Histoire et évolution des mouvements d’éducation populaire par Bernard Kervella

Histoire et évolution des mouvements d’éducation populaire par Bernard Kervella « L’éducation rend les citoyens indociles et difficiles à gouverner » CONDORCET Sommaire Préambule Introduction I – Histoire des mouvements d’éducation populaire I-1 Le cadre institutionnel I-2 Les courants de pensée I-2-1 Le courant laïque I-2-2 Le courant religieux I-2-3 Le courant ouvrier I-2-2 Une interpénétration progressive II- L’éducation populaire aujourd’hui II-1 Des objectifs communs malgré des projets différents II-2 Les difficultés de l’éducation populaire II-3 Clarifier les buts de l’éducation populaire III- Un nouveau venu Bibliographie Préambule Toute lecture de l'histoire est idéologique. Il suffit de regarder les histoires de la Révolution française depuis deux siècles pour s'en convaincre. Une histoire de l'éducation populaire n'échappe pas à cette règle. Au regard de l'Histoire, il n'y a pas de définition unique mais une pluralité de définitions de l'éducation populaire. Les acteurs s'accordent à penser que l'éducation populaire consiste à permettre à tous d'acquérir des connaissances pour comprendre le monde, s'y situer, participer à la vie du pays, être un citoyen actif, transformer ce monde… On retrouve dans cette définition la notion d'instruction pour tous, de liens avec la République et la citoyenneté ainsi que la question de la transformation sociale et politique (1) (2). Introduction Attac se définit comme un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action. Ses objectifs sont donc en premier lieu de former et d’informer les citoyens des évolutions sociales et politiques. A partir de cette définition, il convient de montrer comment Attac France s’inscrit dans l’histoire des mouvements d’éducation populaire. I-Histoire des mouvements d’éducation populaire L’histoire de l’éducation populaire s’inscrit comme un processus de développement non linéaire. Ses périodes d'émergence succèdent généralement à de grands changements politiques. C'est l'aspiration démocratique qui fédère le mieux les partisans de l'éducation populaire. Par-delà ce ciment commun, l'éducation populaire se définit traditionnellement par son idéologie, ses acteurs, ses pratiques, ses publics… Ceci peut alors donner lieu à de multiples définitions et interprétations. L'éducation populaire peut être un élément moteur de projets contestant la société actuelle pour bâtir le monde de demain en inventant les rapports sociaux et les activités d'une société plus démocratique et solidaire. Dans un premier temps, nous évoquerons l’évolution du cadre institutionnel de l'éducation populaire. Dans un deuxième temps, nous verrons quels sont les courants de pensée qui l'ont forgée. I-1 Le cadre institutionnel Il est difficile de situer un point de départ chronologique de l'éducation populaire. Disons, pour simplifier, qu'elle date de Condorcet. En avril 1792, Marie-Jean Caritat, marquis de Condorcet (3 ), fait naître devant la Convention le concept prometteur de l'éducation permanente. Il affirme alors « que l'instruction ne doit pas abandonner les individus au moment où ils sortent de l'école : qu'elle doit embrasser tous les âges, qu'il n'y en a aucun où il n’est pas utile d'apprendre car l'instruction doit assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances ou d'en acquérir de nouvelles ». A partir de 1850, l'enseignement va faire l'objet d'un développement important. Tout d'abord, la loi Falloux confie à l'Eglise l'enseignement primaire, faisant ainsi naître l'anticléricalisme scolaire. A partir de 1864, la Première Internationale va souvent aborder les problèmes d'instruction dans ses débats. Et en 1866, Jean Macé crée la Ligue de l'Enseignement qui se positionne pour un enseignement démocratique, et surtout laïque, en réaction à la loi Falloux. - La Ligue de l’enseignement (1866) (4) Dignes héritiers de 1789, les premiers membres de la Ligue croient à la raison et au progrès. Ils agissent pour l'éducation populaire : création de bibliothèques, de cours publics, de sociétés ouvrières d'instruction, de centres d'enseignements pour jeunes filles... tout en revendiquant la prise en charge par l'État de l'instruction publique ouverte à tous. En fait, la Ligue s'inscrit dans le courant philosophique du positivisme qui, disait-on, allait « chasser l'obscurantisme et le mystère pour ouvrir les esprits à la lumière ». Elle va se heurter à l'opposition de l'Eglise catholique : dans un texte publié en 1864, le Syllabus, le pape Pie IX condamne les idées nouvelles. En 1880, Jules Ferry est l'instigateur de nombreuses lois sociales qui rendent l'école primaire obligatoire tout en étant gratuite, laïque et mixte. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, se développent les diverses associations d’éducation populaire en France. De 1866 à 1903 naissent ainsi successivement : - Les Œuvres des cercles ouvriers (1872) - La Société d’économie populaire (1880) - L’Association catholique de la jeunesse française (1886), d’où naîtront la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) et la JOC (Jeunesse Ouvrière chrétienne) - Le Sillon (1898) A son apogée, ce mouvement rassemble près de 500 000 membres autour de cercles d'étude, où des ouvriers côtoient des étudiants et des prêtres. Le Sillon prône l'instruction du peuple par des visites éducatives, des congrès, des instituts populaires, des pèlerinages… et favorise la formation de prêtres ouvriers. Le mouvement se politise à partir de 1907. La "jeune garde", en uniforme, sert de service d'ordre aux manifestations du mouvement et en assure la propagande. Les prises de position (contre l'exploitation professionnelle des femmes, etc.), les polémiques avec la gauche laïque comme avec la droite nationaliste, isolent le Sillon. Ce mouvement chrétien dirigé par un laïc dérange. Sur ordre de leur évêque, de nombreux prêtres se retirent des cercles. Le 25 août 1910, une lettre de Pie X condamne le Sillon, qui s'est ouvert à des non-chrétiens et échappe au contrôle des autorités ecclésiastiques. Le mouvement est alors dissous. - La Fédération des universités populaires (1898) L'instauration de la laïcité de l'enseignement s'accompagne d'une lutte menée par les républicains et les radicaux contre les congrégations, qui jouent un rôle essentiel dans l'enseignement. La loi de 1901 sur les associations les oblige, en effet, à demander une autorisation auprès de l'administration pour exister légalement, tandis que la loi de 1904 exclut de l'enseignement tous les ordres religieux. Réalisée par le ministère Combes, la séparation de l'Église et de l'État en 1905 marque l'apogée de cette crise, et est aussi à l'origine d'un apaisement qui devait prendre peu à peu un caractère définitif. La loi du 9 décembre 1905 réaffirme le principe de la liberté de conscience, tout en indiquant ne plus reconnaître aucun culte et, par conséquent, ne plus en faire bénéficier aucun d'aide financière. - La Fédération des instituts populaires (1903) Après 1940, la France est divisée en deux zones (libre et occupée), et Vichy devient le siège du gouvernement de Pétain. Fondé sur la devise "Travail, famille, patrie", ce gouvernement met l'accent sur le retour à une société traditionnelle, patriarcale et hiérarchisée où règne l'ordre moral ; il prône les valeurs traditionnelles telles que la religion, le patriotisme, l'importance de la famille et du travail de chacun. Ainsi, le divorce devient plus difficile à obtenir, l'avortement est sévèrement réprimé, et les parents de familles nombreuses reçoivent des décorations nationales. Les anciens combattants et la jeunesse se trouvent au cœur de cette nouvelle société, avec la création, à l'été 1940, de la Légion française des combattants et l'institution de Chantiers de jeunesse. Le monde du travail est réorganisé en fonction d'un système corporatiste, fondé sur une nouvelle Charte du travail (loi du 4 octobre 1941). En outre, des comités d'organisation sont institués par secteurs de productions. Vichy repose donc sur un paradoxe, puisqu'il s'agit d'un gouvernement à la fois traditionaliste, réactionnaire et moderniste (reposant sur un certain dirigisme économique). Ces organisations étaient, pour la plupart, issues d’initiatives privées aidées localement (municipalités et églises) et ne devaient rien aux pouvoirs publics. C’est à partir de 1944 qu’est reconnue officiellement l’éducation populaire au travers de la “direction des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire” au sein du ministère de l’Education nationale. Cette reconnaissance officielle permettra la mise à disposition de fonds et moyens (mise à disposition de personnels) susceptibles de développer l’éducation populaire. - Peuple et Culture (5) En 1945, lorsque les fondateurs de Peuple et Culture descendent des plateaux du Vercors ou sortent des camps de concentration, ils sont héritiers d'une histoire : celle du Siècle des Lumières et de la République française. Depuis Condorcet, des militants se sont mobilisés pour que l'article II sur la libre communication des opinions s'accompagne du droit à l'éducation et à la culture. L'équipe initiale appartient à la génération du Front populaire : Joffre Dumazedier, Bénigno Cacérès, Paul Lengrand, Joseph Rovan et tous ceux qui ont participé aux premières réunions (à Grenoble, à Annecy puis à Paris) avaient entre 20 et 25 ans lorsque le gouvernement du Front populaire est arrivé au pouvoir. Ils ont appartenu aux "Auberges de la jeunesse", mouvement à l'esprit libertaire associant activités de plein air et culturelles, convivialité et ferveur militante pour l'avènement de ce nouveau monde où le besoin de culture deviendrait une force identique à "celle de la faim" selon la belle expression d'Antonin Artaud. - Les Maisons des Jeunes et de la Culture (6) Dans ce contexte, les MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) sont issues du gouvernement provisoire d’Alger (1943). Elles avaient pour ambition de mettre en œuvre une uploads/Societe et culture/ histoire-des-mouvements-d-education-populaire-bernard-kervella.pdf

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