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Spectacle « Incultures » Franck Lepage Bruxelles Octobre 2006 Page 1 sur 63 Franck lepage « Inculture(s) » - 1 – « L’éducation populaire, monsieur, ils n’en ont pas voulu » ou une autre histoire de la culture Représentation Du 25 octobre 2006 A Bruxelles A l’occasion du 60ème anniversaire des CEMEA Sur scène, une table bistrot et une chaise. Sur la table un nez de clown, un verre d’eau, un téléphone portable, et deux jeux de fiches bristol dont on découvrira l’usage plus tard dans le spectacle. L’un des jeux est constitué de cinq fiches, et sur chacune est écrite l’un des mots suivants : Aliénation, Domination, exploitation, révolution, lutte des classes. L’autre jeu est constitué d’environ seize fiches : partenariat, projet, Lien social, Habitants, Acteurs, Développement, Mondialisation, Local, Citoyenneté, Interculturel, Démocratie, Diagnostic partagé, Contrat, Evaluation… (Le personnage entre en scène. Il est vêtu en jardinier du dimanche : chemise hawaïenne à manches courtes, Short-bermuda, bottes en caoutchouc, chapeau de paille. Il tient un poireau dans une main et un arrosoir dans l’autre. Introduction : Sur la culture Mesdames, Messieurs, bonsoir… ceci est un poireau. Alors, se pose tout de suite une question : est-ce un objet de culture ? (en montrant le poireau) vous allez me répondre : « Oui-oui : de culture des poireaux ! » Ce n’est pas la question que je vous pose, comprenez bien… ! Spectacle « Incultures » Franck Lepage Bruxelles Octobre 2006 Page 2 sur 63 Chez moi, en France, si vous demandez à quelqu’un si ceci est un objet de culture, il vous répond tout de suite : « Ah non-non, pas du tout, cela n’a rien à voir ! » Parce que nous avons quelque chose qui s’appelle « La Culture ». Ca date d’après la deuxième guerre mondiale. Et la France a été le premier pays à oser importer dans une démocratie le concept de ministère de la culture, inventé par des pays assez peu sympathiques. Depuis on dit « La » cul-tu-re. Au singulier. Je sais que cela va vous paraître idiot, mais on a ça… LA CUL-ture ! ou si vous préférez La culture avec un grand CUL ! Vous voyez ? Chez moi tout le monde comprend que cela n’a rien à voir avec les poireaux ! Vous rencontrez un gars dans la rue : - « Tiens, bonjour, qu’est-ce que tu fais ? » - « Je suis dans La Culture. » - Alors, le type vous regarde de haut en bas et il constate : « Ah Oui-oui, en effet… ». Aujourd’hui, j’habite en Bretagne et je suis dans la culture des poireaux, avant, j’habitais Paris et j’étais dans la culture tout court. La culture avec un grand Cul. J’habitais Paris… Pour être précis, je cultivais des pauvres. Essentiellement. J’étais dans la culture des pauvres, et maintenant dans celle des poireaux et je connais beaucoup plus de succès dans la culture des poireaux que dans celle des pauvres ! j’ai considéré qu’il y avait assez de pauvres comme cela et que ça n’était plus la peine de les cultiver. J’avais compris que la culture, ça sert à reproduire les pauvres, pas à les supprimer. On dit aussi que la culture ça sert à reproduire les rapports sociaux. Moi j’en eu ai marre de les reproduire. Il m’est arrivé cette chose terrible : J’ai arrêté de croire à la Culture. Alors j’ai quitté Paris. Quand vous êtes dans la Culture, vous habitez Paris. C’est là que sont tous les cultivateurs chez nous Je ne souhaite ça à personne… Vraiment. C’est une expérience terrible. A 7 ans, j’avais déjà perdu le Père Noël. A 18 ans, j’avais arrêté de croire en Dieu. Déjà, vous devenez beaucoup plus seul, mais alors à 47 ans, j’ai arrêté de croire à la culture ! Je suis devenu « athée culturel », je ne sais pas trop comment dire… J’avais fini par me dire que c’était une religion…la religion de la gauche, en somme. Vous vous retrouvez très seul. Spectacle « Incultures » Franck Lepage Bruxelles Octobre 2006 Page 3 sur 63 Vous perdez d’abord tous vos amis de la gauche bien pensante, Vous me direz qu’il reste la gauche pensante… mais c’est beaucoup plus à gauche ! Tôt ou tard vous perdez tous vos amis socialistes, ensuite vos amis communistes refusent de vous serrer la main… Puis, les trotskistes changent de trottoir et il vous reste assez peu de monde. Il vous reste les poireaux ! C’est ce qu’il m’est arrivé. Et c’est l’histoire que je vais vous raconter. Quand je dis « J’ai arrêté de croire à la culture », entendons-nous bien, c’est idiot comme phrase ! Non, j’ai arrêté de croire, pour être très précis, en cette chose qu’on appelle chez nous « la démocratisation culturelle ». C’est l’idée qu’en balançant du fumier culturel sur la tête des pauvres, ça va les faire pousser, vous voyez ? Qu’ils vont donc rattraper les riches ! Voilà, c’est à ça que j’ai arrêté de croire. Je faisais ça dans les banlieues, c’est là qu’ils sont souvent, les pauvres... Et donc, je leur balançais des charrettes d’engrais culturel. Essentiellement sous forme d’art contemporain. Et de « création ». Il y a beaucoup de fumier dans l’art contemporain. De la danse contemporaine, du théâtre contemporain, de la musique contemporaine. Alors, l’idée, c’est que les pauvres allaient pousser… et rattraper les riches. C’est l’idée de « l’ascension sociale » par la culture C’est à cela que j’ai arrêté de croire. Cela m’est arrivé en parapente. Je ne sais pas si vous avez déjà fait du parapente ? L’idée du parapente, pour ceux qui ne connaissent, ce n’est pas de descendre, c’est de monter. Quand vous descendez en parapente, vous faites « AAAAAH ! Pouf. » Alors, c’est pénible, faut remonter à pied… ou trouver un riche avec un 4*4. Pour monter, on essaye d’attraper ce qu’on appelle « des bulles thermiques ». J’explique rapidement : ce sont d’énormes bulles d’air chaud qui montent. Voilà. Le soleil chauffe un champ de blé et à côté, il y a un champ d’herbe et à cause de la photosynthèse l’herbe absorbe le rayonnement solaire, et l’air reste froid. L’air chaud et l’air froid ne se mélangent pas sans quoi il n’y aurait pas d’orages, mais de l’air tiède ! et au bout d’un moment, l’air froid finit par rentrer sous l’air chaud. Et décroche une espèce de gigantesque masque visqueuse d’air chaud. Pof ! Ca se met à monter à 7-8 mètres/seconde. Spectacle « Incultures » Franck Lepage Bruxelles Octobre 2006 Page 4 sur 63 Vous pouvez les repérer ces bulles d’air chaud, parce que quand elles arrivent au plafond, à 2 milles mètres environ, elles forment un mouton. Quand vous voyez dans le ciel un mouton, en fait, c’est la fin d’une bulle… On les repère avec les oiseaux, aussi. Si vous voyez des oiseaux qui sont en train de planer, de tourner sans rien faire, c’est qu’en fait ils sont en train de monter dans une bulle ! Alors là, vous foncez les rejoindre ! Si vous voyez des oiseaux en train de battre des ailes comme des fous, vous les laissez tomber ceux-là : ils sont en train de chercher une bulle ! Et donc, j’étais rentré un jour dans une bulle thermique par le bas de la bulle, vous voyez ? (il présente son avant-bras et sa main gauche, parallèle au sol) Et il y avait un autre parapentiste qui était rentré par le haut de la bulle. (il présente son avant-bras et sa main droite, parallèle à la main gauche, mais plus haut) Bon, vous imaginez : moi, je suis le pauvre et lui, c’est le riche… Et vous imaginez que l’air chaud, c’est la culture, donc l’ascenseur social. Regardez bien… (ses deux mains montent en parallèle, sans se rejoindre) Hé oui : le riche se cultive aussi. L’idée était pas bête, au début : « On va cultiver les pauvres ! » Oui, mais les riches, ils n’attendent pas pendant ce temps-là, si vous voyez ce que je veux dire ? Vous imaginez des riches : « Fichtre, des jeunes pauvres se cultivent dans nos banlieues ! Attendons-les. N’allons plus faire d’études, n’achetons plus aucun livre, jetons nos ordinateurs ! Comme ça, ils vont nous rattraper (la théorie du rattrapage) et alors, quand ils nous auront rattrapés, ça sera une société égalitaire : on partagera l’argent, les postes à responsabilités, tout ça… ! » Oui, alors, j’ai arrêté de croire que ça marchait comme ça. Donc, j’ai quitté Paris. Je n’avais plus rien à y faire. Et je suis allé m’installer en Bretagne, où je me suis mis à élever des petites choses comme ce poireau. Quand j’essayais de cultiver des pauvres, je me tapais bide sur bide, depuis, je ne connais que des succès ! Je trouve cela beaucoup plus gratifiant ! Alors, on va parler un peu de cela. Détendez vous, cela n’a pas commencé. Quand le uploads/Societe et culture/ conference-gesticulee-incultures.pdf

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