l ’Iran : l’Intense Réception de la Pensée Philosophique Occidentale par Simon

l ’Iran : l’Intense Réception de la Pensée Philosophique Occidentale par Simon F. Oliai1 A en juger par les multiples dépêches récentes envoyées par les médias occidentaux « présents » en Iran et les rapports, standardisés et officiels, faits par certains médias iraniens, l’Iran serait un pays viscéralement anti-occidental et anti-sémite où seule l’organisation d’une manifestation comme le colloque controversé sur la « réalité » de l’Holocauste pourrait mériter l’attention du monde international. Un monde qui, il faudrait le dire sans ambages, connaît assez mal ce pays et se soucie peu de la complexité et la richesse de sa culture contemporaine. Et qui souvent ignore la singularité historique du rapport de la société iranienne à la pensée et la culture occidentales. Pourtant, ce rapport est unique dans ce que on a la fâcheuse tendance réductionniste de désigner le « monde arabo-musulman ». Et, n’en déplaise à la cohorte grandissante des journalistes occidentaux fascinés par l’anti-conformisme de la jeunesse iranienne, il n’est pas non plus réductible à la popularité croissante d’un mode de vie « occidental » au sein de cette couche nombreuse et importante de la société iranienne. Car l’intérêt que la jeunesse iranienne porte à l’Occident ne se borne nullement au recours, de plus en plus fréquent, à la chirurgie esthétique ou la consommation, parfois bruyante, d’autres « produits » culturels de l’Occident tels que, par exemple, la musique techno ou les films hollywoodiens et les 1 Philosophe iranien qui a récemment publié un dossier anniversaire consacré au philosophe Martin Heidegger avec la revue “Portique” en France et organisé un colloque international consacré à la philosophie européenne à Téhéran avec l’ambassade suisse. 1 versions iraniennes du célèbre « fast food » du notre village « mondialisé ». Le constat est bien triste mais exacte. Lorsqu’il s’agit de représenter et de comprendre l’Iran contemporain, ce qui est y visible sans être spectaculaire ou spectaculairement politisé intérèsse peu ceux qui ont pour tâche de faire connaître ce pays au monde. Les intellectuels, les artistes et autres acteurs de la scène culturelle iranienne ont beau souligner l’importance qu’ils accordent au dialogue culturel, les médias occidentaux s’intérèssent peu à ce qui, en Iran, n’est ni officielle dans sa réalisation ni fait sensation dans son incapacité à choquer un incorrigible public occidental en quête permanente d’un « Orient exotique ». Un public pour qui la connaissance de ce pays lointain reste largement tributaire de la diffusion répétée d’images rébarbatives des foules galvanisées par le fanatisme religieux et la haine idéologique à l’égard de l’Occident et ses « valeurs ». Mais, comme Jacques Derrida l’a bien souligné, ce qui fait « événement » n’est pas forcément visible (et rarement spectaculaire) et ce qui est « visible » ne fait « vraiment » pas toujours événement. Et la question est toujours de savoir comment comprendre l’Iran contemporain et ce que s’y produit en tant que « véritable » événement historique digne de l’attention du monde international ? Faute de pouvoir y répondre de manière parfaite, je voudrais néanmoins encourager celles et ceux qui croient toujours à la noble mission du journalisme en tant que l’incontournable « ontologie du présent » de prendre en compte le cadre du devenir de l’histoire iranienne. 2 Car, en Iran, l’histoire ainsi que son ignorance généralisée comptent beaucoup. Aujourd’hui, nul ne contesterait le fait que l’Iran est en train de subir des profondes transformations culturelles sans précédent comparable dans le cadre son histoire. Mais rares sont ceux qui reconnaissent que ce même cadre, c’est-à-dire, la conscience diffuse du prestige culturel de l’antique état perse est non seulement la condition sine qua non mais aussi le fruit historique singulier d’une longue tradition de dialogue culturel avec l’Occident. En effet, à la différence d’autres nations du « Moyen Orient », les échanges culturels de l’ Iran avec le monde occidental se sont toujours produits dans le cadre prestigieux de l’état impérial perse. Récemment, la magnifique exposition consacrée à l’art Sassanide au Musée Cernuschi de Paris nous en rappella l’antiquité et la continuité décisives. Même après sa disparition politique, le prestige historique de ce cadre étatique le transforma en fondement mythique d’une conscience nationale iranienne et contribua à la renaissance de l’identité culturelle du pays crystallisée par le célèbre « Livre des Rois » du grand poète, Ferdowsi (939-1029 AD). Il n’est donc pas possible de comprendre ce qui fait événement en l’Iran sans considérer l’impact historique de ce cadre sur l’auto-conception des iraniens et, notamment, celle de la jeunesse. 3 C’est le sentiment de confiance que leur inspire la conscience de l’antiquité de ce cadre qui explique le fait que l’Iran soit, culturellement, le pays le plus « européanisé » du « Moyen Orient ». La jeunesse iranienne voit l’Iran comme un grand pays dont l’histoire porte la marque des ses rapports culturels avec le monde occidental dans le cadre de l’histoire d’un grand empire. Elle peut donc s’inspirer, sans le moindre complexe, de la pensée philosophique occidentale lorsque elle tente de réfléchir sur les causes des multiples problèmes sociaux et culturels du pays. En rupture avec la névrose identitaire des générations précédentes, la jeunesse iranienne sait qu’un « emprunt » intellectuel à l’Occident n’implique nullement l’éventuelle perte de son identité historique. Elle est assez instruite pour savoir que l’Iran a historiquement influencé l’Occident sur le plan culturel et pourrait tout aussi bénéficier d’expérimentations intellectuelles occidentales dans le contexte de la mondialisation actuelle. Ce n’est donc pas étonnant si l’intensité de la réception intellectuelle de l’Occident par sa jeunesse a fait de l’Iran le pays « moyen oriental » où le nombre des traductions et commentaires d’ouvrages philosophiques occidentaux est des plus élevés. Et c’est justement cette intense réception philosophique de l’Occident qui fait « vraiment » événement en Iran car elle met en relief la renaissance d’une antique tradition du dialogue culturel et intellectuel. Une tradition dont les fondements historiques sont la tolérance et la protection qu’un état perse fort a généralement su accorder aux minorités religieuses et, en particulier, les juifs iraniens et même français. 4 Il faut préciser que les uns furent délivrés de la servitude babylonienne par le grand Cyrus et les autres sauvés de la barbarie nazie par son grand admirateur, le Prince Abdolhossein Sardari, le consul iranien à Paris pendant l’occupation allemande. Reste à savoir si l’Occident et, en particulier l’Europe, saura se montrer à la hauteur de cet événement historique en privilégiant non seulement la conclusion des accords commerciaux avec l’Iran mais aussi la durable réception des ses traditions intellectuelles dans ce pays. Un pays où, par exemple, un « véritable » événement historique survint en 531 de notre ère lorsque le philosophe néoplatonicien Priscianus de Lydie participa à un colloque philosophique organisé à la cour du Grand Roi Sassanide Chosroès 1 à Séleucie-Ctésiphon et en garda une précieuse trace pour la compréhension du devenir intellectuel de l’Iran et celui de l’Europe.2 2 “Solutionum ad Chosroem” 5 uploads/Societe et culture/ l-x27-iran-et-la-philosophie-occidentale.pdf

  • 39
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager