MAURICE MASHAAL Bourbaki Une société secrète de mathématiciens Bourbaki Maurice
MAURICE MASHAAL Bourbaki Une société secrète de mathématiciens Bourbaki Maurice Mashaal BOURBAKI Une société secrète de mathématiciens Couverture : Conception : Rampazzo & Associés Iconographie : la réunion des membres du premier congrès Bourbaki, en 1935 à Besse-en-Chandesse. Debout, de gauche à droite : H. Cartan, R. de Possel, J. Dieudonné, A. Weil, l’intendant. Assis, de gauche à droite : A. Mirlès, C. Chevalley, S. Mandelbrojt © Jean-Loup Charmet/Bridgeman Giraudon. Le code de la propriété intellectuelle n’autorise que « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » (article L. 122-5) ; il autorise également les courtes citations effectuées dans un but d’exemple et d’illustration. En revanche, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (article L. 122-4). La loi 95-4 du 3 janvier 1994 a confié au C.F.C. (Centre français de l’exploitation du droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), l’exclusivité de la gestion du droit de reprographie. Toute photocopie d’œuvres protégées, exécutée sans son accord préalable, constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Pour la Science, 2002 pour la première édition © Éditions Belin / Humensis, 2017 170 bis, boulevard du Montparnasse, 75680 Paris cedex 14 ISSN 2428-8667 ISBN 978-2-410-01229-3 AVANT-PROPOS Disons-le d’emblée, Nicolas Bourbaki n’est pas le nom d’un individu, mais celui d’un groupe de mathématiciens, presque tous français. Encore actif, ce groupe haut en couleurs, constitué en 1935, composé d’une douzaine de membres, n’est pas très connu du grand public. Pourtant, il a changé la face des mathématiques au cours des décennies 1950-1970. Non que Bourbaki ait inventé des techniques révolutionnaires ou démontré des théorèmes grandioses – ce n’était pas son objectif. Ce qu’il a apporté, essentiellement à travers son imposant traité Éléments de mathématique, c’est une vision renouvelée des mathématiques, une profonde réor- ganisation et clarification de leur contenu, une terminologie et des notations bien pensées, un style particulier. Nombre de mathématiciens ont été séduits, si bien que l’esprit du bourbakisme a fait école dans la communauté mathématique inter- nationale. Bourbaki a ainsi participé au rayonnement des mathématiques françaises. La renommée de Nicolas Bourbaki ne tient pas qu’aux Éléments de mathématique. Elle tient pour beaucoup à la qualité exceptionnelle de ses membres : André Weil, figure centrale de Bourbaki dès sa création, était l’un des grands mathémati- ciens du XXe siècle ; ses complices de la première heure, comme Henri Cartan et Claude Chevalley, étaient de stature internationale. S’ajouteront aussi d’autres noms prestigieux des mathéma- tiques comme Laurent Schwartz, Alexandre Grothendieck, Jean-Pierre Serre, etc. Ces mathé- maticiens ont mené des recherches personnelles, dont les résultats ont été salués par les plus hautes récompenses internationales. Nombre d’entre eux, tels C. Chevalley, Laurent Schwartz, Alexandre Grothendieck et Roger Godement ont voué une part de leur vie à l’engagement philosophique ou politique. Enfin, l’idée qui sous-tendait leurs travaux a été reprise dans la réforme des « mathé- matiques modernes » ; les Bourbakis se sont plaints de cette prolongation de leurs travaux et, tout comme Antigone, ont vu avec effroi que leurs actes se détachaient d’eux pour mener une exis- tence propre. Par ailleurs, Bourbaki s’est construit plus ou moins consciemment tout un folklore. Un folklore qui tient au secret dont s’entoure le groupe, à son nom, à son humour et ses canulars de potaches, au mode d’organisation et de travail qu’il s’est choisi. Le succès de l’entreprise bourbachique lui est, en bonne partie, redevable. Encore faut-il nuancer l’emploi du terme succès. La mission bourbachique est restée inachevée, et elle le restera à coup sûr : l’évolution des mathématiques l’a rendue utopique. En outre, Bourbaki et son école de pensée ont eu quelques travers fâcheux, que leurs détracteurs ne se sont pas privés de dénoncer. BOURBAKI 8 Et la question de la survie de ce mathématicien polycéphale se pose. Il y a des ombres et d’éclatantes lumières. J’espère avoir fait ressortir dans cet ouvrage les unes autant que les autres. Maurice Mashaal AVANT-PROPOS 9 CHAPITRE 1 UN GROUPE SE FORME Le 10 décembre 1934, une poignée de jeunes mathé- maticiens se réunissent dans un café du Quartier latin à Paris. Leur but : rédiger un traité d’analyse. C’est le coup d’envoi à une entreprise qui bouleversera les mathé- matiques et entrera dans la légende. André Weil et moi étions tous deux à l’Université de Strasbourg, en 1934. Je discutais souvent avec lui du cours de calcul différentiel et intégral que j’avais à enseigner. À cette époque, la licence de mathématiques comprenait trois certificats : physique générale, calcul différentiel et intégral, mécanique rationnelle. Autrement dit, il n’y avait qu’un seul certificat de mathématiques […]. Il fallait donc y mettre beaucoup de choses. Je m’interrogeais fréquem- ment sur la façon de conduire cet enseignement, car les ouvrages existants ne me paraissaient pas satisfaisants, par exemple sur la théorie des intégrales multiples et la formule de Stokes. J’en discutai donc, à plusieurs reprises, avec André Weil. Un beau jour, il me dit : « Maintenant, cela suffit ; il faudrait mettre tout cela au point une bonne fois, le rédiger. Il faut écrire un bon traité d’analyse, et après on n’en parlera plus ! » Ainsi Henri Cartan relatait-il à Marian Schmidt, en 1982, l’origine de Bourbaki. André Weil confirme, dans ses Souvenirs d’apprentissage publiés en 1991 : « Un jour d’hiver, vers la fin de 1934, je crus avoir une idée lumineuse pour mettre fin aux interroga- tions persistantes de mon camarade [Henri Cartan]. “Nous sommes cinq ou six amis”, lui dis-je à peu près, “chargés de ce même enseignement dans des universités variées. Réunissons-nous, réglons tout cela une fois pour toutes, après quoi je serai délivré de tes questions”. J’ignorais que Bourbaki était né à cet instant ». On ne peut garantir que la mémoire humaine reste parfaitement fidèle à des événements datant d’une cinquantaine d’années et plus, mais ces deux citations résument bien l’acte de naissance du groupe Bourbaki. Même si cette conversation de 1934 peut sembler anodine au regard des raisons profondes qui ont conduit à la constitution de Bourbaki et à ce qu’il est devenu par la suite. La préhistoire de la singulière aventure mathé- matique qu’est Bourbaki commence dans les années 1920 à l’École normale supérieure, rue d’Ulm à Paris. C’est par cet établissement que passeront quasiment tous les futurs Bourbakis, chose encore vraie de nos jours. L’ENS, comme on a coutume de l’abréger, fait partie des Grandes écoles, ce système élitiste si particulier à la France – et qui fait un peu d’ombre à l’Université et ses étudiants. Créée en 1794, l’ENS était, à l’origine, destinée à former des professeurs de l’enseignement secondaire (lycées et classes préparatoires aux Grandes écoles). Mais, à la fin du XIXe siècle, cette vocation s’est modifiée dans les faits, et de plus en plus de normaliens s’orien- teront vers des postes d’enseignement supérieur ou de recherche. L’ENS comporte deux sections, l’une littéraire (une trentaine d’élèves par promotion dans les années vingt), l’autre scientifique (une vingtaine d’élèves par promotion). L’admission se fait par un BOURBAKI 12 concours très sélectif, après deux ou trois années de classes préparatoires ; à l’époque, les heureux élus effectuaient en principe une scolarité de trois ans, les deux premières comportant essentiellement des cours suivis à l’Université, la troisième étant vouée à la préparation du concours de l’agrégation. L’ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE, BERCEAU DE BOURBAKI De l’École normale supérieure sont issus de nombreux écrivains, intellectuels ou hommes poli- tiques français, comme Raymond Aron, Jean-Paul Sartre ou Georges Pompidou. Côté scientifique aussi, c’est l’ENS qui fournit une bonne part de l’élite du monde de la recherche, en concurrence avec l’École polytechnique. Au début du XIXe siècle, la plupart des mathématiciens français étaient poly- techniciens, tendance qui s’est ensuite renversée au profit des normaliens à la fin du même siècle (étaient normaliens Gaston Darboux, Émile Picard, Paul Painlevé, Jacques Hadamard, Élie Cartan, René Baire, Émile Borel, Henri Lebesgue pour n’en citer que quelques-uns ; en revanche, Henri Poincaré était polytechnicien). C’est donc dans cette prestigieuse ENS de la rue d’Ulm, dont les élèves jouissent à l’époque d’une grande liberté dans leurs études, que se connaissent et se lient d’amitié les cinq futurs principaux « membres fondateurs » de Bourbaki : Henri Cartan, Claude Chevalley, Jean Delsarte, Jean Dieudonné et André Weil. Delsarte et Weil y entrent en 1922, Cartan en 1923, Dieudonné en 1924 et Chevalley est de la promotion 1926. Ces « membres fondateurs » UN GROUPE SE FORME 13 font partie dès le début, en 1934, de l’aventure bour- bachique et ne la quitteront plus avant d’atteindre la limite d’âge. Ce qui ne veut pas dire qu’eux seuls ont participé à la création du groupe. D’autres mathé- maticiens de la même génération ont accompagné, avec plus ou moins d’assiduité, les premiers pas de Bourbaki. Après la « plénière de fondation », en juillet 1935, où le pseudonyme collectif Bourbaki avait été adopté, uploads/Societe et culture/ bourbaki-une-societe-secrete-de-mathematiciens-by-maurice-mashaal.pdf
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- Publié le Jui 21, 2022
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