Revue germanique internationale 21 | 2004 L’horizon anthropologique des transfe

Revue germanique internationale 21 | 2004 L’horizon anthropologique des transferts culturels Les mots pour dire les métissages : jeux et enjeux d’un lexique Laurier Turgeon Édition électronique URL : http://rgi.revues.org/996 DOI : 10.4000/rgi.996 ISSN : 1775-3988 Éditeur CNRS Éditions Édition imprimée Date de publication : 15 janvier 2004 Pagination : 53-69 ISSN : 1253-7837 Référence électronique Laurier Turgeon, « Les mots pour dire les métissages : jeux et enjeux d’un lexique », Revue germanique internationale [En ligne], 21 | 2004, mis en ligne le 19 septembre 2011, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://rgi.revues.org/996 ; DOI : 10.4000/rgi.996 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. Tous droits réservés Les mots pour dire les métissages : jeux et enjeux d'un lexique LAURIER TURGEON L'étude des « contacts » et des « croisements » entre cultures différentes s'inscrit dans une longue tradition anthropologique qui remonte pratique- ment à l'origine de la discipline. Ces notions ont également connu des développements importants et une assez grande fortune dans d'autres dis- ciplines, notamment en archéologie, en ethnohistoire (domaine de l'histoire qui s'occupe des populations amérindiennes chez les Américains de langue anglaise) et, plus récemment, en littérature par le relais des étu- des postcoloniales. Les termes employés pour décrire et théoriser ces phé- nomènes de transferts et de transformations culturels se sont multipliés depuis le début du XX e siècle et ils ont subi des glissements sémantiques et des changements de sens. Caractérisé par des mots comme acculturation, transculturation, interculturation, traduction, métissage, créolisation et hybridation, ce lexique a connu des mutations qui ne peuvent s'expliquer que par les contextes sociopolitiques qui leur ont donné naissance et les tensions idéologiques qui agissent sur leur sens. J'aimerais faire une étude lexicographique de ces mots et me pencher plus longuement sur ceux de métissage, de créolisation et d'hybridation, dont l'usage s'est considérable- ment accru ces dernières années. Je tiens à préciser que ce travail ne pré- tend pas être exhaustif. Il serait impossible de faire un bilan critique de tous les ouvrages parus sur le sujet depuis un siècle. Mon projet est plus modeste. Je veux simplement faire ressortir certaines grandes tendances dans l'usage de ce lexique et saisir les enjeux actuels de ces mots, plus par- ticulièrement dans le contexte nord-américain. DE L'ACCULTURATION À L A TRADUCTION Si Franz Boas évoque la notion d'acculturation dès 1920, ce sont les sociologues de l'école de Chicago qui la définissent et qui l'utilisent pour expliquer le processus d'assimilation des Noirs et des immigrants aux Revue germanique internationale, 21/2004, 53 à 69 États-Unis. Après avoir été revitalisée par les sociologues, la notion est reprise et élargie par les anthropologues ; Robert Redfield, Ralph Linton et Melville Herskovits la définissent en 1936 comme «l'ensemble des phé- nomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d'individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels de l'un ou des autres groupes» 1. Même si cette défini- tion évoque l'idée d'interactions et d'influences réciproques, le champ sémantique du mot s'est rétréci considérablement lorsque celui-ci a été appliqué à l'étude des groupes ethniques minoritaires, notamment ceux d'origine amérindienne. En effet, les recherches ont porté essentiellement sur les effets de la culture européenne sur celle des Amérindiens : le mode de vie, la démographie, l'organisation économique et sociale, l'appareillage technologique, les coutumes et les croyances 2. Outre qu'elle attribue à l'Amérindien un rôle fataliste, cette interprétation lui renvoie subreptice- ment la faute en le rendant coupable d'un échange inégal avec une autre culture, considéré comme une sorte d'acte de transgression originel. Les tenants de cette approche se sont surtout intéressés à reconstituer les éta- pes d'un parcours linéaire qui transforme l'Amérindien, qui le fait passer d'un état authentique à un état altéré, et qui, par la même occasion, le fait disparaître 3. Les conventions de rectitude ont réussi à donner au mot mau- vaise presse et à le chasser du discours scientifique. Transculturation et interculturation sont d'autres concepts apparus dans le sillage de celui d'acculturation, souvent en réaction contre lui, pour exprimer les négociations, les interactions et les échanges complexes qui travaillent les individus et les groupes en situation de contact. Dans les années 1940, l'anthropologue cubain Fernando Ortiz a proposé l'usage du mot transculturation pour rendre compte des objets amérindiens qui ont été non seulement préservés dans la culture d'origine mais adoptés et développés dans la culture d'accueil européenne. Il traite notamment du cas du tabac, plante amérindienne, qui a eu un impact profond et durable tant en Amérique qu'en Europe 4. La notion a été reprise par les littéraires 1. R o b e r t Redfield, R a l p h L i n t o n et Melvin Herskovits, « M é m o r a n d u m for thc Study of A c c u l t u r a t i o n » , American Anthropologist, vol. 3 8 , 1936, p . 149-152. M a l g r é l ' i m p o r t a n c e de ce m é m o i r e , les p r e m i è r e s études a n t h r o p o l o g i q u e s sur l'acculturation ont bel et bien été réalisées p a r les élèves de F. Boas et A. K r o e b e r en 1932 : R o b e r t Bec, Patterns and Processes: An Introduction to Anthropological Stratégies for trie Study of Sociocultural Change, N e w York, T h e Free Press, 1974, p . 94-95. 2. R o b e r t Bec, Patterns and Processes, p . 113-114. M a r g a r e t M e a d avait déjà constaté le rétré- cissement d u c h a m p s é m a n t i q u e d u m o t dans son étude New Lives for OU, N e w York, M e n t o r Books, 1956. 3. P o u r des critiques plus récentes d u concept, voir Pierre Clastres, Ecrits d'anthropologie poli- tique, Paris, Le Seuil, 1980, p . 47-57 ; Pierrette Désy, « Le m o t le plus détestable ou les misères de l ' a c c u l t u r a t i o n » , in Lekion, vol. 2, n° 2, 1992, p . 1 9 3 - 2 3 0 ; et M i c h e l G r c n o n , « L a notion d'acculturation entre l'anthropologie et l'historiographie », in Lekton, vol. 2, n° 2, 1992, p . 13-43. 4. F e r n a n d o Ortiz, Cuban Counterpoint : Tobacco and Sugar, N e w York, Alfred A. Knopf, 1947 ; A l e x a n d e r V o n G e r n e t , « T h e T r a n s c u l t u r a t i o n of the A m e r i n d i a n P i p e / T o b a c c o / S m o k i n g C o m - plex a n d its I m p a c t o n the Intellectual B o u n d a r i e s b e t w e e n " S a v a g e r y " a n d "Civilization", 1535- 1 9 5 4 » , P h . D . , Université McGill, 1988, p . 13. et utilisée pour retracer les mots et les idées qui traversent les cultures et les transforment, ou encore pour marquer les lieux de confrontation et de transformation culturelles. Gomme le souligne Sandra Regina Goulart de Almeida, les études sur le transculturalisme portent généralement sur des sujets «déplacés» et des sites d'oppression 1. Les anthropologues américai- nes Ruth Benedict et Margaret Mead instituent le mot interculturel qui connaîtra une grande fortune dans les sociétés pluriethniques de l'après- guerre 2. Destinée à modéliser les processus interactifs et les échanges bila- téraux, voire multilatéraux, entre groupes différents, la recherche intercul- turelle a vite glissé vers l'analyse des processus d'intégration langagière et culturelle des immigrants dans les sociétés d'accueil. Le mot intercultura- tion a connu un sort semblable 3. Utilisé depuis une quinzaine d'années par les psychologues et les sociologues de l'apprentissage, le concept d' interculturation vise à nuancer l'assimilation unilatérale des enfants des immigrants à la culture de l'autre et met plutôt l'accent sur l'appropriation sélective de certains éléments de la culture d'accueil et de l'interpé- nétration culturelle qui en résulte. Il n'en demeure pas moins que les étu- des restent axées fondamentalement sur les comportements des immigrants par rapport à la culture d'accueil et donc du rapport de l'autre à soi. Plus riche, la notion uploads/Societe et culture/ les-mots-pour-dire-les-me-tissages-jeux-et-enjeux-d-x27-un-lexique-laurier-turgeon-pdf 1 .pdf

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