DROIT COMMUN DES SOCIETES (Professeur Laurent GODON) Fascicule 5 Les parties au

DROIT COMMUN DES SOCIETES (Professeur Laurent GODON) Fascicule 5 Les parties au contrat de société : les associés Condition juridique 2 Points sensibles - Les obligations de l'associé : - obligation d'apport en société, - contribution aux pertes sociales (C. civ., art. 1832), - obligation de bonne foi (dont on peut trouver trace dans les notions d'affectio societatis, notion d'entreprise "commune" de l'article 1832 et notion d'intérêt "commun" de l'article 1833 Civ., et même en droit commun des contrats avec l'article 1104 Civ.) - L'associé est-il tenu de plein droit d'une obligation de non-concurrence ? - L'associé est-il tenu de s'intéresser au fonctionnement de la société ? - L'interdiction de l'augmentation des engagements d'un associé (Civ., art. 1836, al. 2) : Notion + sanction - L'exclusion de l'associé Documents Document 1 : La délicate question de l'obligation de non-concurrence de l'associé et du dirigeant social Document 2 : L'associé qui se désintéresse des affaires de la société peut-il en être exclu ? Document 3 : L'augmentation des engagements d'un associé Document 1 L'associé et le dirigeant social sont-ils soumis, envers la société, à une obligation de non-concurrence de plein droit ? Sauf stipulation contraire, l'associé d'une SARL n'est, en cette qualité, tenu ni de s'abstenir d'exercer une activité concurrente de celle de la société ni d'informer celle-ci d'une telle activité et doit seulement s'abstenir d'actes de concurrence déloyaux. A l'inverse, le gérant, en vertu de l'obligation de loyauté et de fidélité pesant sur lui en raison de sa qualité de gérant, doit s'abstenir d'actes de concurrence envers la société. Note sous Cour de cassation (com.) 15 novembre 2011, n° 10-15.049 (P-B) par Laurent Godon, Professeur à l'Université de Rennes 1 1. Enfin. Enfin la Cour de cassation vient de clarifier la question fondamentale de l'obligation de non-concurrence de l'associé dont on sait que l'existence même est discutée en l'absence de disposition légale de portée générale1. L'arrêt reproduit ci- dessus vient pour la première fois consacrer avec l'autorité nécessaire le principe selon lequel : "sauf stipulation contraire, l'associé d'une SARL n'est, en cette qualité, tenu ni de s'abstenir d'exercer une activité concurrente de celle de la société ni d'informer celle-ci d'une telle activité et doit seulement s'abstenir d'actes de concurrence déloyaux". Une telle solution n'allait pas de soi au vu des principes généraux qui régissent le contrat de société, contrat dont il faut souligner le caractère singulier2 du fait que les intérêts des contractants, au lieu d'être opposés comme généralement, convergent au contraire en vue de la réalisation d'une "entreprise commune" (art. 1832 du Code civil) dont on aurait pu croire qu'elle impose alors à ceux qui en sont membres de s'abstenir de tout acte de concurrence susceptible de nuire à son développement. Pas même les notions d'affectio societatis ou d'intérêt commun des associés (C. civ., art. 1833), ni la bonne foi contractuelle en général (C. civ., art. 1134), ne semblent davantage aptes à fonder le principe d'une obligation de non- concurrence qui s'imposerait de plein droit à la charge de tout associé. L'absence de toute considération pour ces notions essentielles révèle donc que, pour la Cour de cassation, le contrat de société en général n'implique aucune abstention de 1 A. Brès : L'obligation de non-concurrence de plein droit de l'associé, RTDCom. 2011, p. 463. 2 H. Capitant: De la cause des obligations, Dalloz, 3e éd., 1927, n° 19, classant le contrat de société parmi les « contrats synallagmatiques dans lesquels les contractants poursuivent tous une même fin commune » ; R. Libchaber : La société, contrat spécial, Dialogues avec M. Jeantin, Dalloz Sirey, 1999, p. 281. concurrence de la part des associés signataires. Il est manifestement possible de justifier cette prise de position par la force du principe de la liberté d'entreprendre, à valeur constitutionnelle3. 2. De manière très instructive, la Chambre commerciale était également conduite à se prononcer par ce même arrêt sur la situation propre du gérant pour affirmer, de façon diamétralement opposée, que celui-ci, à raison de sa seule qualité, est quant à lui de plein droit tenu d'une obligation de loyauté et de fidélité qui lui interdit de commettre des actes de concurrence envers la société qu'il dirige. En somme, les qualités respectives d'associé et de dirigeant fondent un régime opposé quant à l'obligation de non-concurrence. 3. Cette double clarification était attendue depuis longtemps et c'est fort opportunément au détour d'une unique décision que celle-ci intervient. En l'espèce, deux associés d'une SARL spécialisée dans le secteur du bâtiment et chargée de la réalisation d'un programme immobilier au profit de la gendarmerie nationale reprochaient au gérant de la société et à un autre associé (non gérant) d'avoir "détourné à leur seul profit les bénéfices" d'une première tranche de travaux et d'avoir fait réaliser la seconde tranche par une société tierce, dans laquelle se retrouvaient le gérant et l'associé. Ces derniers furent alors assignés devant la cour d'appel de Bordeaux en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et comportement déloyal, notamment du fait du silence gardé sur ces activités concurrentes. Les magistrats bordelais rejetèrent les demandes dirigées contre l'un et l'autre des auteurs de ces actes litigieux. La décision est partiellement cassée par la Cour de cassation qui, après avoir rejeté le pourvoi dirigé contre l'associé au motif que, "sauf stipulation contraire, l'associé d'une SARL n'est, en cette qualité, tenu ni de s'abstenir d'exercer une activité concurrente de celle de la société ni d'informer celle-ci d'une telle activité", reproche néanmoins aux juges du fond d'avoir retenu des motifs "impropres à exclure tout manquement [du gérant] à l'obligation de loyauté et de fidélité pesant sur lui en raison de sa qualité de gérant de la société Clos du Baty, lui interdisant de négocie, en qualité de gérant d'une autre société, un marché dans le même domaine d'activité". 4. S'il faut certainement se réjouir de la mise au point apportée par l'arrêt sous examen, ce dernier apparaît néanmoins par trop catégorique. Sans doute emportée par un élan de clarification, la Cour de cassation a rendu une décision dont le caractère quelque peu péremptoire appelle en réalité certaines nuances, tantôt dictées par la forme de la société en cause, tantôt par la situation personnelle de l'associé ou du dirigeant concerné. En conséquence, si le présent arrêt a incontestablement le mérite d'établir des solutions de principe (I), celles-ci ne semblent toutefois pouvoir être admises en toute circonstance, en sorte que des distinctions sont nécessaires, dont on peut regretter qu'elles ne soient ici nullement évoquées mais qu'il nous appartient de mentionner (II). 3 Cons. constit. 16 janv. 1982 : Décision n° 81-132 DC I. Des solutions de principe 5. La mise en perspective de la situation propre de l'associé et du gérant confère à l'arrêt rapporté des vertus pédagogiques évidentes qui permettent de faire apparaître un élément de différenciation fondamentale de la condition juridique de ces personnes. Aux termes de la présente décision, il peut être désormais tenu pour acquis que seul le gérant et, par extension, tout dirigeant social est soumis à une obligation de loyauté de plein droit, dictée par la nature même des fonctions de direction d'une société, et qui lui interdit d'accomplir des actes de concurrence envers la société dirigée, à l'inverse de l'associé dont la qualité ne suffit pas, en soi, à fonder une telle obligation attentatoire à la liberté du commerce et de l'industrie. A. L'absence d'obligation de non-concurrence inhérente à la qualité d'associé 6. A n'en point douter, le principal apport de l'arrêt du 15 novembre 2011 résulte de l'affirmation de principe selon laquelle, sauf stipulation contraire, l'associé de SARL n'est nullement tenu de s'abstenir d'exercer une activité concurrente de celle de la société, ni même d'informer celle-ci d'une telle activité. Autrement dit, l'intéressé n'est pas, de plein droit, assujetti à une obligation de non-concurrence qui serait inhérente à sa qualité d'associé. Manifestement, la Cour de cassation a entendu consacrer un principe ferme et apporter une clarification définitive sur une question fondamentale du statut d'associé, jusqu'à présent demeurée étonnamment obscure. 7. Certes, la question de l'obligation de non-concurrence de l'associé n'est pas totalement absente de la jurisprudence de la Cour de cassation. Par un arrêt en date du 11 février 1964, la Chambre commerciale avait déjà eu l'occasion de faire savoir qu'un associé "simple porteur de parts dans une SARL, n'exerçant aucune fonction de gérance ni d'emploi salarié dans la société est libre, à défaut d'interdiction statutaire ou d'engagement particulier souscrit par lui, de s'intéresser à une autre entreprise ayant un objet analogue et susceptible d'entrer en concurrence avec la première société"4. Toutefois, la clarté de cette décision s'était trouvée remise en cause par un arrêt rendu le 6 mai 1991 ayant rejeté le pourvoi d'une société qui soutenait que la seule qualité d'associé fondait une obligation de s'abstenir de tout acte de concurrence envers elle ; la censure avait été cependant prononcée pour violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile au motif que les juges du fond avaient omis de répondre aux conclusions de la société. Avec l'arrêt du 15 novembre 2011, uploads/Societe et culture/ droit-soci-t-s-1-td-n-5-uvsq-2021.pdf

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