Document généré le 10 mai 2018 04:43 L'Actualité économique Les changements soc

Document généré le 10 mai 2018 04:43 L'Actualité économique Les changements sociaux et les valeurs culturelles Philippe Garigue Volume 34, numéro 3, octobre–décembre 1958 URI : id.erudit.org/iderudit/1001332ar DOI : 10.7202/1001332ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) HEC Montréal ISSN 0001-771X (imprimé) 1710-3991 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Garigue, P. (1958). Les changements sociaux et les valeurs culturelles. L'Actualité économique, 34(3), 426–435. doi:10.7202/1001332ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © HEC Montréal, 1958 Les changements sociaux et les valeurs culturelles Je me propose de préciser dans cet article la situation dans laquelle se trouve notre connaissance scientifique du problème des changements sociaux et des valeurs culturelles. "Mais je vou- drais d'abord, à titre d'introduction, préciser l'importance de ce sujet. Il y a peu de problèmes qui aient une telle place dans l'histoire des sciences sociales, et qui aient soulevé autant de commentaires. On le trouve déjà à l'origine de la pensée occiden' taie, dans la remarque d'Heraclite: «On ne se baigne jamais dans la même rivière». Pascal a donné une définition majestueuse du problème: «Notre raison est toujours déçue par l'inconstance des apparences; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l'enferment et le fuient». Plus récemment, Valéry a parlé pour tous ceux qui se réveillent un matin et s'aperçoivent que leurs valeurs traditionnelles ne sont plus acceptables: «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles». En premier lieu, sans entrer dans les détails des définitions dont je vais me servir, je voudrais indiquer l'essentiel de la ques- tion. Le premier trait commun à toutes les valeurs, c'est qu'il existe une résistance particulière de l'esprit à les abandonner lors- qu'elles ont été acceptées. Le deuxième est que l'esprit a toujours résisté à la nouveauté: nous pouvons admettre le nouveau sans toujours le comprendre, maisil est très difficile que celui qui l'admet repense ses valeurs en fonction du nouveau. Le problème pratique auquel a abouti aujourd'hui cette constatation est qu'il ne peut y avoir de transformation importante des valeurs que par la succes- — 426 — CHANGEMENTS SOCIAUX ET VALEURS CULTURELLES sion des générations 1. Chaque génération se créant un monde spécifique de valeurs, il y a donc conflit entre les valeurs cultu- relies de chaque génération; conflit qui se résout et renaît avec chaque génération, mais conflit qui est un élément intrinsèque de la vie humaine, car il existe dans le fonctionnement de toutes les sociétés un phénomène constant de déséquilibre. D'un côté, se trouvent les mécanismes de la socialisation et des contrôles sur les membres de la société par lesquels ces derniers apprennent à respecter et à obéir aux normes et aux valeurs de leur société, et à craindre les punitions s'ils enfreignent ses lois, règlements ou coutumes. Plus le processus de socialisation et de contrôle est efficace et bien intégré, plus il existe une tendance à l'accepter comme inchangeable, comme permanent, comme un absolu qu'il ne faut pas discuter 2. D'un autre côté, on doit tenir compte de l'instabilité sociale intrinsèque, créée par l'impossibilité d'obtenir l'intégration parfaite de la société. Non seulement les générations sont en conflit, mais chaque homme est unique, et donc différent. Toutes les sociétés sont donc des systèmes formés de diverses parties ayant des buts ou des valeurs dont les fins sont souvent mutuellement incompatibles 3. * Le problème peut être formulé en des termes très simples. Si l'on admet comme première hypothèse qu'il existe un conflit entre tradition et innovation dans toutes les sociétés, quelle est la relation entre les valeurs culturelles et les changements sociaux? C'est'à'dire, puisqu'il n'existe aucune société sans changement, et que le conflit est intrinsèque à la vie humaine, est'ce que les changements sociaux sont créateurs de nouvelles valeurs, ou responsables de la disparition des anciennes valeurs. Il faut l'avouer immédiatement, les sciences sociales ne sont pas prêtes à répondre à cette question d'une manière catégorique. Il a même été suggéré que ce sont les valeurs qui sont responsables des changements sociaux et que le conflit entre les valeurs des différents groupes 1. S. N. Eisenstadt, Front Generation to Generation, Free Press, 1956. 2. J. S. Roucek, Social Control, Van Nostrand, 1956. 3. Voir la très intéressante étude de l'UNESCO, De la nature des conflits, 1957; aussi Patricia Kendall, Conflict and Mood, Free'Press, 1954; et Lewis Coser, The Functions of Social Conflict, Free Press, 1956. — 427 — L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE de la même société, loin d'être nuisible, est nécessaire à la vie même des sociétés 1. Ce que nous pouvons faire dans cet article est de classifier très brièvement les implications de la question. Depuis quelques années, les efforts entrepris pour étudier ce problème ont porté sur ce qu'on appelle les phénomènes de causa' lité dans les dimensions sociales et les dimensions culturelles de la vie humaine. Ces études ont démontré l'existence de certai' nes corrélations causales entre les phénomènes sociaux, comme la division du travail, la spécialisation, l'industrialisation, l'urba' nisation, etc. . . et les valeurs culturelles 2. Historiquement, il a été démontré que, par exemple, les transformations industrielles du monde contemporain, l'urbanisation, l'interdépendance éco' nomique entre les nations modernes, etc . . . sont autant d'exemples de l'interdépendance entre les changements sociaux et les valeurs culturelles3. Donc, il y a la vie sociale et les valeurs de l'Antiquité, du Moyen Âge, de la Renaissance, de la société capitaliste du XIXe siècle, de notre monde atomique d'aujourd'hui. C'est cette con' ception de la corrélation causale qui a permis de parler de l'urba' nisme, par exemple, comme étant un mode de vie. Pour mieux situer le problème, je voudrais m'attarder un peu sur le phénomène de l'urbanisme comme facteur de transformation des valeurs. Si l'on analyse les enquêtes qui furent faites entre les deux grandes guerres mondiales, on obtient une formulation du problème comme suif: avec l'urbanisation, les relations sociales ont tendance à devenir impersonnelles, utilitaires, superficielles. Les individus dans les villes ont une tendance à rationaliser leur comportement, et les groupes sociaux primaires, comme la famille, à perdre leurs fonctions. Les valeurs urbaines sont celles du marché économique, et les relations sociales sont mesurées par leur «coût», et par le degré d'indifférence envers les autres membres de la société. La ville est anonyme et pour être contrôlée a besoin d'or' ganismes spécialisés comme la police, la prison, et les travailleurs sociaux. En un mot, le contrôle social, au lieu d'être direct entre 1. Voir l'excellente analyse des théories sur les changements sociaux par Alvin Boslïoff, intitulée «Social Change, Major Problems in the Emergence of Theoretical and Research Foci», dans: H. Berlzer et A. Boslzoff, Modem Sociological Theories, Dryden Press, 1957, pp. 260 à 303. 2. Florian Znaniecki, Cultural Sciences, University of Illinois Press, 1952. 3. Gran Brinton, Ideas and Men, Prentice Hall, 1957. 4. L'analyse présentée est fondée sur les études suivantes: R. E. Park, The City, University of Chicago Press, 1925; Louis Wirth, «Urbanism as a Way of Life», American Journal of Sociology, voL 44, 1938, pp. 1 à 24. — 428 — CHANGEMENTS SOCIAUX ET VALEURS CULTURELLES les individus, est rationalisé, formalisé, légalisé. Les coutumes sont remplacées par les lois. Un des résultats de cette rationalisa' tion est l'atomisation des relations sociales. L'individu est isolé, perd son sens de participation, devient très sensible à la manipu' lation de ses émotions par la propagande, la publicité, etc. . . Avec la perte de son sens de participation, l'homme des villes perd sa religion, entre dans l'anonymat social et est sujet à la désorganisation de sa personnalité. Le principe développé dans ces études démontre que des populations avec des institutions hétérogènes sont standardisées par le développement de nouvelles valeurs, et que ces nouvelles valeurs sont elles-mêmes le produit d'un mécanisme comme les inventions techniques, l'accroissement démographique, ou la distribution écologique 1. Il faut souligner que cet usage de la corrélation causale directe entre changements sociaux et valeurs culturelles est discutable. Le développement des recherches depuis la deuxième guerre mondiale a permis de démontrer que ce genre de conceptualisation de la relation entre les changements sociaux et les valeurs cultu- relies était trop simpliste. Sa faiblesse comme explication venait de l'utilisation, dans la formulation de la relation causale, de l'idée d'une évolution du simple au complexe, du religieux au ra' tionnel, du rural à l'urbain. Les anciennes théories comme celles de l'évolutionnisme, de la fausse dichotomie entre la société rurale et la société urbaine, etc . . . ont été remplacées par une attitude plus prudente et plus rigoureuse des hypothèses. Si l'on examine, par exemple, les études récentes portant sur les relations sociales dans les villes, l'évidence ne supporte pas uploads/Societe et culture/ les-changements-sociaux-et-les-valeurs-culturelles-philippe-garigue.pdf

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