport des engrais et des produits phytosanitaires industriels, les agriculteurs des pays développés ont pu maîtriser progressivement les contraintes liées au sol (contraintes « édaphiques »), ainsi que les contraintes liées aux bioagresseurs (contraintes « biotiques »). D’un point de vue pratique, il a dès lors été possible de Figure 4 Fumier et cendres ont été remplacés par les engrais industriels pour fertiliser les sols. À grande échelle, ils sont épandus par irrigation ou par avion. Figure 5 Les plantes sélectionnées sont plus résistantes et valorisent au mieux les potentialités climatiques des milieux. 220 La chimie et l’alimentation s’affranchir peu à peu des rotations, à savoir l’alternance de cultures différentes, prati- quée autrefois pour nettoyer le sol des mauvaises herbes (labours), empêcher le déve- loppement des pathogènes et ravageurs des plantes tels que les vers nématodes, ou encore maintenir la fertilité du sol en reconstituant ses réserves minérales. On a eu effectivement recourt à la fi xation symbiotique des légu- mineuses telles que les hari- cots, fèves, luzernes, trèfl es ou pois. Cela consistait à laisser des micro-organismes symbiotiques du genre Rhizo- bium se fi xer sur les racines de ces plantes hôtes, pour produire à partir de l’azote atmosphérique des molécules azotées qui alimentent les plants (en échange de quoi les légumineuses leur apportent des sucres issus de la photo- synthèse (Voir la Figure 15). Tout ceci a progressivement laissé place à des spécia- lisations de l’agriculture. Cette spécialisation s’étend au niveau régional : la France possède des régions de culture très majoritairement dominées par les « grandes cultures » : céréales, colza, maïs (Figure 6). Elle affecte la plupart des exploitations, dont le nombre d’espèces cultivées n’a cessé de se réduire. Cette spécialisation permet des économies d’échelle en équi- pement et en technicité. Une autre conséquence notable de ce changement de pratique agricole est un découplage entre la production végétale et l’élevage (Figure 7). Figure 6 Champ de blé, champ de colza… la spécialisation des cultures est une caractéristique de l’agriculture intensive. Figure 7 L’élevage est aussi concerné par l’intensifi cation de l’agriculture. 221 La chimie en agriculture : les tensions et les défi s pour l’agronomie RETOUR SUR 50 ANS D’AGRICULTURE INTENSIVE EN FRANCE L ’apport des engrais Autrefois, le sol était fertilisé de façon empirique, par ajout de fumier (en général des excré- ments d’animaux mélangés à de la paille) qui apporte de l’azote, par ajout d’os pour le phos- phate, ou encore de cendres pour le potassium. L ’avènement de l’industrie chimique, charbonnière et pétrolière au XXe siècle a permis d’ac- céder à de grandes quantités de formes chimiques purifi ées d’engrais, qui ont été largement utilisées en France notamment. Leur composition de base est généralement constituée du trio « NPK », pour azote/phosphate/potassium, l’azote étant l’élément le plus important. Quel est le bilan de l’apport des engrais azotés dans les grandes cultures en France, notam- ment pour les céréales et le colza ? La Figure 8 donne une image de la relation possible entre la consommation d’engrais azoté en France et la productivité des cultures de céréales et de colza, depuis 1960. Un parallélisme y apparaît de manière fl agrante. On note cependant un certain détachement à partir des années 1990, qui pourrait être rapproché de la baisse du soutien européen au prix des denrées agricoles. Cela implique, de façon économiquement justifi ée, un moindre recourt aux engrais. On observe que cela n’affecte pas pour autant les rendements, ce qui montre qu’il peut y avoir eu parfois des consommations inutiles d’engrais, éventuellement mal pondérées en fonction des rendements que l’on peut espérer obtenir. Indice base 100 en 1980 160 120 100 80 60 40 20 0 uploads/Societe et culture/ chimie-alimentation-217.pdf

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