17 L’évolution des outils de contrôle de gestion : une influence culturelle ? T

17 L’évolution des outils de contrôle de gestion : une influence culturelle ? Tarek CHANEGRIH1 Résumé L’étude cherche à comprendre si les entreprises qui exercent des activités dans des contextes différents font évoluer leurs outils de contrôle de gestion de façons différentes. Elle mobilise le cadre conceptuel de Hofstede (1980, 1991, 2001) pour étudier l’influence de la culture nationale sur la fréquence, la localisation et la nature des changements dans les outils de contrôle de gestion. Nous collectons des données sur les changements en contrôle de gestion auprès de 65 entreprises françaises que nous comparons aux changements observés en Malaisie. La recherche montre l’importance de la compréhension du contexte local. Quatre variables culturelles (l’orientation temporelle, le degré d’individualisme/collectivisme, la distance hiérarchique et la tolérance à l’incertitude) influencent les changements dans les outils de contrôle de gestion. Les résultats de la recherche soulignent l’importance de l’intelligence culturelle dont a besoin un manager pour faire évoluer et valoriser les outils de contrôle de gestion. Abstract This research utilizes Hofstede’s (1980, 1991, 2001) framework to study the influence of national culture on the volume of management accounting control systems (MACS) changes, and their location, nature, and perceived success. We collect data on French manufacturing companies that could be compared directly with those collected in Malaysia. The results highlight that change in MACS is determined by national culture. Four cultural dimensions (individualism/collectivism, Confucian dynamism, Power distance and uncertainty avoidance) influence changes in MACS. These results show the importance of the national culture in changes in MACS. 1 Tarek CHANEGRIH : IAE Caen (Université de Caen), NIMEC EA 969 - tarek.chanegrih@unicaen.fr 18 N°82 - Décembre 2015 1. Introduction L’idée de la permanence des changements, avancée par Héraclite, est-elle valable en contrôle de gestion (CDG), domaine dans lequel, Johnson et Kaplan (1987) ont affirmé que peu d’outils novateurs ont vu le jour après 1925 ? La réponse est positive si l’on se fie à l’abondante littérature récente montrant que les outils de CDG changent à travers le monde (Cooper et Kaplan, 1988 ; Sulaiman et Mitchell, 2005 ; Capelletti et Khouatra, 2009 ; Berland et De Rongé, 2010 ; Renaud, 2014). En effet, longtemps perçu comme un bastion de conservatisme, le CDG a vu le développement ces dernières décennies d’outils innovants (Cooper et Kaplan, 1988 ; Kaplan et Norton, 1992). L’adoption des ERP (progiciels de gestion intégrée) par de nombreuses entreprises, surtout les groupes, a également attiré l’attention des chercheurs sur son impact potentiel sur les outils du CDG et sur les pratiques des contrôleurs de gestion (Scapens et Jazayeri, 2003 ; Meyssonier et Proutier, 2006). L’étude des changements en CDG est ainsi devenue un sujet de recherche particulièrement prolifique et de nombreux travaux se sont inté- ressés aux freins, aux motivations et aux conséquences de ces changements (Burns et Scapens, 2000). Toutefois, la question de savoir si les entreprises qui exercent des activités dans des contextes différents font évoluer leurs outils de CDG de façons dif- férentes a été peu explorée (Bhimani, 2007 ; Chanegrih, 2015). Plus précisément, les rythmes de changements sont-ils identiques quel que soit le pays ? Les différents outils de CDG changent-ils de la même façon dans différents pays ? La nature des changements observés en CDG transcende-t-elle les frontières nationales ? Quelles influences des spécificités culturelles ? Cette étude cherche à répondre à ces différentes questions en comparant les change- ments observés dans les outils de CDG de deux pays. Plus précisément, la recherche compare la fréquence, la localisation et la nature des changements dans les outils de CDG effectués en France aux changements déjà observés en Malaisie (Sulaiman et Mitchell, 2005). La localisation est déterminée par les cinq catégories (systèmes de planification, de mesure de la performance, de coût, de rémunération, reporting) de Libby et Waterhouse (1996). Quant à la nature, elle porte sur cinq catégories (addition, remplacement, modification de l’information, modification opérationnelle, réduction) de Sulaiman et Mitchell (2005). Les résultats de la recherche montrent que l’évolution des outils de CDG est influencée par la culture nationale. Quatre variables culturelles (l’orientation temporelle, le degré d’individualisme/collectivisme, la distance hiérarchique et la tolérance à l’incertitude) ont un impact sur la fréquence des changements, leurs localisations et leurs natures. Ces résultats aident les managers à mieux comprendre les causes à l’origine du rythme des changements en CDG, leurs natures ainsi que les outils concernés par ces changements. Plus particulièrement, ils permettent aux managers des entreprises qui s’établissent à l’international de comprendre les logiques à l’origine des dynamiques de changement dans les outils de CDG et les éclaire ainsi sur la façon d’adapter leurs propres outils en fonction du contexte local. Le manager d’aujourd’hui a besoin de sensibilité contextuelle pour développer des compétences opérationnelles et une intelligence culturelle (Steers et al., 2013) afin d’éviter les pièges de l’harmonisation des outils de CDG. L’évolution des outils de contrôle de gestion : une influence culturelle ? 19 Cet article s’articule de la manière suivante. Outre cette introduction, le cadre conceptuel et les hypothèses seront développés dans une deuxième partie. Une troisième partie détaillera la méthodologie adoptée. L’analyse empirique fera l’objet de la quatrième partie. Enfin, une conclusion mettra en évidence les apports théoriques, empiriques et pratiques de cette recherche. 2. Le cadre conceptuel L’objectif de cette partie est de présenter, dans un premier temps, la culture nationale, puis le modèle de Hofstede (1980, 1991, 2001) et son utilisation en CDG ainsi que les hypothèses de la recherche. 2.1. La culture nationale La définition du concept de culture est loin d’être universelle. Il semble toutefois exister un relatif consensus pour la considérer comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social, transmis par des mécanismes non biologiques. Plusieurs cadres conceptuels relatifs à la culture ont été développés (Triandis, 1995 ; Smith et al., 1996). Celui de Hofstede (1980, 1991) est le plus utilisé par les chercheurs de tous les domaines (Kirkman et al., 2006). Il s’appuie sur les travaux d’anthropologues contemporains et résume la culture en quatre dimensions. La première, la distance hiérarchique, mesure le degré d’acceptation d’une distribution inégale du pouvoir dans les entreprises. Dans un pays à forte distance hiérarchique, les inégalités sont attendues et souhaitées et les plus faibles doivent dépendre des plus forts. Les subalternes acceptent et trouvent normal que le pouvoir soit distribué de manière inégale. Cette variable culturelle exprime le degré de respect dont font preuve les gens vis-à-vis de leur hiérarchie et de l’autorité. Parmi les pays industrialisés, la France représente presque seule un score élevé sur cette dimension, que nuancent Triandis et al. (1993) : il serait plus dû au rejet de la dépendance dans la relation hiérarchique en France. La deuxième dimension, le contrôle de l’incertitude, mesure le degré de tolérance qu’une culture peut accepter face à l’in- quiétude provoquée par des évènements futurs. Les pays de culture latine d’Europe et d’Amérique présentent un fort contrôle de l’incertitude qui peut provoquer une grande angoisse alors que les pays anglo-saxons, les pays scandinaves et les pays du sud-est asiatique se caractérisent par un faible contrôle de l’incertitude. La troisième dimen- sion, l’individualisme/le collectivisme, est relative à la place du “je” ou du “nous” dans la société. Dans les cultures individualistes, l’intérêt de l’individu prime sur celui du groupe alors que dans les cultures collectivistes l’intérêt du groupe est plus prioritaire. La France est un pays individualiste comparée à la Malaisie qui fait partie des nations les plus collectivistes. Le quatrième facteur culturel est la masculinité/féminité. Un fort degré de masculinité reflète une préférence pour la réussite matérielle alors qu’un fort degré de féminité traduit la recherche d’une meilleure qualité de vie. Les pays latins sont des pays de culture féminine, alors que les pays anglo-saxons et asiatiques se situent dans la moyenne. Une cinquième dimension relative à l’orientation temporelle de l’individu, l’« orientation long-terme » reflétant le dynamisme confucéen, a complété ce cadre conceptuel (Hofstede et Bond, 1988). Hofstede (1991) n’a pas mesuré le score 20 N°82 - Décembre 2015 de la Malaisie pour cette dimension. Néanmoins, les scores des autres pays montrent clairement que les pays asiatiques ont des valeurs significativement plus élevées que les pays européens et nord-américains. Le Tableau 1 résume les résultats des études de Hofstede (1980, 1991) réalisées avec l’aide de l’entreprise IBM et qui couvrent 70 pays. Tableau 1 - Les scores sur chaque dimension de la culture des deux pays Distance hiérarchique Tolérance à l’incertitude Degré d’indi- vidualisme/ collectivisme Masculinité/ Féminité Horizon temporel France 68 86 71 43 39 Malaisie 104 36 26 50 Pas mesuré G-B 35 35 89 66 25 Etats-Unis 40 46 91 62 29 Chine 80 30 20 66 118 Corée du Sud 64 85 18 39 75 Source : Hofstede, 1991. 2.2. Critique du modèle de Hofstede Malgré sa forte mobilisation, le cadre conceptuel de Hofstede a essuyé certaines cri- tiques (McSweeny 2002 ; Baskerville, 2003 ; Löning, 1995 ; Bhimani, 2007 ; Harrison et McKinnon, 2007 ; Ailon, 2008 ; Joannides, 2011). Premièrement, on lui uploads/Societe et culture/ l-x27-evolution-des-outils-de-controle-de-gestion-une-influence-culturelle.pdf

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