Les chances de réussite dans la société contemporaine Nicolas Péhau – ISP © 201

Les chances de réussite dans la société contemporaine Nicolas Péhau – ISP © 2010 I – Observations sur le sujet Le sujet s’inscrit bien dans la réforme du programme dont c’était la première mise en application cette année : « Une composition portant sur une question posée aujourd’hui à la société française dans ses dimensions judiciaires, juridiques, sociales, politiques, historiques, économiques, philosophiques et culturelles ». A première vue, plusieurs exemples ou références semblent faciles à mobiliser sur un tel sujet que l’on pourrait qualifier à la fois d’actuel (la réforme du revenu de solidarité (RSA)/revenu minimum d’insertion (RMI) ou bien l’aide sociale aux victimes de la crise qui succède au thème du partage de la croissance par exemple) et classique (la justice sociale). Pour autant, comme pour tout sujet, il est nécessaire de prendre le temps d’analyser chaque terme du sujet. En l’espèce, le jury ne vous demande pas d’aborder la réussite en tant que telle. De même, il ne faut pas se limiter aux aspects sociaux renvoyant à des problématiques souvent abordées dans les ouvrages ou en cours sur la sélection scolaire, la réussite sociale, etc. Ces derniers points étaient naturellement essentiels mais il est important également de se démarquer des autres candidats. Par conséquent, maîtriser la technique de la dissertation ne signifie pas de se limiter à un plan en deux parties reposant sur des considérations communément partagées sur les enjeux sociaux du sujet. Il est important ensuite de définir une problématique originale. Le risque est en effet de se limiter à une description des conditions de réussite dans la société française en s’attachant aux éventuels points de blocages et en recherchant les solutions en cours d’expérimentation par exemple. Le risque était de se limiter à la théorie de la justice sociale et aux politiques de discrimination positive. Il faut se poser d’autres questions, au-delà de ce premier constat, notamment sur la perception même de la notion (la valeur ?) de réussite voire l’idée d’un « droit à la réussite ». Il est donc nécessaire de rechercher dans un premier temps les mots clés autour des termes du sujet de la réussite : éducation, intégration, insertion, pauvreté, performance, solidarité, état-providence, excellence, la mobilité sociale, l’échec… La société contemporaine renvoie pour sa part à certaines de ses caractéristiques utiles pour traiter le sujet : la médiatisation, la consommation, la crise de l’Etat-providence,… La chance peut être l’occasion d’évoquer le concept de fortune, la part du hasard, etc. II – Proposition de corrigé Introduction Bien que le droit au logement soit inscrit dans la loi depuis plus de vingt ans, environ trois millions de personnes souffrent actuellement de "mal logement", voire d’absence de logement. C’est pour tenter de remédier à cette situation que la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable fixe à l’Etat une obligation de résultats et non plus seulement de moyens. Habiter dans un quartier constitue une première étape décisive dans la réussite sociale comme ont pu le montrer les travaux de l’Ecole de Chicago et la paupérisation de masse a pris une ampleur croissante avec la société urbaine, devenant ce phénomène majeur décrit par Karl Polanyi dans La Grande Transformation. Le droit au logement relève donc d’une vision d’une société soucieuse notamment de mobilité sociale. La société juste, récompensant chacun à hauteur de ses mérites ou la société où tout vous réussit, a au demeurant régulièrement ponctué l’histoire des sociétés humaines. De la cité juste de Platon à la Cité de Dieu de Saint-Augustin, de l’Utopia de Thomas More au phalanstère de Charles Fourier, la société idéale a constitué un objectif tournant parfois au cauchemar. La société contemporaine, entendue comme la société du XXIe siècle, ayant bénéficié du libéralisme économique et politique et désormais confronté à la post-modernité, s’est orientée sur un modèle qui laisse la place à la réussite individuelle en veillant parfois à en corriger les effets pervers ou induits. Dans le prolongement de la théorie de la justice formulée par John Rawls, il convient de rappeler que celle-ci repose sur le principe du « voile d’ignorance ». Il s’agit d’une situation fictive, hypothétique, appelée « position originelle » par laquelle les individus sont identifiés à des joueurs sachant que les membres de la société sont inégalement doués, qu’ils jouent des rôles et acceptent des rangs sociaux différents. Mais ils ne savent pas où ils se situent. L’idée de jeu, de hasard et donc de chance est liée à la réussite qui désigne par ailleurs un type de jeu de cartes. Cette remise en cause amène la société contemporaine à s’interroger sur les chances de réussite en faisant d’ailleurs de ce sujet un enjeu politique qui relève de l’ordre du discours politique (« la nouvelle société » il y a exactement quarante ans) comme des politiques publiques (l’Etat-providence). Mais au-delà du débat récurrent des chances données à l’individu, ne faut-il pas non plus s’interroger sur l’idée même de réussite sinon de chance dans cette société moderne ? Cette approche est en effet nécessaire si on veut surmonter sinon le paradoxe de la société contemporaine (I) au moins la crise qui touche aujourd’hui la société contemporaine (II). I - Les chances de réussite : le paradoxe de la société contemporaine La société contemporaine est traversée par deux mouvements contradictoires. D’un côté, elle vante le modèle d’une réussite offerte à chaque individu. De l’autre, elle est soucieuse de ne pas laisser de côté ceux qui ne saisissent pas leurs chances ou plus exactement n’en ont pas. A - Donner sa chance à chacun L’attachement aux valeurs individuelles conditionne en partie les chances de réussite. La société contemporaine repose fondamentalement sur la place de l’individu. L’épanouissement de ce dernier dépend en partie des possibilités qui lui sont laissées d’exprimer ses talents. La société s’est extirpée notamment de la communauté en raison du développement de nouvelles valeurs analysées par les sociologues Henry Maine (le statut s’efface au profit du contrat) et Ferdinand Tonnies (la communauté traditionnelle verticale décline au profit d’une société moderne horizontale). L’individualisme signifie pour ses zélateurs comme ses détracteurs le sentiment dominant par lequel l’individu doit primer. L’intérêt de l’individu moderne l’emporte sur des considérations parfois collectives. A l’instar de la société démocratique américaine analysée par Alexis de Tocqueville, l’individu est appelé à réussir par lui-même. Il ne doit pas attendre une aide alors qu’à l’image de la conquête de nouveaux espaces il est appelé à agir seul et concurremment avec d’autres individus. La responsabilité individuelle constitue ainsi le principe régulateur. Tocqueville contestera lors des débats de 1848 à l’Assemblée l’idée d’un « droit au travail ». Cette société hérite plus généralement de valeurs issues tant du libéralisme que de l’utilitarisme. La société contemporaine est attachée à la défense des libertés politiques et économiques. Le « laissez faire, laissez passer » de Guizot invitant les uns et les autres à s’enrichir (Le Moment Guizot de Pierre Rosanvallon) doit être vu sous l’angle de la Révolution industrielle qui secoue une société dont les repères ont été quelque peu perturbés par la Révolution de 1789 puis les épisodes révolutionnaires successifs de 1830 et 1848. La conquête des libertés politiques aboutit à l’idée selon laquelle il appartient aux individus de se créer un destin. C’est au demeurant un siècle marqué par de nouvelles conquêtes techniques, scientifiques et territoriales. L’individu est appelé à prendre des risques pour réussir. La réussite s’entend ainsi dans tous les sens possibles. A la réussite poétique d’un Rimbaud solitaire, répond celle de l’aventurier symbolisé par les personnages réels ou fictifs de Henry de Monfreid ou de Joseph Conrad. Toutefois, cette société contemporaine hérite également de l’utilitarisme. Au XVIIIe siècle, Mandeville décrit, avec sa fable des abeilles, la société riche des vertus publiques issues des vices privés. L’individu fait son affaire qui par la combinaison de la main invisible d’Adam Smith produit spontanément une société plus riche et optimale. Cet optimum sera précisé en termes économiques au XIXe siècle avec les travaux de Pareto notamment. La société contemporaine parce qu’elle laisse sa chance aux individus ne peut que parvenir au « mieux être ». Le rôle de la société est donc de s’assurer que les individus ont tous toutes les chances de réussir. Ce sont ensuite leurs intérêts personnels qui régulent les relations sociales. En raison de certains méfaits, cette société contemporaine a toutefois recherché l’encadrement de ce modèle si vertueux. B - Donner sa chance à tous Donner sa chance à tous repose en France notamment sur l’éducation nationale et les politiques sociales qui constituent deux piliers de la « communauté des citoyens » (Dominique Schnapper). La société contemporaine, traversée selon les pays et les périodes par des idéologies successives, a toutefois perçu l’importance du champ éducatif. L’Etat moderne a notamment pour attribution naturelle (« il n’y a de richesses que d’hommes disait Jean Bodin ») l’éducation des citoyens afin de s’assurer que le contrat social est commun à tous. Cette prise de conscience, symbolisée par Condorcet, confie à l’Etat un rôle majeur. Il lui appartient de définir les chances uploads/Societe et culture/ enm-annales-cg-2009.pdf

  • 39
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager