QUE SAIS-JE ? La criminologie GEORGES PICCA Avocat général à la Cour de cassati
QUE SAIS-JE ? La criminologie GEORGES PICCA Avocat général à la Cour de cassation Professeur associé à l’Université de Paris Secrétaire général de la Société internationale de Criminologie Huitième édition 31e mille Introduction e crime n’est plus aujourd’hui ce qu’il était ; il n’est pas davantage ce que l’on croit. Dans les sociétés premières l’acte du criminel est considéré comme la violation d’une règle religieuse, d’un précepte moral ou la transgression d’un interdit du groupe social. La loi pénale n’est pas dissociée de la religion comme elle l’est aujourd’hui, dans la plupart des États démocratiques ; la réprobation collective qui entoure le crime n’en est que plus forte. Dans la majorité des sociétés contemporaines, le délit ou le crime, ainsi distingués suivant leur degré de gravité, sont des infractions à la loi pénale. En outre, la plupart des sociétés développées se refusent à imposer à tous une morale dominante. Elles ne le pourraient d’ailleurs pas, car le « droit à la différence » a généralement remplacé l’ « ordre moral ». On dit aussi que la société est pluraliste ou multiculturelle mais l’autorité de la loi s’est, par voie de conséquence, affaiblie ; elle ne s’impose pas avec la même force à tous, car elle est plus ou moins bien acceptée par chacun. Cet état de choses n’est pas celui des Sociétés musulmanes dans lesquelles règne la Charia (Loi pénale) ne distinguant pas le religieux et le laïque dans la vie sociale et dans laquelle la nature des crimes et délits est différente. Certes l’acte du criminel suscite des réactions – souvent violentes – de réprobation ; il n’en demeure pas moins que dans les sociétés occidentales la délinquance, c’est-à-dire l’ensemble des crimes et délits constatés par la statistique ou non découverts, s’est largement banalisée. De même cette délinquance s’est aujourd’hui diffusée dans tous les milieux sociaux, même si elle prend des formes différentes, selon ces milieux. La frontière entre ce qui est une L infraction à la loi et ce qui est vécu comme injustice est aussi parfois indécise dans le vécu des individus. L’image du criminel a par voie de conséquence évolué. Elle n’est plus celle d’un être, nécessairement affligé d’antécédents exceptionnels, conditionné par son hérédité ou appartenant aux classes défavorisées de la société. Cette vision – naturaliste et misérabiliste du criminel – a été principalement celle du XIXe siècle : elle a aujourd’hui vécu. La criminalité est un fait social et les individus les plus divers peuvent être délinquants ou considérés comme tels. Dans ce contexte contemporain, la démarche de la criminologie apparaît résolument neuve. Elle vise à analyser suivant une méthode scientifique – c’est-à-dire objective – le fait social que constitue la criminalité à un niveau stratégique et sociologique ainsi que la personnalité des auteurs de crimes particulièrement graves (ex. serial killers). Elle vise également à l’amélioration des procédures de prévention et de contrôle de la délinquance, c’est-à- dire de la police et de la justice. Le crime exerce une fascination certaine sur la plupart des hommes et des femmes ; la réprobation morale se mêle certes à la crainte ou l’horreur, mais aussi à des sentiments plus équivoques. Le criminel dépasse, en effet, par son acte, des limites que la majorité des êtres humains s’interdisent de franchir. Cet acte éveille, par suite, une curiosité dont on trouve des traces dans la littérature ou dans le roman policier. Mais il faut aller au-delà de cette approche sommaire. Tous les actes, crimes ou délits, ne présentent pas, d’abord, le même caractère. Il en est de violents qui portent atteinte à la vie ou aux mœurs. Certains font appel à l’astuce, à l’habileté de leurs auteurs ; voire à la crédulité des victimes. Le blâme social se teinte alors d’une certaine connivence. (Ce sera notamment le cas pour une escroquerie réussie.) N’évoquons que pour mémoire des infractions de nature particulière, telles que la fraude fiscale ou les vols au préjudice de l’État, qui n’entraînent dans la conscience commune qu’une réprobation de principe. En revanche le nombre considérable de vols (principalement dans les sociétés industrialisées) et d’agressions crée une irritation et une insécurité aujourd’hui dominantes dans les grandes villes et les banlieues, conséquence de l’urbanisation et de la confrontation de populations dont les cultures sont différentes. Mais le crime est, aussi, pour un certain nombre d’individus (ou de groupes) une activité normale, continue, professionnelle. Ce que l’on a longtemps appelé le milieu a beaucoup évolué. Il a pris successivement la forme de « gangs » et d’associations criminelles. On parle aujourd’hui plus volontiers de mafias ou de crime organisé. Il s’agit de professionnels ou des demi-professionnels qui vivent du crime, moins inadaptés que suradaptés à la société dans laquelle ils vivent, ils en exploitent les failles pour réaliser des profits souvent considérables. Aussi, dans les sociétés développées, est-ce moins la misère que l’opulence qui est source de délinquance. La criminalité, enregistrée par la statistique, est à 80 % orientée vers la recherche du profit. De telle sorte que ce que l’on appelle la criminalité de comportement, par opposition à celle de profit, c’est-à- dire non suscitée par la recherche directe d’un profit pécuniaire (meurtre, atteinte aux mœurs), occupe une place relativement modeste dans la statistique de la criminalité des sociétés modernes. Il faut, en outre admettre qu’il existe de véritables entreprises du crime, avec leurs cadres, leurs multinationales ; c’est le crime organisé, qui se moque des frontières. Il existe des organisations criminelles dépassant le domaine d’action des différents « milieux », nationaux ou locaux, qui exploitent de façon rationnelle des activités, particulièrement lucratives parmi lesquelles le trafic de la drogue, la corruption ou l’exploitation illicite des jeux et la prostitution. Ces organisations, qui ont des ramifications internationales sont aujourd’hui un des principaux défis auxquels sont confrontés la police et la justice. Plus ou moins bien intégrées dans les structures sociales, elles sont généralement difficiles à atteindre. Elles constituent des réseaux criminels qui, désormais, par le moyen notamment du terrorisme défient les États nations. La criminalité est, ainsi, passée du stade artisanal à une dimension planétaire, suivant l’évolution des sociétés économiquement développées. Ce modèle de société favorise, en effet, certaines formes de délinquance. Il est fondé sur la libre entreprise, l’initiative et la recherche du profit et du succès matériel. Il est aussi parfois, moins exigeant sur le choix des moyens pour parvenir à ces objectifs. Dès lors, le vieux proverbe suivant lequel « le crime ne paye pas » a perdu de sa vérité. En réalité, le crime paye ; il paye d’autant mieux que les sociétés modernes ont diversifié leurs activités, multiplié les sources de profit, mais aussi affaibli leurs systèmes de contrôle social (morale, discipline, religion, éducation, etc.). Ceci dans le souci de mieux garantir les libertés de chacun, fût-ce au détriment de la sécurité de tous. Le moment est donc venu de jeter un regard neuf sur le crime dans la société et les problèmes qu’il pose. C’est un des objectifs de la criminologie et, par là même, le but de cet ouvrage. L’actualité et l’importance des manifestations les plus dangereuses de la criminalité confèrent au contenu de cet ouvrage un intérêt renouvelé. Il prend, en effet, en compte les nouveaux problèmes qui sont aujourd’hui posés, non seulement aux services de police et de justice, mais également aux responsables politiques. De quoi s’agit-il ? Il s’agit, désormais, non seulement de faire face à une délinquance traditionnelle, mais également de développer une coopération efficace entre États afin de faire face à une criminalité transnationale (terrorisme, trafic de stupéfiants, trafic d’êtres humains, etc.). Si les objectifs à atteindre dans ce domaine sont avant tout opérationnels et exigent à ce titre des stratégies adaptées, ils obligent également à réviser les politiques criminelles nationales afin de rendre possible une coopération internationale nécessaire. Dans ce contexte, la démarche criminologique doit avoir sa place. Considérée à ses origines, à la fin du XIXe siècle, comme une science d’observation principalement axée sur la personnalité des auteurs de délits et de crimes, la criminologie s’est vu ouvrir de nouvelles perspectives par la sociologie. Celle-ci a, en effet, élevé le niveau de ses recherches à l’ensemble du phénomène social de la criminalité, des variations statistiques, de ses tendances, de sa généralité, etc. C’est moins l’acte individuel que le phénomène collectif dans son contexte culturel qui est désormais analysé. En outre, la criminologie s’est intéressée à l’élaboration des politiques pénales, dans le sens à la fois de la prévention et de la lutte contre le récidivisme. Il n’en demeure pas moins que la criminologie est encore, trop souvent, sujette à controverse, qu’il s’agisse de sa crédibilité sur le plan de la recherche scientifique ou de son utilité sociale dans la mise en œuvre des politiques pénales. Cela tient, notamment, au développement très inégal, selon les États, de son enseignement universitaire, mais également à la place qui lui est réservée (ou refusée) dans les services chargés de traiter la criminalité (police et justice). Née en Europe, c’est néanmoins en Amérique du Nord que la criminologie a uploads/Societe et culture/ la-criminologie-picca-georges.pdf
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- Publié le Jan 25, 2021
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