Capes externe de philosophie Notions de philosophie La culture Cours Thierry Mé

Capes externe de philosophie Notions de philosophie La culture Cours Thierry Ménissier La culture Par Thierry Ménissier Sommaire Introduction : 3 Une polysémie déconcertante qui met en question la possibilité d'un concept de culture 1. Qu'est-ce qu'un fait de culture ? 7 1.1. Usages, représentations, valeurs traditionnels : leurs relations mutuelles 1.2. Fait social et constructions culturelles : Marcel Mauss et Max Weber 1.2.1. La logique du don et du contre-don selon Marcel Mauss 1.2.2. Aux origines culturelles de la socialité occidentale : Max Weber et l'éthique protestante 2. Nature et culture 3 2.1. Dans quel sens peut-on parler d'une nature de l'homme ? 2.2. A la recherche de l'invariant humain 2.2.1. Un mythe religieux — la Genèse 2.2.2. Un mythe romanesque — Robinson 2.2.3. Un mythe de la psychanalyse — le complexe d'OEdipe 2.3. Le poids de la culture 2.3.1. Freud sous le feu de l'ethnologie culturaliste 2.3.2. La coutume, notre seconde nature — Montaigne et Pascal 2.4. Conséquences de la controverse entre Freud et les culturalistes 2.4.1. Un enjeu de méthode pour les sciences humaines — l'exemple de l'ethnopsychiatrie 2.4.2. Une synthèse anthropologique — Lévi-Strauss et la prohibition de l'inceste 3. Comprendre l'homme à partir de son activité de culture 31 3.1. Une espèce historique — Lucrèce 3.2. Une espèce qui s'engendre grâce à ses créations culturelles — Vico 3.3. Une espèce perfectible — Rousseau et Kant 3.4. La culture est « formation » ou « discipline » de l'homme tendant vers ses propres fins — Kant et Hegel 4. Culture et humanités 47 4.1. L'idéal de la culture classique 4.1.1. Le paradigme gréco-latin 4.1.2. Humanisme et classicisme — la thématique de l'imitation 4.1.3. Qu'est-ce qu'un classique ? 4.2. La remise en question de l'idéal classique 4.2.1. Les attaques contre l'idéal classique 4.2.2. Les principes paradoxaux de la haute culture moderne 4.2.3. L'analyse sociologique des phénomènes culturels — la culture comme discours social dominant et facteur de « distinction » Conclusion : Un plaidoyer en faveur des effets de la haute culture 65 Annexes 69 Bibliographie 79 1 INTRODUCTION Une polysémie déconcertante qui met en question la possibilité d'un concept de culture « En toute occasion, nous devons nous souvenir de ce que, pour les Romains — le premier peuple à prendre à la culture au sérieux comme nous —, une personne cultivée devait être : quelqu'un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé. »1 Dans ce cours, nous voulons parvenir à une intelligence philosophique de la notion de culture. Or, de quoi parle-t-on lorsqu'on mentionne celle-ci ? Le terme, polysémique, est aussi riche que vecteur d'équivoques et de confusions. Dans notre langue comme dans l'étymologie latine, sa signification abstraite est dérivée de la signification concrète : les mots « culture » et « cultura » désignent initialement l'action de cultiver la nature, c'est-à-dire de s'employer à extraire de notre environnement, et grâce aux artifices humains, de quoi subsister. Cette modification sémantique paraît valable pour la plupart des langues européennes et se serait opérée pour la langue française dans les années 1550, mais la langue latine permettait et avait déjà connu un tel déplacement. Or la simple mise en oeuvre de cette adaptation — si l'on suit les indications sémantiques et chronologiques d'un dictionnaire étymologique — appelle plusieurs observations, et pose dès qu'on l'examine de près d'importantes questions philosophiques. D'abord, la notion de culture a été d'emblée la conséquence d'une métaphore : fruit d'une translation d'un domaine de signification dans un autre domaine de signification, elle implique un travail intellectuel d'ajustement, et même plus exactement un effort d'imagination de la part de celui qui en acquiert la notion. On pourrait donc dire qu'elle est spontanément poétique, mais aussi que sa compréhension repose sur deux occasions d'engendrer des confusions, voire des quiproquos. Ensuite, « cultiver », « se cultiver », « être cultivé », il n'est sans doute pas anodin que ces termes visant à désigner l'action du travail des énoncés symboliques sur l'individu et la masse aient été conçus en fonction de l'action nourricière par excellence, celle qui permet à la fois de survivre et de jouir par le goût. Mais ce rapprochement étrange ne délivre pas immédiatement son sens ; on peut juste dire que dès son apparition, la notion abstraite de culture a entretenu des liens forts et obscurs avec l'idée désignant la production des aliments qui assuraient à l'individu et au groupe humains à la fois leur survie et le plaisir de leur goût. Mais ce sont surtout les différentes significations du terme — qui sont comme les produits successifs d'une lente éclosion — qui font question. On s'attachera ici à tenter de déployer ses significations en fonction de leur ordre d'apparition supposé dans la langue française. (1) Lors de son adaptation originaire du sens concret au sens abstrait, l'expression semble avoir désigné une disposition individuelle : la culture est le développement de certaines facultés de l'esprit d'un homme par des exercices intellectuels appropriés. Or cette disposition renvoie aussi bien à un acquis (lorsqu'on dit que quelqu'un qui est cultivé possède un certain « bagage ») qu'à une capacité (on n'est jamais totalement « cultivé» dans la mesure où l'expérience et le savoir qu'un individu peut acquérir ne sont achevés qu'au jour de sa mort), voire à un horizon (la culture individuelle se confond avec la capacité d'être vraiment et authentiquement soi-même). La signification originaire du terme tend donc à se confondre avec une définition réflexive et intensive de la subjectivité, dont les enjeux philosophiques sont cruciaux, mais dont les contours sont nécessairement flous, et dont les contenus appellent une nécessaire problématisation : qu'est-ce à dire que l'individu devient- il réellement lui-même dans le contexte et sous l'influence de la « culture» ? S'agit-il de 1 Hannah Arendt, « La crise de la culture », dans La crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, trad. fr. sous la dir. de P. Lévy, Paris, Gallimard, 1972, « Folio Essais », p. 288. 3 dire qu'il se cultive, comme en tirant de lui-même ce qui lui permet de devenir ce qu'il est ? Et que signifie ce « en tirant de lui-même » : parle-t-on de son potentiel inné singulier, ou directement des rencontres que lui permet son expérience, ou encore réflexivement à partir de son expérience ? On devine ici que l'élucidation de ces questions impliquerait une analyse philosophique aussi précise que complète des ressorts de la subjectivité. De ce point de vue, l'analyse du terme « culture » nous confronte rapidement à l'une des questions les plus topiques et les plus mystérieuses de la philosophie. (2) L'adaptation de la signification concrète à l'abstraite a été suivie d'une modification de cette dernière, elle-même lourde de conséquences. Par extension, la culture a désigné l'ensemble des connaissances acquises qui permettent de développer le sens critique, le jugement et le goût. En d'autres termes, la culture d'un individu, le fait qu'il se cultive ou soit cultivé, ne lui permettent pas seulement de devenir pleinement lui-même ; la culture est ce qui fait critère pour lui-même dans ses relations au monde. Entendue de la sorte, la culture est ce qui dote l'individu de la capacité d'évaluer, c'est-à-dire de hiérarchiser, de discriminer, et par là d'agir en acceptant ou en refusant telle ou telle stimulation sensorielle, telle ou telle signification symbolique. Les problèmes que pose la notion de culture ainsi envisagée sont donc ceux qui procèdent de l'examen de la faculté de juger, c'est-à-dire ceux qui procèdent de l'examen de la capacité de distinguer le vrai du faux de manière à la fois subjective (et à ce titre, nous retrouvons le point précédent, mais enrichi d'une détermination plus précise de ce qu'est la subjectivité) et objective (et en cela nous engageons la réflexion dans les voies difficiles de l'intersubjectivité : le vrai et le faux sont susceptibles de se prouver comme tels à autrui). Qu'est-ce qui fait réellement critère dans l'évaluation subjective et objective des sensations et des énoncés symboliques ? Peut-on prouver qu'une stimulation sensorielle ou qu'un énoncé symbolique qui concerne le goût est supérieur à un autre ? Et si tel est le cas, comment y parvient-on ? Ce genre de questions, de surcroît, est passible de se décliner de deux manières : selon les stimulations sensorielles et les énoncés symboliques particuliers, de manière homogène à un registre de goût particulier (tel plat pourra être dit supérieur à tel autre, tel spectacle « moins bon » que tel autre, telle oeuvre littéraire inférieure à telle autre, etc.), mais aussi selon les genres de stimulations sensorielles ou d'énoncés symboliques. Dans ce dernier cas, peut-on affirmer avec pertinence (et si possible en le montrant de manière certaine) que tel sens est supérieur à tel autre sens ? Que tel art est inférieur à tel autre art ? Questions qui sont fort loin de manquer d'intérêt, et ce pour deux raisons au moins : premièrement, dans la réalité empirique, la majeure partie des discussions entre les hommes portent uploads/Societe et culture/ notions-de-philosophie.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager