La République enlisée Pierre-André Taguieff Mots clés - communautarisme/multicu

La République enlisée Pierre-André Taguieff Mots clés - communautarisme/multiculturalisme - intolérance - démocratie - pluralisme - laïcité - citoyenneté Pierre-André Taguieff, philosophe, historien, politologue, est directeur de recherche au CNRS et enseigne à l’IEP de Paris. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels « La Nouvelle Judéophobie » (2002) et « Le Sens du progrès » (2004). THESE DE L’OUVRAGE Notre société contemporaine est confrontée au risque d’un retour du communautarisme, dont l’intolérance serait le produit de la tolérance qui caractérise les sociétés démocratiques. En effet, le communautarisme, ou multiculturalisme, se sert du pluralisme, dont il est la contrefaçon, et conduit à la démesure en imposant une tolérance tyrannique. Son aboutissement transformerait l’espace public, devenu ethnicisé, en champ d’affrontements entre communautés et conduirait à la destruction du pluralisme. Il convient donc de repenser la tolérance dans le cadre de la démocratie moderne et faire prévaloir la liberté de choix de l’individu sur les réductions communautaristes, dans la mesure où cet individualisme libéral s’inscrit dans le cadre des valeurs citoyennes. LA METHODE Pierre-André Taguieff s’est efforcé à travers son ouvrage d’expliciter ou de refonder de manière théorique différents concepts tels que le communautarisme ou le pluralisme. Il s’appuie pour cela sur un nombre important d’ouvrages de différents auteurs. Son analyse se développe également à partir d’un certain nombre de constats et de comparaisons sur l’évolution des sociétés en Europe ou en Amérique du nord. A partir de ces éléments, il tente d’apporter une réponse à la façon de concilier société et communauté. LE RESULTAT La multiplication dans le monde des conflits identitaires et/ou communautaires traduisent toute l’actualité de la question du communautarisme. Le communautarisme constitue un ethnocentrisme, un repli sur soi. Il soumet les individus appartenant à la communauté aux normes du groupe. Les revendications qu’il génère sont dangereuses pour l’unité nationale dans la mesure où il provoque des compétitions entre les communautés pour avoir toujours plus de reconnaissance et de droits spécifiques. Loin de s’opposer frontalement à la tolérance, il l’utilise cyniquement à son profit. Ainsi, les sociétés garantissant les libertés individuelles sont menacées par leur propre tolérance, qui les pousse à accepter les différences de chacun. Le communautarisme est une menace pour l’égalité des citoyens, puisqu’ils ne seraient plus reconnus qu’à travers leur communauté spécifique. Il remet également en cause le principe de laïcité en faisant entrer les croyances dans la sphère publique. Face au communautarisme, il est impératif de défendre la capacité de l’individu à faire des choix de manière éclairée et à condamner son enfermement dans une identité supposée, sans que cela ne jette le discrédit sur l’idée même de communauté. Le respect du pluralisme ne se confond pas avec une tolérance aveugle, il doit permettre de poser des limites pour ne pas sombrer dans le relativisme culturel total. Le pluralisme doit être pensé de manière à éviter les conflits entre communautés et dans le respect des principes républicains. I) Le pluralisme A) Pluralisme, modernité et principe de séparation Le pluralisme implique qu’il n’y ait pas de principe unique et unitaire, qu’il n’y ait pas de valeurs suprêmes par rapport à d’autres. Il renvoie à une vision concrète des choses. Il est centré sur la défense des libertés individuelles et s’oppose à une conception holiste de l’ordre social. Dans une vision anthropologique, le pluralisme postule qu’il existe plusieurs manières d’être humain. Dans la mesure où l’homme est imparfait, il est normal qu’il existe des opinions différentes. Le pluralisme est surtout une manière de penser, un intérêt à découvrir l’autre : ce n’est pas une doctrine arrêtée. Il se caractérise par son refus de la vérité unique. Lorsque le pluralisme devient une idéologie autonome, il n’y a plus de règles universelles permettant de poser des limites : il devient donc un nihilisme. Le communautarisme et le relativisme culturel radical, par le refus de l’universalité, sont donc les ennemis voilés du pluralisme. Le fait d’avoir surmonté les conflits religieux fratricides constitue la modernité : la tolérance religieuse se confond en effet avec l’apparition du libéralisme politique. Le concept de tolérance a permis la coexistence religieuse, il signifie l’acceptation de l’altérité. La tolérance présuppose un conflit initial, une tension, une acceptation malgré la différence. Il y a une asymétrie entre le tolérant majoritaire et le toléré minoritaire. Le pluralisme est lié au libéralisme et non à la démocratie moderne. En effet, la démocratie cherche d’abord l’homogénéité des citoyens. Face à l’hétérogénéité, elle provoque de la ségrégation, de l’expulsion ou de l’extermination. Dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique », Tocqueville constate l’uniformisation du fait de la démocratie et de la présence tutélaire de l’Etat. De son côté, l’esprit pluraliste se traduit par la reconnaissance d’un résidu irréductible à toute tentative moniste. B) Du pluralisme au multiculturalisme L’ouverture sociétale est caractérisée par l’usage critique de la raison. Le rationalisme peut se concilier avec les traditions, sans lesquelles le progrès n’aurait pas été possible. Démocratie et libéralisme, constitutifs de la modernité, sont en tension, mais ils impliquent tout deux un dépassement du communautarisme. La face sombre de la modernité apparaît avec la multiplication des conflits ethniques. La tendance à se diriger vers un horizon post national n’a rien apaisé, bien au contraire. Le communautarisme renvoie à une tribalisation du monde, alors qu’on constate dans le même temps que l’individualisme progresse, ce qui constitue un dilemme d’interprétation. En réalité, le communautarisme va de pair avec l’individualisation : la globalisation individualise puis recommunautarise dans la foulée. Le communautarisme prend également la forme donnée par les théoriciens communautariens. Ces derniers font une critique du libéralisme et rejettent toute position universaliste, ce qui aboutit au relativisme culturel radical. Ce relativisme empêche toute tradition d’en juger une autre, puisque leur rationalité est incompatible. Les communautariens réduisent le libéralisme lui-même à une tradition et estiment que la liberté du choix est une fiction. Pour Charles Taylor1, il y a une nécessité de reconnaissance de chaque culture, qui confère dignité et identité. Mais le besoin de reconnaissance n’en entraîne-t-il pas toujours plus ? Les besoins primordiaux légitiment autant le communautarisme que le nationalisme. L’identité nationale est aujourd’hui prépondérante car une société est d’abord définie en tant que nation. II) Les significations du communautarisme Le communautarisme est un terme péjoratif, assimilable à un groupe de pression. Il constitue une dissociation de la communauté nationale, rendue possible par le délitement de l’intégration républicaine et l’apparition de prédicateurs. En France, le communautarisme désigne une menace. A) Cosmopolitisme et communautarisme Le cosmopolitisme actuel est un universalisme sans contrainte, qui n’a pour seule valeur qu’une ouverture vide de sens. L’ouverture peut être interprétée de deux manières : elle conduit au respect des différences ou au contraire incite au mélange, ce dernier étant privilégié par l’idéologie médiatique. Pour les stoïciens, le cosmopolitisme signifie une fraternité universelle entre les hommes. C’est une aspiration d’ordre moral et non pas d’ordre politique. La volonté d’aller vers un gouvernement mondial est à ce titre un contresens. Le communautarisme soumet les membres aux normes du groupe, normes qui ne peuvent s’épanouir qu’au sein d’un groupe fermé. La quête légitime de son identité mène ainsi à une individualisation de chaque communauté. On trouve des indices de communautarisme à travers les fractions minoritaires de la population se sentant exclues et qui se réinventent des codes identitaires. Le communautarisme est chargé d’ambiguïté : il oscille entre le repli sur soi chargé de demande de reconnaissance et l’impérialisme vis-à-vis des autres communautés, qu’il s’agit de discréditer. Le communautarisme est donc, sauf exception, un terme largement péjoratif, puisqu’il s’oppose à la fois au cosmopolitisme, à l’individualisme et à la laïcité. B) Sociologie et philosophie de la communauté 1 Charles Taylor, « La politique de reconnaissance », (1992) Il y a une opposition de principe entre communauté et société. Max Weber analysera pour sa part le passage de la communauté à la société2. Par un glissement de sens, on a fini par opposer société ouverte et société fermée, cette dernière revêtant une connotation péjorative. Selon une vision réactionnaire, le retour à la communauté peut être nécessaire pour se protéger des dangers de l’individualisme des sociétés modernes. Des débats philosophiques ont lieu entre libéraux et théoriciens communautariens, qui reprochent aux premiers de ne prendre en compte que les notions de liberté et d’égalité, en négligeant bienveillance et solidarité. L’idéal communautaire des communautariens, ce sont les héritages, les valeurs partagées et la fraternité. Faut-il accepter les valeurs de chaque communauté ou postuler qu’il existe des valeurs supérieures tout aussi valables ? L’exemple des juifs montre que le maintien d’une identité communautaire n’est pas incompatible avec la communauté nationale. La citoyenneté doit primer sans éradiquer les particularismes, elle fixe les limites. Le communautarisme tranche lui en faveur du particulier. C) Communautés et communautarisme Il y a un paradoxe entre le côté péjoratif du terme communautarisme et la célébration des communautés et cultures diverses. On plaide que le différent est bon en soi, l’homogène mauvais. Il faut s’ouvrir à l’autre sans cesser d’être soi : chaque communauté est donc fermée sur elle-même et doit respecter la fermeture uploads/Societe et culture/ fiche-de-lecture-la-republique-enlisee-p-a-taguieff.pdf

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